mardi 29 septembre 2015

A la lisière du courage, Cynthia Fleury


Merci de leur gracieuse autorisation


La fin du courage


Qu’est-ce que le courage ?
Un saisissement ? …  Celui d’un lieu, d’un temps, d’un évènement ?

Le courage fait face...  A quoi ? La menace ? L’abjection ? L’inacceptable ? C’est la grandeur du héros en quête de justice ; bras armé d’une cause située du côté du juste – du moins du point de vue de son camp - se jetant à lumières perdues dans la gueule de l’infâme. Symbole de pureté, l’individu entièrement dévoué au succès de sa «  mission » se distingue par une fidélité sans bornes à la cause qu’il défend. C’est un bloc. Un pic. Que dis-je, un continent !

                                      « La résistance est un état d’esprit : on peut l’exercer à tout moment. » nous dit Claire Auduit, 1* dans une excellente conférence consacrée au théâtre dans les camps nazis.
Aux dires de la chercheuse en art du spectacle à l’université de Strasbourg, on peut ajouter combien le courage est présent dans la personnalité de l’homme d’exception réel ou romancé. Trait de caractère ni entièrement subi, ni complètement choisi ; sa révolte, son refus des évidences, sa propension à dire non, sont – paradoxalement –des actes réfléchis et impulsifs. Pour le dire autrement, le spartiate du courage agi d’un côté avec mesure, c’est-à-dire posément, en pesant minutieusement les avantages et inconvénients de ses entreprises, en en évaluant précautionneusement les répercussions plausibles sur lui et les autres, bref le guerrier de l’ombre use de stratégie – c’est sa face intellectuelle... mais, également - et tout à l’inverse - se montre kamikaze, non seulement « risque », comme nous le verrons avec Cynthia Fleury mais « risque-tout ». En ce cas c’est « plus-fort-que-lui » dirait-on, c’est le réflexe du félin aux griffes hérissées sur l’inacceptable, pulsion féroce, self-made-défense du samouraï tout sabre dressé contre  la prédation. Aussi, pour en revenir à Claire Audit non seulement « La résistance est chez lui un état d’esprit »  - mais sa lame impulsive jetée sur l’injustice peut s’abattre à tout moment.
    Qualité réactive, au reste - essentielle - puisqu’elle constitue l’élément originel : la déviance atomique le distinguant du commun.

L’homme droit fait date.
Il existe bel et bien un 'Avant' et un 'Après'  lui.

D’une essence hautement inflammable, l’acte courageux si infime soit-il, même quasi imperceptible - nous y reviendrons – est ultra subversif tant il tranche la symétrie des attendus en son milieu. Rage opérant une brisure définitive dans la chaîne des évènements, son apparition marque irrémédiablement l’histoire.  Emprunte profonde,  indélébile, coup de tonnerre entre un « couru-d’avance » qui se répète et un « rien-ne-sera-plus-comme-avant » qui fait date.

Dans la fiction, les personnages de Laurent Gaudé affrontent l’absurde, saisissent l’impossible à bras le courage. Il s’agit parfois de substituer au pire actuel, une folie à venir. Simple évasion d’un impossible A, pour se jeter dans un pire B… L’intervalle, nous le verrons étant déjà beaucoup.
 
 « Dans la nuit Mozambique », le capitaine d’un navire négrier énonce :
« Aujourd’hui que j’y repense, leur désir de quitter le pont du navire me semble absurde. J’en sourirais presque. Où comptaient-ils aller ? S’imaginaient-ils vraiment pouvoir disparaître dans cette ville qu’ils ne connaissaient pas ? A moins qu’ils n’aient pas pensé à tout cela. A moins qu’il ne se soit agi que d’une sorte de réflexe de survie. Quitter ce navire. Simplement cela. Quitter ce bateau qui les menait en enfer. Quitter cette cale où ils vomissaient depuis des semaines les uns  sur les autres. Descendre. Courir droit devant eux. C’est cela, sûrement, qui les a portés. Mettre le plus de distance entre eux et le bateau. Rien de plus. » 2*
  
Bien évidemment, l’esclavagiste se trompe. Cinq minutes parcourues sur l’avilissement, l’asservissement,  l’animalité où l’on veut vous réduire, vous contraindre et vous enfermer, sont tout sauf rien : c’est l’intervalle de temps et d’espace qui vous rend vivant. Qui vous fait Homme. Une éternité gagnée en part d’humanité.  
 


Anja Stiegler 

Quand Germaine Tillion énonce « Survivre, notre ultime sabotage. », la grenade lancée par l’ethnologue déportée à Ravensbrück dynamite non seulement la barbarie dans ce qui la constitue, c’est-à-dire la négation de l’autre. Mais plombe les rouages à bout portant.
 « Comprendre une mécanique qui vous écrase, - dit-elle - démonter mentalement ses ressorts, envisager dans tous ses détails, une situation apparemment désespérée, c’est une puissante source de sang-froid, de sérénité et de force d’âme ». La résistante ajoute : « Rien n’est plus effrayant que l’absurde. En faisant la chasse aux fantômes j’avais conscience d’aider un peu, moralement, les plus désespérés d’entre nous. »
Par l’instauration d’une pratique théâtrale régulière au sein du camp concentrationnaire de Ravensbrück, Germaine Tillion injecte non seulement l’élixir du vivant au cœur même du mortifère mais grippe subtilement, patiemment, finement chaque pièces de ce  théâtre des condamnés à mort.
Il s’agit bien, développe Claire Auduit  de  « Continuer d’exister face au désir d’effacement du barbare. »
Preuve d’une germination possible en milieu hostile, Germaine va aider ses codétenues à « Se réapproprier une identité… », à  redevenir elles-mêmes.
Les racines de la culture vont se faufiler, s’immiscer dans les horreurs de pierre, et, par une pénétration lente et patiente venir fissurer les bitumes de la domination, éclater le béton artificiel de l’horreur établie.
Voici repris et transformés – que Claire Auduit me pardonne cette accommodation – les attributs de l’acte transgressif pointés par la chercheuse au regard de l’acte théâtral exercé par Germaine Tillion :


