samedi 15 août 2015

Vive la triche ? Quand l’imitation est propice à la création. Jacqueline Lichtenstein & Adèle Van Reeth



Norman Rockwell - Autoportrait


A l’école on n’a de cesse de fustiger  la copie. Tantôt assimilée à de la tricherie, au désir de tromper,  ou tantôt vue comme absence de réflexion,  répétition du même, sorte de perroquisme stérile et stupide, une chose est sûre, L’esprit du mal cloche en elle. Aussi sonne-t-elle invariablement en fausses notes. Et conserve-t-elle – lorsqu’on l’exerce - une notation invariablement négative.
Pourtant, qu’en est-il vraiment ?
Ne peut-on créer en copiant ?
Ne faut-il construire avant de déconstruire ?
Ne doit-on s’exercer, s’exercer et s’exercer encore ? Pratiquer toujours, jusqu’à en perdre patience, jusqu’à atteindre la parfaite maîtrise de chaque ligne, le moindre trait – en matière de dessin -, jusqu’à connaître la plus imperceptible note – en matière musicale – en gros,  pour le dire autrement,  s’approprier des techniques et méthodes avant que de se lancer dans le mouvement de la création, de passer aux multiples improvisations ?  
En ce cas, où situer l’originalité ?



Ces extraits issus de l’excellente conférence « Le faux en Art » avec Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth évoquent quelques évidences trop oubliées, quelques vérités bonnes à rappeler :
Vidéo 1*


  Le génie ne s’apprend pas, nous apprend Kant, évoque Adèle Van Reeth.  Mais faut-il pour autant rejeter la copie avec l’eau du bain ?
La copie est un exercice fondamental pédagogique, rappelle Jacqueline Lichtenstein. On apprend en copiant, en imitant les maîtres. C’est la formation de l’artiste à l’Académie qui dessine d’après l’antique en copiant les statues antiques. Qui copie les tableaux.  Qui copie, dessine,  d’après le modèle vivant.
En effet, qu’est-ce que le style propre ? interroge l’historienne de l’Art. Sinon ce petit écart qui produit du neuf, de l’autre ? C’est-à-dire partir du connu, de l’ordinaire, s’appuyer sur les études antérieures afin de faire émerger la singulière étrangeté du trait, de la ligne propre.
La métaphore, le lieu commun, c’est la méthode de l’abeille. L’artiste doit être comme une abeille qui butine de-ci de-là les fleurs  pour fabriquer un miel qui n’est qu’à elle.
C’est le travail du philosophe développé par Francis BACON dans le « Novum organum ». Dans ce  texte lu par Olivier Martinaud,  issu des « Actualité philosophique » d’Adèle Van Reeth avec Alexis Tadié, l’élaboration de la pensée philosophique est vue comme un « Nouvel instrument » ou « nouvelle logique ».


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Développement…
«Le procédé de l’abeille tient le milieu entre ces deux : elle recueille ses matériaux sur les fleurs des jardins et des champs ; mais elle les transforme et les distille par une vertu qui lui est propre. » Olivier Martinaud,  – Nouveaux chemins de la connaissance 01.01.2015 – Actualité philosophique (4/5) d’Adèle Van Reeth avec Alexis Tadié. 2*


Il ne s’agit donc pas de copier pour copier tels « Les empiriques, semblables aux fourmis, ne sa[chant] qu’amasser et user. »
Mais d’innover en partant de bases solides. Tel Montaigne bien sûr - emboivant l’humeur des anciens telles « Les abeilles pilotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n’est plus thym ni  marjolaine : ainsi, les pièces empruntées d’autrui ; il les transformera et, confondra, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement. Son institution, son travail et étude ne vise qu’à le former. »

L’idée de bonne imitation est celle qui permet de se nourrir de tout – explicite Jacqueline Lichtenstein- de prendre à tout.
« Mon imitation n’est pas esclavage. » écrit Jean de la Fontaine
avant que d’ajouter en un phrasé aussi évocateur que poétique :
« Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois,
Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois, »
Épître à Huet (1687)
http://www.lafontaine.net/lesPoemes/affichePoeme.php?id=104

Il s’agit poursuit Jacqueline Lichtenstein : « De faire une œuvre originale. Tout en sachant que la valeur d’originalité est une valeur très récente… On crée en copiant… On apprend à créer. A ce sujet une exposition intitulée «  Copier Créer » s’est déroulée au Louvre. Cette dernière montrait comment de Delacroix à Géricault, il y avait de tout petits écarts.

