Un tableau est-il simple objet pictural - comme une lecture rapide semblerait l’indiquer ? Ou, dans la complexité des sujets étudiés, dans la forme des éléments présentés, ne constitue-t-il point un formidable miroir sociétal ?
L’Art serait-il le reflet d’une époque ?
La conservatrice du Musée des Flandres à Cassel, Sandrine Vézilier, se propose de mettre en regard connaissances scientifiques et exécution plastique. A travers diverses représentations, la commissaire d’exposition évoque une véritable mémoire culturelle.
Son expertise – effectivement - ouvre des pages de connaissance à savoirs multiples, dépasse les frontières de l’évidence.
Développements… L’époque contient toujours l’essence de son esprit.
Pour le dire autrement, une représentation ne peut être séparée de son auteur. Lequel a pour horizon la science et les savoirs dont il dispose.
La question étant de savoir comment lire une iconographie d’allure simple où un animal – en outre, si bien représenté – ne semble donner à voir que lui-même...
De fait, ce qui est assez extraordinaire, évoque-t-elle, c’est de constater qu’il n’en est rien.
Car enfin, à l’époque où l’on pensait pouvoir parcourir quatre continents et guère plus… Voyager. Observer des animaux n’était chose ni aisée ni courante.
Certes, pouvait-on s’inspirer des ménageries royales. Ou encore, le peintre pouvait-il s’appuyer sur des planches scientifiques. Illustrations, certes remarquables, mais comportant des souriantes erreurs. Parmi elles, des phoques aux nageoires improbables, des insectes chimériques ou encore des coquillages de belle imagination.
Néanmoins, il serait tout aussi erroné de tout moquer. Dans un dix-septième siècle où les sciences, la curiosité, le désir de découvrir le monde jouent des rôles non négligeables, le microscope fait des adeptes. L’exotisme laisse place à de belles explorations et à de réelles observations, prodiguant aux peintures d’insectes un réel intérêt scientifique.
16 novembre 2016 Musée d'Histoire Naturelle de Lille
L’écoute, la réception, l’abandon
aux sens sont vécus comme lieux de l’inutile, instants où la passivité offre un
paysage sans intérêt à perte de temps.
Comment, dès lors, provoquer des
partages affectifs ? Comment sentir l’espace ? Allumer l’étincelle du
vivant ? Comment voyager en terre de saisissement ? Convoquer cette lueur
clandestine où bouillonnent les vapeurs sensitives ? Spirituelles ?
La Directrice du Centre d'Etude des Arts
Contemporains, Anne Boissière, bat la pensée au rythme de l'émotion, de la
finesse et de l'affectivité, voit le mouvement comme principe de résonance, de
vibrations.
Place au saisissement.
Plein des dimensions primitives de
pensées, on se laisse gagner par de salutaires arrêts sur vitesse.
Pause.
Enfin, se poser. Se reposer. Etre là.
Anne Boissière- Cité philo - Photo Virginie Le chêne parlant 12-11-16
Traversée :
Walter Benjamin voit dans la « Narration »,
un mode de communication : le lit d’un partage affectif, tout en rapport à
l’autre. Accordage. Contact.
La réunion d’une communauté.
La narration organise une
relation entre les hommes, évoque la professeure d'esthétique à l'Université de
Lille 3. Le narrateur écoute et transmet, fait part de son vécu et de ce qu’il
ressent. Organise une relation langagière effective, un « champ de présences »
, une tonicité où la pulsion des mots est une impulsion vers l’autre.
Effectivement, les mots du poète sont
la preuve d’une certaine unité cérébrale... L'essence d'un texte peut enivrer. Montrer, guider, ouvrir tout en fermant les yeux.
Voyage vers l’ici où la parole est humaine et la pensée saisissante.
Là où le roulis du texte peuple l’instant d’instants. Là où l’on ne se préoccupe ni de faim ni de soif. Là où le moment vous emmène avec soi et vous tient par l’esprit. Des flots d'images adviennent. Le courant emporte.
Gagne en partage d’instants. Nous rend tout-à-fait ensembles, présents à autrui.
J’ai déployé tous mes efforts pour arriver à un point
Où je ne sache plus à quoi je pense, à quoi je rêve,
Ni quelles sont mes visions.
Il me semble que je rêve de toujours plus loin,
Et de plus en plus le vague, l’Imprécis, l’invisionnable. »
Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquilité, p 262.