Libération de Paris-Robert Doisneau - août 44- in Marianne


1)       Continuer d’exister face au désir d’effacement du barbare. Redevenir soi-même (rester soi-même). Se réapproprier une identité.  Substituer la vie à la mort.
2)       Comprendre une mécanique qui vous écrase et en déceler les mensonges (1ère arme : l’information.)
3)       Transcender la situation, dépasser l’apparence de blocage.
4)       Se soustraire peu à peu à la domination
5)       Fédérer, galvaniser – Créer une cohésion, une collectivité, une solidarité (camaraderie)
6)       Redonner une conscience politique – Inciter à se battre, s’engager contre le système,
7)       Renverser l’ordre établi


(Nota : Chacun des points sont liés et se rejoignent, seul le point 7 est final.)

Atteint du syndrome de Gilles de la droiture, le courageux hoquette donc d’un engagement sans failles aux valeurs de justice, de liberté et d’émancipation.
Quel qu’en soit le prix ?
Une honnête et parfaite droiture n’exempte pas de critiques, naturellement. Si Spartacus massacre les romains par garnisons, la population aura également fait les frais de la Sincère Férocité de l’Esclave. Le gladiateur n’en demeure pas moins héroïque. Car par-delà les massacres, au-delà du bien et du mal, il est d’abord question de Valeurs supérieures. De vertu. Celle menée contre l’asservissement. Celle de la Libération de ses frères. Celle d’un idéal… de Liberté.


Cynthia Fleury - Les bibliothèques idéales - 
"Connais-toi toi-même mais connais tes limites."
Strasbourg - 20 septembre 2015

La philosophe Cynthia Fleury, dans un passionnant échange avec Raphaël Enthoven consacré au courage chez Hannah Arendt  nous parle de faire :
«Lien avec…
Lien avec l’instant,
Lien avec l’avenir
Lien avec les autres…

Celui qui est courageux, c’est celui qui risque des liens… 
Il s’agit, ajoute-t-elle
De…  Ne pas manquer le monde…»

Spartacus, c’est celui qui risque… Avait-il quelque chose à perdre, objecterez-vous... Assurément, puisqu’une fois libre, il eut pu laisser ses compagnons à leur sort de misère. Mais que, comme chacun le sait, - entier…  hé bien oui, que voulez-vous…-  il ne s’abandonna jamais à cette facilité.
Passons à Jeanne d’Arc… En foulant les braises de l’impossible. En traversant – non sans bravoure – le feu d’une situation présentée comme une impasse, l’Homme valeureux – donc la femme – défend quelque chose.
De fil en épreuves, d’étapes en affrontements, l’anonyme se distingue. Au sens propre. Sa personnalité prend forme. Une singularité se dessine, sort de la masse. A force combats, le « personne » - donc tout le monde voire n’importe qui – devient « quelqu’un » : un « personnage ».  Le visage change alors de statut (et de stature), métamorphose de l’un parmi d’autres en l’unique et souverain « Un » ; la matière de l’individu passe à l’état de figure (laquelle est l’inverse d’un visage).

La transmutation ne va pas sans inconvénients, bien sûr.                
.
A arracher  le chiendent avec les dents, à désherber la crasse, à éliminer  l’abjection humaine, le potager s’aère, l’action devient visible, remarquable. A force résultats, le soldat de la terre ne s’appartient plus. La question étant de savoir s’il ne se fut jamais appartenu ?
Plus il gagne en efficacité, moins il a droit à l’échec. Plus on croit en lui, plus il se trouve dépossédé de lui-même.  Imperceptiblement, le cancre de l’obéissance est porteur d’espoirs… Le garnement sorti du rang représente quelque chose – un impossible en mal de possible, une tranchée sous les barbelés, un rêve derrière le cauchemar, un espoir – allez, mieux que ça, lâchons le mot : un Idéal.   C’est le point d’incarnation exact où l’héroïsme et la personnalité – la figure et le visage – le mythe et l’histoire se confondent.
La renommée dépasse les frontières étriquées du soldat. L’étiquette qu’on a posée sur l’homme prend le dessus sur l’être.
Et là… Attention ! On ne brise pas la géométrie de l’histoire sans être redevable d’une somme. On n’élève pas impunément l’homme au-dessus de l’humain sans être épinglé comme un papillon sur la toile d’une gloire de pierre. Gare au panthéon !

Le symbole supplante l’être.

« Le courage est sans victoire. » écrit Cynthia Fleury. Tout est dit.  Condensation géniale,  la phrase est sublime. Effectivement, il existe une dimension tragique chez l’homme courageux, qu’il se nomme « Grand Homme » ou «  héros d’un dimanche ordinaire » au courage – moins flamboyant – plus anonyme, qu’importe… Cette dernière n’est peut-être pas étrangère au sourire de l’Aurige de Delphe si clairement analysé par Clément Rosset…

