vendredi 21 août 2015

Vérité, à tout prix ? Une philosophie souriante de Jackie Chan à Raphaël Enthoven en passant par Daniel Tammet.





Au pays de la vérité, les anges sont clairement du côté du bien et les menteurs – quant à eux - planqués traîtreusement derrière le mal obscur. Dans cette merveille en noir et blanc, la reine de l’authenticité aurait pour marraines - la pureté, la franchise, la loyauté  - et pour cousines - la  sincérité, l’honnêteté, la droiture -.
Mais tout est-il réellement pour le mieux dans le meilleur des contes possibles ?
          
            Le philosophe Raphaël Enthoven, dans le Gai savoir, rappelle : 
           « Emmanuel Kant dit qu’il ne faut jamais mentir...  Quoi qu’il arrive. Que « c’est le devoir formel de l’homme envers chacun... » Mais imaginez que vous hébergiez une famille juive, pendant la guerre, dans la grange de votre maison... Arrive la milice (ou la gestapo) qui vous demande si c’est le cas. Que répondez-vous ? » 1*


L’impératif de vérité de Kant critiqué par Benjamin Constant - Texte lu par Marie-Julie Parmentier

Sans aller jusqu’à évoquer ces épisodes dramatiques, dans la vie quotidienne, rien n’est moins facile ni conseillé que de dire la vérité à tout bout de langue et en toutes circonstances ; Daniel Tammet atteint du trouble d’autisme asperger, en sait quelque chose.  Sous la pluie des relations sociales, Daniel Tammet se tient debout - droit de froid – tétanisé par le double sens du langage, engourdi de ses difficultés à communiquer avec l’autre.
Dans un livre touchant, l’écrivain témoigne :
« Je n’étais jamais volontairement impoli. Je ne comprenais pas que le but de la conversation n’est pas de parler uniquement des choses qui vous intéressent. » 2* Il ajoute : « J’étais passé à côté de beaucoup d’amitiés possibles à cause de mon manque de sociabilité naturelle, parce que j’étais trop direct et que je produisais une mauvaise impression. » 3*


Photo : Stefan Heilemann - Aka Heile-5

Heilemania


De fait, contre toute évidence, répondre aux attentes d’un interlocuteur est un travail à pleine conscience. Et échanger avec l’autre n’est pas si aisé.
C’est un jeu subtil où il s’agit non seulement de saisir le sens du propos, d’en comprendre les nuances de ton mais également d’être en adéquation avec les attentes sociales et singulières de chacun des protagonistes. Et ceci suppose d’étonnantes capacités d’interprétation.
Par exemple, dans cette phrase « Tiens, tu veux me passer ça... » 4* adressée lors d’un repas. L’injonction, faussement simple, réclame de posséder tout un tas de compétences. Faire le bon choix entre sucre, poivre et sel, donc discriminer, mais également savoir se mettre à la place du convive, lequel mangeant sa tranche de gigot entend que vous lui tendiez poivre ou sel. Si vous connaissez ses goûts - encore mieux - vous saurez lui passer le sel.

Une sorte d’accord tacite lie les deux parties. Une synchronicité.
Il s’agit d’être en phase.
Or, chez Daniel Tammet, cette compétence sociale intégrée au point qu’on en oublie la complexité, est loin d’être une évidence.    

       « Il m’est aussi difficile de savoir quand il faut répondre à des assertions qui ne sont pas exactement formulées comme des questions, confie-t-il. J’ai tendance à n’accepter que l’information pure, ce qui signifie que j’ai dû mal à utiliser le langage dans un contexte social, comme la plupart des gens. Si une personne me dit : « C’est une mauvaise journée », j’ai appris que l’interlocuteur attendait que je lui dise quelque chose comme « Ah, vraiment ? » avant de demander pourquoi c’est une mauvaise journée.
… Savoir si quelqu’un attend de moi que je réponde à une assertion n’est pas intuitif, et ma capacité à faire certaines choses, comme parler de la pluie ou du beau temps ne m’est venu qu’après beaucoup d’entraînement. » 5*
Pour lui, chaque requête représente un milliard de questionnements. Chaque situation comme celle « de bien vouloir prendre un siège », pour potentiellement cocasse, n’en constitue pas moins un mur à surmonter, un motif désagréablement répétitif. « Je savais que ce qu’elle voulait dire était « Asseyez-vous » - pas prendre un siège au sens propre." Confie-t-il 6*


Une Vérité, à tout prix ? Une philosophie souriante de Jackie Chan à Raphaël Enthoven.


De fait, un monde direct. Sincère. Transparent de vérités deviendrait vite dangereux (pour celui qui les énonce) et / ou invivable pour tous. On se voit mal rire à réjouissance déployée de la mort d’une tante revêche le jour de son enterrement. Évoquer à sourire entendu le ratage d’un coiffeur ou dire ses dix-huit vérités à un employeur incompétent… Quoi… Que…

                Après tout, la vérité est peut-être à chercher ailleurs...
                             
                                    Dans un dialogue tissé d’instants composés avec le monde.