L’Inspectrice de l’éducation Nationale, Viviane Bouysse, enfonce le clou : "L’apprentissage par essai-erreur ne suffit pas, il faut du modèle quelque part." En effet, insiste-t-elle, « L’imitation ne doit pas être tabou. Plus les enfants sont petits plus ils apprennent par imitation. Ils apprennent par essai-erreur et ils apprennent par imitation. Les apprentissages les plus culturels ne peuvent être basés uniquement sur les essais et les erreurs, il faut qu’il y ait du modèle quelque part. » 2*




Vidéo (extrait 2) :



Aristote, poursuit Adèle Van Reeth reconnaît les bienfaits de l’imitation. Dans la poétique, il indique que l’enfant a une tendance naturelle à imiter et surtout à trouver du plaisir dans l’imitation.
Effectivement, développe Jacqueline Lichtenstein, la condamnation morale du faux est très récente. C’est au 20ème siècle que l’on a un jugement moral et qu’il y a une sorte de chasse aux faussaires. La condamnation est liée à l’idée d’imitation.
Aristote en définissant de manière positive dans le Chapitre 4 de la « Poétique » «les hommes prennent plaisir à imiter et que  l’imitation est naturelle ; » sauve les Arts de la condamnation platonicienne et définit les Arts - ce que nous appelons les Beaux-Arts, donc - selon le principe  de l’imitation.
Avec Aristote, deux conceptions de l’art l’une comme imitation de l’histoire et l’autre comme imitation de la nature ont cours.
A la renaissance une nouvelle conception apparaît.  L’Art comme imitation de l’Art, c’est-à-dire que l’on demande à l’artiste de se référer à des modèles antérieurs.  Avec l’humanisme, la production artistique s’inscrit dans une histoire de l’Art où l’Art se réfère à l’Art.
A l’époque, la question de l’originalité qui se posait comme aujourd’hui.
En mettant en avant cette nécessaire originalité, ne nous coupons-nous pas des bases nécessaires à l’édification d’une pensée à la fois portée par l’excellence et innovante ?

Une chose est sûre, de nos jours, la construction du sens fait loi, la dévalorisation de la copie, soit-elle nécessaire à l’apprentissage, est patente.

Portés à nous croire sur parole en toutes circonstances, notre pensée nous semble incroyablement originale.

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1* (Vidéo extrait 1) Auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille Le faux en art - Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth lors de l'émission des nouveaux chemins de la connaissance. Dimanche 10 novembre 2013 – Citéphilo.
2 * « Les empiriques, semblables aux fourmis, ne savent qu’amasser et user ; les rationalistes, semblables aux araignées, font des toiles qu’ils tirent d’eux-mêmes ; le procédé de l’abeille tient le milieu entre ces deux : elle recueille ses matériaux sur les fleurs des jardins et des champs ; mais elle les transforme et les distille par une vertu qui lui est propre : c’est l’image du véritable travail de la philosophie, qui ne se fie pas aux seules forces de l’esprit humain et n’y prend même pas son principal appui. […] C’est pourquoi il y a tout à espérer d’une alliance intime et sacrée de ces deux facultés expérimentale et rationnelle ; alliance qui ne s’est pas encore rencontrée 7. » Olivier Martinaud,  – Nouveaux chemins de la connaissance 01.01.2015 – Actualité philosophique (4/5) d’Adèle Van Reeth avec Alexis Tadié.
3*L’Inspectrice de l’éducation Nationale, Viviane Bouysse, enfonce le clou : "L’apprentissage par essai-erreur ne suffit pas, il faut du modèle quelque part." En effet, insiste-t-elle, « L’imitation ne doit pas être tabou. Plus les enfants sont petits plus ils apprennent par imitation. Ils apprennent par essai-erreur et ils apprennent par imitation. Les apprentissages les plus culturels ne peuvent être basés uniquement sur les essais et les erreurs, il faut qu’il y ait du modèle quelque part. » 2*
Conférence de Viviane Bouysse du 14/11/12 – « Entrer dans l'écrit en maternelle » - Auditorium de Douai. Merci de son accord gracieux.