« … l’énigmatique figure de l’aurige de Delphes – écrit le philosophe dans …, vainqueur à la course de chars des Jeux pythiques. Son sourire est éloquent mais aussi assez complexe : il y a là, assurément, beaucoup de bonheur ; mais il y a en même temps quelque chose de retenu et de posé dans l’expression qui reflète autre chose que le simple plaisir d’avoir gagné. On peut naturellement interpréter cette réserve de multiples façons. Interprétation psychologique, automatique mais peu probante : il s’agit d’un jeune homme bien élevé, qui a la pudeur de minimiser son triomphe aux yeux du public, lequel n’en pensera que plus de bien du vainqueur, ainsi qu’à la face des vaincus, dont il accroîtra d’ailleurs ainsi le dépit. Interprétation hégélienne : la sérénité grecque n’atteint jamais à la parfaite satisfaction, éprouvant toujours une secrète nostalgie à devoir se contenter de son propre « être-là », lequel s’avère impuissant à prendre totalement en charge, selon Hegel, les destinées spirituelles de l’homme. J’opterais en ce qui me concerne pour une tout autre interprétation du sourire de l’Aurige : y voyant la gravité propre à la joie telle que l’a maintes fois exprimée la sculpture grecque classique ; et plus particulièrement, dans le cas de l’Aurige, l’émotion d’un homme qui s’était préparé à l’éventualité d’un certain bonheur et se trouve soudain confronté à quelque chose de très différent et aussi de plus intense. Non seulement sa satisfaction n’est pas imparfaite, mais elle l’emporte en perfection sur toute prévision. Je dirais volontiers que le ciseau du sculpteur a saisi le regard de l’Aurige à l’instant précis où celui-ci cesse de penser à son bonheur d’avoir gagné pour songer à tout autre chose : à la joie générale qui consiste à vivre, à s’aviser que le monde existe et qu’on en fait part. »

A la pensée – simple mais non simpliste - de l’Aurige tout au sourire d’avoir remporté la partie – tout en adhérence avec l’instant -, on peut opposer la célébration d’une foule en liesse ne voyant parfois en lui que le « vainqueur ». Le champion. L’athlète à fort potentiel de gagne.   

Porte ouverte sur tous les malentendus chargés d’erreurs, c’est le cliché - toutes proportions gardées – de la star réduite à son image, son physique, sa plastique. Représentation en skaï des phantasmes superficiels dont la phrase rance : « Je me suis endormi avec Marilyn Monroe et réveillé avec Norma Baker. » est une infamie  parlante.

Ecartelé entre « Je-suis-plus-qu’une-image » et  «Il-est-plus-qu’un-homme-ordinaire »,
                                                             voici que notre courageux a
                                                                                          L’âme scotchée au vide. 




Achille s'appartient-il encore ?
De quoi est-il le nom ? ... Un extrait parlant.

_____________

1*
2 * Laurent Gaudé Laurent Gaudé– « Dans la nuit Mozambique -  P 20-21 Actes Sud – 2007
ISBN : 978-2-7427-6781-6
Quand « Survivre est un ultime sabotage. »*Germaine Tillion, une ethnologue à Ravensbrück. Dans « la première arme de la résistance n’est pas la mitraillette, c’est l’information. » affirme Germaine Tillion.


Pour accéder à la conférence de Claire Audouit, cliquer sur la phrase.


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Qu'est-ce que le courage en politique ?
Faire un récit, tenter à un destin c’est à moment donné de comprendre qu’il a commencé, ce monde. Et puis de se dire – tiens – je vais participer tout de même un peu à la continuité des choses. On pourrait se dire « tiens, ça ne m’intéresse pas ».


Raphaël Enthoven - Cynthia Fleury 
Photo : Virginie Le Chêne parlant

Cynthia Fleury : Le courage n’est pas un commandement. C’est une liberté du sujet.
Vous avez dit  Foucault « Un dire qui s’oblige »…  pas qui oblige les autres.  En dernière instance l’éthique collective du courage   est une création

Raphaël Enthoven : Ce commencement qui n’est pas un commandement et qu’on appelle le courage. Vous avez parlé de Jankélévitch voici les mots qu’il emploie pour qualifier le courage individuel  Il dit : « victoire sur la lenteur et la terreur. Chute redressée.  Géotropisme transformé en aérienne lévitation. Fuite changée en assaut Le courage proteste contre les mouvements acquis de l’inerte nature par le geste absurde et hasardeux du sacrifice. On peut le dire d’un individu comme on peut le dire d’une société. »
..
CF : Ce qu’il y a en partage et chez l’individu et la société c’est cette vertu cardinale du courage. Arendt dans le texte dit « La première des qualités humaines ». Jankélévitch dira : la vertu cardinale – pourquoi ?- parce que c’est la vertu qui rend opérationnelle les autres vertus » C’est un mouvement. C’est pas une morale au sens d’un dogme ou de quelque chose qui serait raconté avant nous. C’est quelque chose que nous racontons. Et précisément c’est notre dynamique. C’est notre vitalité. C’est notre vitalité en acte. C’est la pensée en acte »

RE : «C’est la pensée en acte...  Bergson disait : il faut penser en homme d’action et agir en homme de pensée. C’est la formule du courage ? »

CF : Oui. Quand même. Ca,  c’est clairement Bergson.

RE : Est-ce qu’on peut parler du courage comme d’un synonyme de la révolte ? Au sens où Camus pouvait dire : «  Je me révolte donc nous sommes. » dans l’homme révolté. Au sens où il situe la constitution d’une société à partir d’une décision individuelle. »
CF : Oui on peut dire ça… C’est plastique le courage donc ce n’est pas nécessairement – obligatoirement - de la révolte… Ca peut être endurer, ça peut être se taire, ça peut être parfois dissimuler. Donc c’est à chaque fois une invention du moment. C’est toujours une intelligence. C’est toujours une phronesis  au sens où c’est d’abord une intelligence le courage … On en a fait quelque chose d’intempestif alors que c’est une intelligence de l’instant de comprendre ce qui se joue là. Et surtout comment on va faire pour que quelque chose se joue demain… de meilleur. Alors que l’on est simplement enfermé là maintenant, tout de suite…

RE : « Vous avez parlé de phronesis est-ce que ça veut dire que d’une certaine manière c’est la prudence. Est-ce que ça veut dire que d’une certaine manière on peut penser le courage comme Aristote pensait la prudence ? [...] La prudence étant pour Aristote de savoir ne pas vivre selon des valeurs absolues - considérant que les affaires humaines ne relèvent pas de la raison pure…  La prudence selon Aristote, c’est avoir le courage de ne pas se mettre soi-même sous la tutelle de valeurs absolues qui sont inadéquates au monde comme il va, au monde comme il devient. Est-ce qu’au fond le courage consisterait - comme la prudence chez Aristote - à savoir naviguer à vue  plutôt que de prétendre détenir l’horizon ?

