mercredi 19 août 2015

Montaigne à fenêtre ouverte, Jean-Yves Puilloux et Raphaël Enthoven sur les chemins des essais.



Jean-Yves Pouilloux

Les essais bruissent des doutes, contradictions, avancées, reculades, allongeailles de son auteur : Sieur Michel de Montaigne.
« Quand je danse, je danse : quand je dors, je dors. Voire, et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps : quelque autre partie, je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moi. » (1726)
Une force émane de ce livre ordonné.
Sont-ce les centaines de segments, les pans entiers de vie, les intrusions variées d’anecdotes, les citations qui murmurent si près de l’oreille ?


Le plafond de Montaigne.
Photo : Le Chêne parlant

« J’aime que les mots aillent où va la pensée. » écrit Montaigne.
Le griffes, ratures, ajoutent.  On entend - le craquement des feuilles noircies.
Les gravillons sur lesquels marche l’écrivain font des allées familières.



Pan de bleu sous le ciel de Montaigne
Photo : Le chêne parlant 

Montaigne débute de nulle part, sinon du lieu de sa naissance, l’œuvre plane de l’histoire du périgourdin, maire Bordeaux , seigneur de Montaigne, un être non pas pédant mais vivant. Non pas homme – encore moins avide de pouvoirs, de médailles, de gloire vaine - mais mortel.




Photos : Le chêne parlant

Spécialiste en rien sinon en pensées.
Plein du désir solide de cheminer.
« Et quand personne ne me lira ».
Cette sentence pourrait assurément augurer de l’avenir.
Le public – nous, c’est-à-dire un dérivé du peuple – n’estime point les jugements de soi sévères. Nous ne sommes points prompts à respecter l’humilité.
Qu’un esprit plein juge ses qualités propres avec froideur, dureté, rectitude, ne se laisse rien passer et voici que son manque d’arrogance nous agace, nous aveugle.
Aux bourreaux de soi aux lames tranchantes, nous préférons les lectures légères.
Nos regards changent de point du vue. Nous ne voyons plus en lui que sa mémoire erratique. Ses doutes. Ses réflexions buissonnantes. Son manque d’affirmations.
Son refus de faire système, de créer des concepts en font un philosophe trop ordinaire. Sa simplicité, ses allongeailles, ses pillotages, son scepticisme en font un écrivain faussement simple, atypique. L’homme, finalement, n’est pas si net, ni si passionnant. L’intérêt se détourne. 

Montaigne – pourtant – est un empoisonneur.
Son texte est un discours à livre ouvert. L’oral cultivé de pensées.
L’équilibre de ses réflexions, limpides, font d’intenses paysage. Et c’est vrai, que tout de suite, l’esprit traverse l’univers vif, réel, cocasse, sincère de ce gentilhomme - mieux : honnête homme. Ses introspections organiques, ses doutes font nos préoccupations : plus vibrants, étonnants, modernes que n’importe lequel de notre ordinaire.

L’œil éveillé. La respiration de Montaigne est un « miroir cognitif » puissant déclencheur de pensées.
Les branches vives de ses objections, dénonciations des clichés, se contorsionnent violemment pour atteindre la lumière de notre conscient. J'observe que...  nous  tendons l’oreille pour entendre… le souffle dense de son esprit parle tel un discours égocentrique à livre ouvert 1*. 


On ne peut pas oublier ça, ce frôlement des idées. Immédiatement, le cheminement saute à l’esprit.

                           Montaigne, c’est de la pensée à portée de vue.


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Les Nouveaux chemins de la connaissance –




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Jean-Yves Pouilloux est professeur de littérature à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Il est spécialiste de Montaigne, de Rabelais et de littérature contemporaine (Queneau, Borges...).




Sciences humaines - Pensées et langage.


Persée - Pensées et langage


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1* - p 26-27 : Pour Vygotski, il n’est pas vrai que le langage égocentrique atteste le caractère initialement asocial de l’enfant et dépérisse à mesure que l’enfant se socialise. Il montre au contraire, sur une base expérimentale, que le langage égocentrique du jeune enfant est d’emblée social et que, loin de dépérir, il se transforme par la suite en langage intérieur, jouant un rôle de médiateur dans la formation de la pensée verbale au cours de l’activité pratique de l’enfant.


Lev Vygotski – Pensée et langage – La dispute. Paris 1997 ; Isbn : 2-84303-004-8

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