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Notes de bas de page :
1* Le Mensonge : la querelle Kant / Constant - Le Gai savoir du 2 juin 2013
http://www.franceculture.fr/emission-le-gai-savoir-le-mensonge-la-querelle-kant-constant-2013-06-02
Daniel Tammet – Je suis né un jour bleu – j’ai lu -2007 – paris – isbn : 9782290011430

2 * (interactions sociales) :  Je n’étais jamais volontairement impoli. Je ne comprenais pas que le but de la conversation n’est pas de parler uniquement des choses qui vous intéressent. Je parlais avec force détails jusqu’à être vidé de tout ce que j’avais à dire. Je sentais que j’aurais pu éclater si quelqu’un m’avait interrompu. Il ne m’apparut jamais que le sujet dont je parlais puisse ne pas être intéressant pour mon interlocuteur. P  101 
… Ecouter les autres n’est pas facile pour moi. … une grande partie du discours entre et sort de ma tête comme des parasites.
3* : J’étais également parvenu à comprendre que l’amitié est un processus délicat et graduel qui ne doit pas être précipité ni anticipé, mais qu’il faut permettre et encourager pour qu’il prenne son cours naturel dans le temps. Je me représentais l’amitié comme un papillon, à la fois beau et fragile, qui s’envolait dans les airs et que toute tentative d’attraper revenait à détruire. Je me souvins qu’à l’école, j’étais passé à côté de beaucoup d’amitiés possibles à cause de mon manque de sociabilité naturelle, parce que j’étais trop direct et que je produisais une mauvaise impression. P 180 
4* L’anecdote – de mémoire – doit venir de Stanislas Dehaene, dans la bosse des maths…
5 * Il m’est aussi difficile de savoir quand il faut répondre à des assertions qui ne sont pas exactement formulées comme des questions. J’ai tendance à n’accepter que l’information pure, ce qui signifie que j’ai dû mal à utiliser le langage dans un contexte social, comme la plupart des gens. Si une personne me dit : « C’est une mauvaise journée », j’ai appris que l’interlocuteur attendait que je lui dise quelque chose comme « Ah, vraiment ? » avant de demander pourquoi c’est une mauvaise journée. P 103 :
… Savoir si quelqu’un attend de moi que je réponde à une assertion n’est pas intuitif, et ma capacité à faire certaines choses, comme parler de la pluie ou du beau temps ne m’est venu qu’après beaucoup d’entraînement.
 6 *(prendre un siège) : Je savais que ce qu’elle voulait dire était « Asseyez-vous » - pas prendre un siège au sens propre. P 149
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Vidéos :
A - L’impératif de vérité de Kant critiqué par Benjamin Constant - Texte lu par Marie-Julie Parmentier
Extrait du « Gai savoir » de Raphaël Enthoven et Paola Raiman
Le Mensonge : la querelle Kant / Constant 28 du 02.06.2013
http://www.franceculture.fr/emission-le-gai-savoir-le-mensonge-la-querelle-kant-constant-2013-06-02



Marie-Julie Parmentier au Marathon des mots de Toulouse - 28 juin 2015
Photos :  Virginie Le chêne parlant 

B - Une Vérité, à tout prix ? Une philosophie souriante de Jackie Chan à Raphaël Enthoven.
Avec Raphaël Enthoven : La vérité – Arte – Imaginez
& Risque et confiance un couple indissociable ? Coface group
Avec Madame Simone – Lettres à Mademoiselle Clairon, conseils à une jeune comédienne.
Grands écrivains, grandes conférences par Philippe Garbit – 17.07.2015
Avec Jackie Chan : The spy next door


Autre extraits….
« J’imagine ces moments comme des fragments ou des éclats éparpillés sur une vie entière. Si quelqu’un pouvait les coller bout à bout, il obtiendrait une heure parfaite, voire une journée parfaite. Et je pense que cette heure ou cette journée le rapprocherait de ce qui fait le mystère d’être un humain. Ce serait comme un aperçu du paradis. » 7*
P 74 : (frère sœur : rôle joué dans la socialisation/ rôle de l’observation dans le savoir faire. ) : … leur présence, finalement, eut une influence très positive sur moi : elle me força à développer petit à petit des aptitudes sociales. Avoir toujours des gens autour de moi m’aida à me faire au bruit et au mouvement. En regardant silencieusement, depuis la fenêtre de ma chambre, mes frères, ma sœur et leurs amis qui jouaient ensemble, je commençais également à comprendre comment entrer en interaction avec d’autres enfants.
Daniel Tammet – Je suis né un jour bleu – j’ai lu -2007 – paris – isbn : 9782290011430
Pour le plaisir d’une vérité à trouver dans cet ailleurs…


Texte proposé par Adèle Van Reeth « L’imperfection terrestre et sa cause principale :
Quand on regarde autour de soi, on tombe sans cesse sur des hommes qui ont toute leur vie mangé des œufs sans remarquer que les plus allongés sont les plus friands, qui ne savent pas qu’un orage est profitable au ventre, que les parfums sont le plus odorants dans un air froid et clair, que notre sens du goût n’est pas le même dans toutes les parties de la bouche, que tout repas où l’on dit ou écoute de bonnes choses porte préjudice à l’estomac. On aura beau ne pas être satisfait de ces exemples du manque d’esprit d’observation : on n’en devra que plus avouer que les choses les plus prochaines sont, pour la plupart des gens, mal vues, et très rarement étudiées. Et cela est-il indifférent ?
Que l’on considère enfin que de ce manque dérivent presque tous les vices corporels et moraux des individus : ne pas savoir ce qui nous est nuisible dans l’arrangement de l’existence, la division de la journée, le temps et le choix des relations, dans les affaires et le loisir, le commandement et l’obéissance, les sensations de la nature et de l’art, le manger, le dormir et le réfléchir ; être ignorant dans les choses les plus mesquines et les plus journalières – c’est ce qui fait de la terre pour tant de gens un « champ de perdition »."
Nietzsche, Le voyageur et son ombre
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Emission radio :

Classique (10/10) : Mademoiselle Clairon     / Casanova - 17.07.2015
http://www.franceculture.fr/emission-grands-ecrivains-grandes-conferences-classique-1010-mademoiselle-clairon-casanova-2015-07-1


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