CF : Très certainement, d’ailleurs les latinistes ont souvent traduit phronesis par prudencia.  La phronesis c’est tout sauf une morale qui serait dictée par ce qui nous précède Et pourtant, ça reste une affaire principielle. Pourtant, vous ne lâchez jamais vos principes. Il s’agit pas de dire « c’est du pragmatique ». Tiens, je vais lâcher mes principes… Tiens, je ne les lâche pas etc. Il s’agit d’assumer ses principes. Et ces principes, c’est du lien avec le sens. Ne pas faire le deuil du sens pour agir. C’est du lien avec  l’avenir. Donc préserver ce contact avec la temporalité qui va continuer après nous. C’est pour cela qu’on n’est pas dans le sacrificiel.. En tout cas pas dans le sacrificiel volontaire. C’est pas ça l’enjeu. L’enjeu c’est de poursuivre. C’est de vivre.
 Et c’et le monde comme disait Arendt.

RE : Pour être un saint, il faut vivre.

CF : L’enjeu c’est ne pas manquer le monde… Alors certes le souci n’est pas nécessairement de la vie… le souci de la liberté. En langage Socratique, «La vie  qui vaut d’être vécue ». Donc c’est ça : lien avec l’avenir. Lien avec le sens. Lien avec les autres.  Parce que… effectivement, on peut être banni. On peut risquer le « délien »…. Celui qui est courageux, c’est celui qui risque le délien…Et là, de fait, dans le texte d’Arendt où « chacun des hommes libres put s’insérer par la parole et par l’action. » On voit très bien que le courage est le premier acte d’intégration dans le monde commun. C’est être un commun. 

RE :  J’en reviens à la phrase : « Le courage libère les hommes de leur souci concernant la vie au bénéfice de la liberté du monde. » Quelle différence faut-il faire entre la vie et le monde ici ? Est-ce c’est tout simplement la différence entre l’égoïsme et la sollicitude ? Et le fait de penser à autrui avant de penser à soi ?


Passage 55 :
CF : Nous pouvons passer notre vie à ne pas vivre notre vie. Notre vie, c’est la rencontre avec le monde. Ca n’est pas simplement un dialogue un peu triste avec soi-même. Nécessairement, c’est le dialogue avec les autres, c’est le troisième lien

Intelligare affaire d’intelligence. Affaire de faire des liens.  Intelligare, ça veut dire faire du lien. Et faire du lien avec les autres. Créer du nous sans cesse. Et c’est ça faire monde. Ne pas manquer le monde. Ne pas manquer ce qui surgit. Ce qui va surgir demain

[…]


Le débat est là. Le débat est sans doute dans notre tempérament paresseux.
Avez-vous une paresse à faire ou une paresse à ne pas faire ? Moi, j’ai plutôt une paresse à faire… C’était trop lourd de ne pas faire…

RE : Vous avez cédé à la facilité…


Passage 56 :  [Le Courage de chaque instant… ]

16 min :
RE : Comment fait-on pour reconnaître le courage ?

Il n’y a pas de solutions [pour le courage] d’emblée comme ça…

On donne une définition du courage qui est erronée dans le sens où… Le courage ce serait à l’instant T… Ce serait le déclic…  Ce serait tout d’un coup le geste qui va sauver… Ce n’est pas ça… Le courage c’est toute une histoire. Comment éviter le drame qui se prépare ? … On ne l’évitera pas.
Il renvoie à un continuum. Une quantité de choses qui sont faites… ce qui fait qu’à un moment donné une mécanique se met en place.
Ca ne veut pas dire que la bataille est perdue pour toujours.
C’est de chaque jour veiller à ce que une mécanique. Une systématique dénuée de sens ne prenne pas la main tous les jours. Et ça c’est un travail journalier. Parfois, on peut saisir l’instant et le renverser. Mais précisément, il faut en faire une affaire d’éducation.
Pour ne pas être dans cette obligation du pied du mur. Qui existe, qui est une définition aussi du courage mais qui n’est pas l’exclusif du courage.

Comment on fait pour reconnaître le courage ?

Dans reconnaître, il y a connaître. Et connaître, c’est une affaire d’éducation.
Plus tôt, on apprend à reprendre la main sur son langage, à reprendre la main sur les mots, à se dessaisir de la question communicationnelle, à se dessaisir de la société du spectacle. C’est quelque chose qui est de longue haleine. Alors qu’on en fait (claquement de doigts) : un instant T.

RE : Il faut dédiaboliser l’histrionisme et prendre son discours au sérieux afin de le démonter patiemment ?

CF : La télévision est rompue à cet exercice de fausse urgence de slogans sur slogans… Ici, nous sommes dans un espace parrèsiastique. …C’est-à-dire que nous tentons de discuter ensemble de choses qui nous importent, qui renvoient à notre destin commun. Et en même temps, nous tentons de dire des choses parfois désagréables. Parfois difficiles… Nous prenons un peu de temps long.
Dans un espace parrèsiatique le temps s’étire. C’est-à-dire que nous allons rester ensemble – quoi ? -  une heure… Un peu plus… Et en fait, nous allons rester ensemble beaucoup plus longtemps. Et c’est ça qui est intéressant, c’est que tout à coup nous créons un espace temps. Et cet espace–temps va porter chacun de nous ailleurs.
Face à la télévision… Je ne veux pas diaboliser la télévision. Face à une certaine manière de réduire l’espace parrèsiastique, au contraire de recréer du jeu de la parrésia au sens de Foucault.