4* Vidéo (extrait 2) Auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille Le faux en art - Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth lors de l'émission des nouveaux chemins de la connaissance. Dimanche 10 novembre 2013 – Citéphilo.

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Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth 
Auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille "Le faux en art" - 
Emission des "Nouveaux chemins de la connaissance." 
Dimanche 10 novembre 2013 – Citéphilo.
Photos : Virginie Le chêne parlant
Transcription des vidéos.
Vidéo 1 :
On crée en copiant
« Le génie ne s’apprend pas, nous apprend Kant. «  évoque Adèle Van Reeth. Mais qu’en est-il de la copie ?
La copie est un exercice fondamental pédagogique. On apprend en copiant, en imitant les maîtres. C’est la formation de l’artiste à l’Académie qui dessine d’après l’antique en copiant les statues antiques. Qui copie les tableaux.  Qui copie, dessine,  d’après le modèle vivant.
Qu’est-ce que le style propre ? C’est ce petit écart qui fait qu’à partir de la copie on va produire quelque chose qui est propre.
La métaphore, le lieu commun, c’est celui de l’abeille. L’artiste doit être comme une abeille qui prend à toutes les fleurs  pour fabriquer un miel qui n’est qu’à elle.
L’idée de bonne imitation est celle qui permet de se nourrir de tout, de prendre à tout.
« Mon imitation n’est pas esclavage. » écrit Jean de la Fontaine
De faire une œuvre originale. Tout en sachant que la valeur d’originalité est une valeur très récente.
L’idée que l’on crée en copiant… On apprend à créer. Au Louvre, il y avait une exposition qui s’appelait «  Copier Créer » qui montrait comment de Delacroix à Géricault, il y avait de tout petits écarts.
Il n’y avait pas la question de l’originalité qui se posait comme aujourd’hui.

Vidéo 2 :
Aristote, poursuit Adèle Van Reeth, reconnaît les bienfaits de l’imitation. Dans la poétique, il indique que l’enfant a une tendance naturelle à imiter et surtout à trouver du plaisir dans l’imitation.
La condamnation morale du faux est très récente. C’est au 20ème siècle que l’on a un jugement moral et qu’il y a une sorte de chasse aux faussaires. Et une condamnation morale. Ceci est lié à l’idée d’imitation.
Aristote en définissant de manière positive dans le Chapitre 4 de la « Poétique » «les hommes prennent plaisir à imiter et que  l’imitation est naturelle ; » sauve les Arts de la condamnation platonicienne et définit les Arts ce que nous appelons les Beaux-Arts selon le principe  de l’imitation.
Avec Aristote, deux conceptions de l’art l’une comme imitation de l’histoire et l’autre comme imitation de la nature ont cours.

A la renaissance une nouvelle conception apparaît.  L’Art comme imitation de l’Art, c’est-à-dire que l’on demande à l’artiste de se référer à des modèles antérieurs.  Avec l’humanisme, la production artistique s’inscrit dans une histoire de l’Art où l’Art se réfère à l’Art. 




 Adèle Van Reeth 
Auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille "Le faux en art" - 
Emission des "Nouveaux chemins de la connaissance." 
Dimanche 10 novembre 2013 – Citéphilo.
Photos : Virginie Le chêne parlant

3 commentaires:

  1. Merci une fois encore pour cette brillante restitution que Boris Vian résume à sa manière en quelques vers percutants. DE mémoire, il écrit:

    "Tout a été dit cent fois
    Et beaucoup mieux que par moi
    Aussi quand j'écris ces vers
    C'est que ça m'amuse
    C'est que ça m'amuse
    C'est que ça m'amuse et je vous chie au nez"

    Le Touquet sous un ciel laiteux et une mer d'huile

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    1. Cher Nuage,

      Quelle brillante mémoire !
      De même, ici, encore et toujours, le rythme des nuages bat du gris au gris... Que voulez-vous...

      Au plaisir de vous lire, cher Ami.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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