RE : C’est-à-dire que quand Arendt parle de monde. Une des possibilités du monde qu’elle décrit c’est la persistance de cette communauté au-delà de sa dissolution à 16h30 ?

CF : Tout à fait.

Passage 57 :   20 min
Ce n’est pas une science. Ce n’est pas un savoir…
Une fermeté réfléchie. C’est là où il y a une parenté entre le courage et la pensée. C’est une fermeté d’âme. Avant d’être physique, c’est avoir une fermeté d’âme. C’est la question majeure des dialogues de Platon. Cette fermeté d’âme elle va sans cesse revenir.  Etre philosophe, c’est tenir la fermeté d’âme dans des situations qui précisément voudraient soit le déstabiliser, soit le séduire.
Le courage a une définition bien plus importante que celle d’être simplement sur le champ de bataille. Effectivement sur les questions de peur… La peur n’est pas antinomique du courage. Le   premier contact avec le courage c’est la peur. Il n’y a pas de courage pour celui qui n’a pas peur. Le courage n’est pas une affaire d’intempestivité ou d’insouciance ou d’inconscience. Il faut être profondément conscient. Profondément également dans la prudence. Et le courage c’est pas cette affaire de rigueur, par exemple, c’est pas cette affaire de médecin. Le médecin n’est qu’un tiers dans cette histoire.

Cette endurance de l’âme.
Le courageux, c’est celui qui est.


Cynthia Fleury - 20 septembre 2015





La base de la juste individuation, c’est la bonne compagnie .
S’étonner. Parler.  Construire un temps parrêsiastique. Développer un jeu de paroles. Dialoguer afin de bâtir du monde commun.
(D'autres vidéos de la conférence sur Youtube)

Emission de Raphaël Enthoven sur le courage et l'héroïsme. 
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http://fr.wikipedia.org/wiki/Phronesis
La Phronesis (φρόνησις en grec ancien) est un concept philosophique. Employé en particulier dans l'Éthique à Nicomaque1, ce terme a été traduit en « prudence » par Jules Tricot. Une traduction récente, de Richard Bodéüs, a choisi de le traduire par « sagacité ». En anglais, il est le plus souvent traduit par « practical wisdom » (« sagesse pratique » ; par opposition à la « sagesse théorétique »2 bien que le mot « prudence » est aussi parfois utilisé. L'exposition de la « prudence »3 est particulièrement complexe lorsqu'on entre dans les détails, et suscite encore bien des débats parmi les commentateurs.

 « La résistance est un état d’esprit : on peut l’exercer à tous moments. » nous dit Claire Auduit, chercheuse en art du spectacle à l’université de Strasbourg. Dans ce théâtre des condamné(e)s à mort, « la première arme de la résistance n’est pas la mitraillette, c’est l’information. » affirme Germaine Tillion.
Quelques grenades lancées par l’ethnologue déportée à Ravensbrück dans son combat mené contre la barbarie :
« Survivre, notre ultime sabotage. » Ou encore : « Comprendre une mécanique, qui vous écrase, démonter mentalement ses ressorts, envisager dans tous ses détails, une situation apparemment désespérée, c'est une puissante source de sang-froid, de sérénité et de force d'âme ». rien n’est plus effrayant que l’absurde. En faisant la chasse aux fantômes j’avais conscience d’aider un peu, moralement, les plus désespérés d’entre nous. »
Dans cette excellente conférence de Claire Audouit,, vous pourrez également savourer les extraits suivants :

Transgresser, comprendre.
8)       Déceler les mensonges (1ère arme : info) Comprendre une mécanique qui vous écrase.
9)       Transcender la situation, dépasser l’apparence de blocage ; Se soustraire à la domination
10)   Fédérer, galvaniser – Créer une cohésion, une collectivité, une solidarité (camaraderie)
11)   Redonner une conscience politique – inciter à se battre, s’engager contre le système,
12)   Redevenir soi-même (rester soi-même). Se réapproprier une identité - Continuer d’exister face au désir d’effacement du barbare
13)   Substituer la vie à la mort.
14)   Renverser l’ordre établi

Heini Walfisch :
« Nous avons fait du théâtre à Gurs, ... 
Le monde s'estompait derrière les barbelés. ...
Nous avons joué pour rester en vie, personne ne sait ce que cela veut dire vraiment.... 
Nous avons ranimé les désespérés,
rendu courage,
redonné espoir et foi. »


Ou encore « L’empereur d’Atlantide ou le refus de la mort » de Viktor Ullmann

Esprits nomades.





Heini Walfisch : « Nous avons fait du théâtre à Gurs, ... Le monde s'estompait derrière les barbelés. ...Nous avons joué pour rester en vie, personne ne sait ce que cela veut dire vraiment.... Nous avons ranimé les désespérés, rendu courage, redonné espoir et foi.




                … l’énigmatique figure de l’aurige de Delphes, vainqueur à la course de chars des Jeux pythiques. Son sourire est éloquent mais aussi assez complexe : il y a là, assurément, beaucoup de bonheur ; mais il y a en même temps quelque chose de retenu et de posé dans l’expression qui reflète autre chose que le simple plaisir d’avoir gagné. On peut naturellement interpréter cette réserve de multiples façons. Interprétation psychologique, automatique mais peu probante : il s’agit d’un jeune homme bien élevé, qui a la pudeur de minimiser son triomphe aux yeux du public, lequel n’en pensera que plus de bien du vainqueur, ainsi qu’à la face des vaincus, dont il accroîtra d’ailleurs ainsi le dépit. Interprétation hégélienne : la sérénité grecque n’atteint jamais à la parfaite satisfaction, éprouvant toujours une secrète nostalgie à devoir se contenter de son propre « être-là », lequel s’avère impuissant à prendre totalement en charge, selon Hegel, les destinées spirituelles de l’homme. J’opterais en ce qui me concerne pour une tout autre interprétation du sourire de l’Aurige : y voyant la gravité propre à la joie telle que l’a maintes fois exprimée la sculpture grecque classique ; et plus particulièrement, dans le cas de l’Aurige, l’émotion d’un homme qui s’était préparé à l’éventualité d’un certain bonheur et se trouve soudain confronté à quelque chose de très différent et aussi de plus intense. Non seulement sa satisfaction n’est pas imparfaite, mais elle l’emporte en perfection sur toute prévision. Je dirais volontiers que le ciseau du sculpteur a saisi le regard de l’Aurige à l’instant précis où celui-ci cesse de penser à son bonheur d’avoir gagné pour songer à tout autre chose : à la joie générale qui consiste à vivre, à s’aviser que le monde existe et qu’on en fait part.

P 42 : Crépuscule des idoles : Increscunt animi, virescit volnere virtus, « la blessure stimule et redonne courage » - à moins qu’on ne préfère le huitième aphorisme des Maximes, et traits qui servent d’introduction au même recueil : « Appris à l’école de Guerre de la vie : ce qui ne me tue pas me fortifie. » …
(pas de choix : faire front – face – affronter ; combat => affirmation de soi . Sauf que… pis aller… )

P 42 -43 : Aphorisme 225 : « La culture de la souffrance, de la grande souffrance, ne savez-vous pas que  c’est là l’unique cause des dépassements de l’homme ? Cette tension de l’âme dans le malheur, qui l’aguerrit, son frisson au moment du grand naufrage, son ingéniosité et sa vaillance à supporter le malheur, à l’endurer, à  l’interpréter, à l’exploiter jusqu’au bout, tout ce qui lui a jamais été donné de profondeur, de secret, de dissimulation, d’esprit, de ruse, de grandeur, n’a-t-il pas été acquis par la souffrance, à travers la culture de la grande souffrance ? »
[Non - Question de sensibilité et non de souffrance. Idée d’opposition ]

P 43 Aphorisme 270 : « On peut presque classer les hommes d’après la profondeur que peut atteindre leur souffrance. »

P 49 : … toujours dans « Le cas Wagner » et à propos de Carmen, comme par un effet lui-même bienheureux du bonheur dispensé par l’écoute musicale, soit comme une réflexion suscitée par le bonheur musical et qui n’aurait jamais été ainsi « réfléchie » sans l’appoint de ce dernier : « Comme une telle œuvre vous rend parfait ! On en devient soi-même un « chef-d’œuvre »… Et, de fait, chaque fois que j’ai entendu Carmen, je me suis senti plus philosophe, qu’il ne me semble d’habitude : rendu si indulgent, si heureux, si indien, si rassis… A-t-on remarqué à quel point la musique rend l’esprit libre ? Donne des ailes à la pensée ? Que plus on devient musicien, plus on devient philosophe ? … Le ciel gris de l’abstraction comme zébré d’éclairs ; la lumière assez forte pour faire apparaître le filigrane des choses ; les grands problèmes si proches qu’on croirait les saisir, le monde embrassé du regard comme du haut d’une montagne. Je viens de définir la passion philosophique. » (Accomplissement passe par l’apaisement – non le combat – l’acte créateur réclame une certaine « sérénité »  

mardi 22 septembre 2015

"Connais-toi toi-même mais connais tes limites" Cynthia Fleury et Jean-Richard Freymann, les "Bibliothèques idéales" - Strasbourg du 20 septembre 2015.


Jean-Richard Freymann et Cynthia Fleury
Photo : Virginie Le chêne parlant

Qu’est-ce que l’individuation ?

L’individuation est une tentative d’être responsable.
Une tentative d’irremplacibilité…  Ce qui n’a rien à voir avec un égocentrisme démesuré. La question touche à la singularité. « C’est prendre sur soi la part d’accès au réel. »
Alexis de Tocqueville a posé une « Equation des travestissements démocratiques ».  Ce dernier a saisi que dans la démocratie, la démocratie occidentale, un principe se transforme en passion.  Passion de la liberté, exercice de toute puissance. Principe de l’égalité, passion de l’égalitarisme.
 Alexis de Tocqueville, précise Cynthia Fleury dans « Les pathologies de la démocratie : « a en effet, mis le doigt sur le phénomène – typiquement démocratique – de l'assimilation entre liberté et libéralisme, entraînant la dissolution progressive de la notion d'intérêt général, ou encore de ce que Robespierre appelait « la morale publique ». Il a parfaitement vu que le citoyen, pour mieux s'individualiser, pratiquerait la surenchère des valorisations identitaires et sécessionnistes. Edgar Morin l'a lui aussi souvent souligné : l'individuation n'est pas l'individualisme. Et seule la première est au fondement des démocraties naissantes.»1*.
Principe d’individuation où la passion de l’individuation devient l’individualisme. La philosophe ajoute : « Entre démocraties naissantes et démocraties adultes, la conception de l'égalité s'est modifiée : aujourd'hui, on n'est pas « égal » parce que similaire, on est « égal » parce que différent. Si pour Tocqueville, « le fait majeur » des démocraties était l'effacement des distinctions » [Serge Audier, Tocqueville retrouvé. Genèse et enjeux du renouveau tocquevillien français, Paris, Vrin/ EHESS, 2004, p 71] , il n'en va pas de même pour tout observateur du régime démocratique actuel : le « fait majeur » renvoie à la cristallisation et à survalorisation des différences culturelles et identitaires. Le projet est sans nul doute séduisant – le droit à la différence étant un principe démocratique essentiel -, mais les risques de segmentation de la société s'en trouvent aussi démultiplié. » 2*
Dans cet univers d’égalisation, la plus petite inégalité – s’étonne Tocqueville -  blesse l’œil.
Connais-toi toi-même ça veut dire : tu n’es pas monde… Tu es manquant. Comment sublimer ce manque ? En faisant lien. Lien avec les autres, lien avec soi-même. Il s’agit également de devenir « adulte être soi-même en autolimitant le déploiement de ce « soi-même »  ; en un mot, surveiller sa toute-puissance. »3*


Extrait numéro 1 de la rencontre de Cynthia Fleury et Jean-Richard Freymann 
"Connais-toi toi-même mais connais tes limites" 
ayant eu lieu lors de la manifestation strasbourgeoise des "Bibliothèques idéales" - 
incertitudes du 20 septembre 2015.

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Cynthia Fleury, Les pathologies de la démocratie, Fayard, 2005, ISBN : 2-213-62322-8
1* p 105.
2* p 82- 83.
3* P108 : « Ainsi, atteindre l'âge adulte, c'est assumer la singularité de sa personnalité sans peser sur celle des autres, comprendre que le « souci de soi » passe par la découverte de sa nuisibilité naturelle. Être adulte c'est être soi-même en autolimitant le déploiement de ce « soi-même »  ; en un mot, surveiller sa toute-puissance. »

P 104 : De fait, Antoine Rédier, souligne que Tocqueville, contrairement aux libéraux, juge nécessaire que tous les esprits soient astreints à certaines limites dans le domaine spirituel, de sorte que la société demeure unifiée par des croyances communes.
PP 104- 105 : Note bas de page : Je nous crois spontanément tous « libéraux » et de droite : nous avons tous le souci naturel de veiller à notre préservation, de nous préférer toujours à autrui sans réelle mauvaise intention, de faire tout ce qu'il y a en notre pouvoir – au risque que cela entre en concurrence avec l'intérêt d'autrui – pour nous « conserver » de la meilleure des façons possibles. Dans sa version digne et impérative, cela s'appelle le conatus, cet « appétit de vivre » qui, selon Spinoza, s'identifie à l'appétit de soi. Mais si naturellement « libéral » et de droite fait sens, je vois mal comment cela fait sens politiquement, voire intellectuellement. A moins d'œuvrer à faire en sorte que ce souci primordial tourne à la caricature. Bref, de ce point de vue, je perçois mal la pertinence et la valeur politiques de voter à droite. Faire de la politique, résister au libéralisme ou voter à gauche n'est-ce pas considérer que le travail du politique consiste précisément à rééquilibrer les tendances naturelles et à veiller à ce que le naturel ne dégénère pas ? Faire de la politique, c'est lutter contre l'entropie naturelle et non la renforcer. 

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Vidéo 2 :
Qu’est-ce que le courage ?
Quand le chemin de l’érosion est interminable, vous devenez vulnérable.

Vous n’êtes même pas une ressource pour vous-même. Or le courage – contrairement à ce que l’on entend souvent - a un effet de protection du sujet.





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Vidéo 3 

« Nous sommes d’un âge immense. » Gustave Young
Un individu est capable de circuler dans le temps, de faire lien avec le passé.
Le terme d’individuation est intéressant car il est en face à face avec celui d’individualisme. On se dit tiens… pourquoi individuation et pas individualisme ?

L’individuation est ouverture, l’enjeu de la personne confine à celui du lien. Il y a des jeux de force.


  


Vidéo 4 :

La base de la juste individuation, c’est la bonne compagnie.

S’étonner. Parler.  Développer un jeu de paroles. Dialoguer afin de bâtir du monde commun. 






Apprendre ? Faire de l’exploration, du comprendre, du tâtonnement un saisissement ? Robin Renucci.

Quel rôle joue l'école dans la construction de  l'individu, du citoyen, de l'acteur ? Peut-on concilier art d'apprendre et pratique artistique ? 




L’école idéale, nous révèle l’acteur Robin Renucci, serait celle « de la contemplation. Celle qui élève, ne nous met pas en compétition. » Une école où l’Art se fait non seulement outil d’éducation mais arme d’émancipation. Un lieu, un temps, où l’écoute de l’autre, des œuvres, fait grandir. Un moment d’échanges privilégiés et de gratuité préservée.
Une skhole, précise-t-il.  
Un sanctuaire, en d’autres termes, où des gouttes de « culture active » parfument  l’ensemble des apprentissages du zeste du désintéressement, l’aromatisent du plaisir exigeant et induisent un goût immodéré pour la profondeur.
Il est important, ajoute le réalisateur, de « Faire des petites pas de côtés », «de contourner, de détourner les choses afin de se mettre en situation, en pratique. »
Suivre des chemins buissonniers qui, par les méandres de la pensée qu’ils provoquent – voire imposent -, loin ralentir celui qui les emprunte le font  progresser.  Route en dentelle de tremblements, bouleversant le regard, inversant les clichés, accroissant la vision du paysage de mille points de vue différents.
Un secret de longévité à la Ali Badou, gardant :
-          Une curiosité d’enfant
-          Des interrogations d’adolescents.

Certes, peut-on se perdre en ces lieux non balisés. Emprunter un chemin erroné. Se tromper de direction. Voire aboutir à une impasse.
Tant mieux !  
L’erreur est ce qui nous fait progresser, défend-il. Tomber permet de se relever, d’aller plus loin, plus haut.  
     
N’est-ce pas tout simplement, la définition de l’apprendre ?
Faire de l’exploration, du comprendre, du tâtonnement des saisissements ?

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Association Aria :

http://www.ariacorse.net/fr/



Robin Renucci - Photo Le chêne parlant

Merci de son accord gracieux.





mercredi 16 septembre 2015

Je suis Charlie ça signifie : « Je ressens une douleur qui m’a été épargnée. » Raphaël Enthoven


Parfois, des gouttes de sensibilité s'écrasent sous les semelles de l'humain bitume.
C'était peut-être le sens du formidable élan ayant rassemblé des milliers de personnes.



Raphaël Enthoven - Photo : Virginie - Le Chêne parlant

Le philosophe Raphaël Enthoven s'exprime sur cette expression "Je suis Charlie" à la fin de la vidéo 4 présentée ci-dessous.

Virginie : Que pensez-vous de la minute de  silence ?

Raphaël Enthoven : C’était une explication de texte.

Les gens ont compris « je suis Charlie » comme j’adhère aux dessins de  Charlie hebdo ». Personne n’est obligé d’aimer les dessins de Cabu, de Volinsky…  Personne n’est obligé d’aimer ça.
Dire « je suis Charlie », ça ne veut pas dire « Je suis Charlie hebdo », ça ne veut pas dire « J'adhère à Charlie Hebdo. » ça veut dire  « Je m’abonne à Charlie Hebdo… » Ça veut dire   : « J’ai un peu pris la balle qu’on t’a tirée dessus » Je suis un peu à ta place
Dire « Je suis Charlie » : ça veut dire c’est  moi qu’on a blessé - aussi.
C’est une façon de souffrir des douleurs qui nous sont épargnées.

La minute de silence, c’est une façon non pas seulement de respecter ou de rendre hommage à ceux qui ont perdu la vie ou ont été victimes de la barbarie.
Derrière cet hommage, il y a des individus qui – en un sens - sont morts pour nous. Et presque à notre place. Et qu’il faut se mettre à leur place. Et le fait de se taire, c’était une façon de se mettre à leur place.

Ça signifie :  « Je ressens une douleur qui m’a été épargnée. », et la minute de silence disait ça.

La responsabilité d’un enseignant, ce n’est pas de dire « Regardez, soyons plus attentifs.

Des gens ont été tués par ce qu’ils sont ce qu’ils sont.












A propos de... 
 4 - L’indignation

Imposture d’un phénomène capitaliste.
Phénomène publicitaire marchand, capitaliste – au sens le plus trivial du terme. Qui consiste à flatter en chacun le sentiment que l’on ne se satisfait pas du monde comme il va.
Comme si il suffisait de s’indigner pour ne pas être content… Ou comme si il suffisait de s’indigner pour changer quelque chose…

L’indignation est un phénomène publicitaire dont le contenu est aussi confus que la revendication sommaire, rudimentaire. L’indignation consiste à pas être « content ». Il y a mille façons de ne pas être « content ». L’indignation préempte la totalité des mécontentements et en fait une valeur. Comme si on pouvait faire une valeur d’un mécontentement  qui lui-même par définition en fait des caractères varie en fonction des circonstances des lieux et ceux qui sont mécontents.
           

C’est une forme, c’est une façon de puiser dans le hiatus du monde comme il devrait être et du monde comme il est, l’aliment de sa rage.
En aucun cas l’indignation ne change quoi que ce soit.
L’indignation a juste permis de s’enrichir sur ceux qui ont su spéculer sur le sentiment qu’il suffisait de s’indigner pour ne pas se satisfaire du monde.
L’indignation est une prothèse : c’est une façon de s’endormir en criant.  C’est une façon de se laisser faire en criant.

C’est une modalité vindicative, belliqueuse, marchande, mercantile et publicitaire du sommeil de  la raison.

L’indignation recourt des appartenances tout à fait opposées, le simple  fait que l’indignation soit une manière et non une matière - puisqu’on peut s’indigner d’une chose et de son contraire - ce seul fait là qui débouche sur la confrontation, sur le dialogue de sourd entre deux modalités de l’indignation qui n’ont rien à se dire sinon qu’elles s’indignent. Ce seul fait là me semble en soi promettre l’indignation à une sorte de succès éternel.
C’est un succès commercial. C’est un succès marchand. Je suis impressionné  par ceux qui savent spéculer là-dessus. Je suis admiratif de la façon dont le cynisme s’empare de l’indignation pour en faire un objet marchand.
Ca m ‘intéresse beaucoup.
Et, en revanche, là où ça m’énerve un peu … c’est cette réduction absolument inique de l’indignation à la révolte ; de la révolte à l’indignation. Considérer qu’il suffit de s’indigner pour se révolter c’est absurde.
L’indignation donne bonne conscience.
La révolte, c’est ce qui produit le sommeil du juste.
Le sommeil du juste - Gary dit «  Le sommeil du juste, c’est pas le truc qui vous fait dormir, c’est le truc qui vous empêche de dormir. C’est le truc qui vous Fait souffrir, c’est le truc qui vous donne mal au monde entier » 
L’indignation, c’est le truc qui fait que quand on a manifesté toute la journée -  on dort tranquille ; parce certes le monde ne va pas mais au moins on le lui a dit.

La révolte est une inquiétude.
L’indignation est un confort. Un confort de pensée et un confort existentiel
La révolte me semble davantage relever d’une inquiétude véritable. Qui pose toute une série de problèmes dont notamment sa conversion en inquiétude collective, c’est le cogito camusien « Je me révolte, donc nous sommes. »
La révolte me semble plus intéressante que l’indignation.
L’indignation est intéressante par la tranquillité.
La tranquillité fut-elle vindicative qu’elle garantit à celui qui la promeut, la brandit et en fait commerce

Propos recueillis par Virginie – Le chêne parlant