Edward Hopper - Nighthawks (Domaine public)
Wanderer’s Nightsong de Johann von Goethe est une des poésies préférées de Hopper, souvent lue à voix haute : Hopper - gas
"Sur tous les sommets tout
Est tranquille maintenant,
Sur toutes les cimes d’arbre
Ecoute, toi
A peine un souffle ;
Les oiseaux sont endormis dans les arbres :
Attends, bientôt comme ces derniers
Tu te reposeras."
Edward Hopper –
Lumière et obscurité 1) p 162-163.
Guinilla Lapointe
Le mouvement de la modernité implique puissance, agitation, vitesse, grandeur, technique. L’interprétation du siècle réduit à son hubris pour être vraie est un peu courte.
L’effet contemporain réside dans l’expansion du tout possible - à grande échelle. La modernité procure un effet original : celle d’une vie auto-réalisatrice. L’idée d’une intelligence créatrice du chemin qu’elle emprunte, d’un individu obsédé par la construction de son destin, architecte de son avenir – du fatras vous accompagnant jusqu’à la mort, communément appelé « Vie ».
Vidéo pédagogique sera désactivée ou enlevée sur demande.
Conférence de Gunilla Lapointe (pardon pour l'écorchure du prénom dans la vidéo) du 16/12/12
donnée à l’Auditorium du Musée des Beaux Arts de lille (PBA)
intitulée : « Invitation à l’Art : Edward Hopper. »
Merci à Gunilla Lapointe pour cette gracieuse conférence
ainsi que son élégant accord à la mise en ligne des vidéos.
Merci également à la Présidente des «Amis du Musée »
Naturellement, métamorphoser l’imaginaire rêvé en réalité sonnante et trébuchante, bâtir la pyramide de son ambition sur les bases de son libre arbitre, relèvent d’un morceau de bravoure.
L’entreprise réclame une énergie phénoménale – une hardiesse – un vouloir incommensurable.
Aussi l’infortuné ne ménage-t-il pas ses efforts pour gravir l’Everest de sa liberté, c’est-à-dire non seulement décider de sa voie mais dessiner son chemin, faire advenir ses idées de grandeur. Sa folie consiste à se dissoudre tout entier dans l’obsession de ses perspectives, de self-made-man le voici devenu self-made-avenir – esclave de lui-même, il s’abandonne aux renoncements, creuse sans relâche, pousse inlassablement le granit de ses désirs. Le projet nécessite une ascèse stricte. Un travail rigide – sans s’écarter d’un régime déraisonnable - intégral. Qu’importe, puisqu’au bout de l’horizon brille la lueur du lendemain rêvé.
La réalité pour Hopper, c'est la reconnaissance à 42 ans, c’est passer par des ébranlements. Des univers d’espoirs, des empires d’idéaux. Des assurances de réussite ont tremblé, la flamme d’un individu maître de sa vie s’est chaque année étouffée un peu plus ; le travail dans l’illustration commerciale l'a vieilli prématurément. 3)
Ses tableaux se chargent d’émotions ;
les contingences le rattrapent – et vite.
Edward Hopper connaît les réalités humaines. Le mythe du bonheur accessible par le travail. Les répliques récurrentes lourdement négatives prononcées par les prescripteurs 2)… Lesquels, sensibles aux profits se détournent du type n’étant pas quelqu’un.
Les bons conseils – sans doute – des peintres de galère ne tarissant pas de : « Tu devrais, tu aurais dû. Ça aurait été mieux si… »
Comme si Hopper n’était pas le juge plus dur, le plus impitoyable, de son propre travail. Comme si chaque détail, chaque cadrage, chaque lumière n’avaient pas été pensés, calculés, mesurés, soupesés. Comme si bourreau de lui-même, l'artiste n'avait eu de cesse de remettre son travail de douleur à plat.
Edward Hopper - Bleu soir (Domaine public)
D’abord en 1914, ce « Soir bleu » tout de vibration, tout de sensation rimbaldienne*, auquel Edward Hopper tenait tant. (Le site "Artifex in opere" de Philippe Bousquet en propose une analyse très détaillée.)
Sensation
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,1914_Soir_bleu-leger.jpg
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irais loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud, 1870.
Toile incomprise – retrouvée après sa mort, roulée – cachée - enfouie dans l’atelier.
Le peintre s'y est représenté de dos, nous indique l'historienne des arts Gunilla Lapointe, entre le couple de demi mondains à droite, le souteneur à l’extrême gauche. Devant lui, j'ajoute un clown de mascarade à peine sorti du spectacle de cirque auquel il participe, à sa gauche un artiste - Vincent Van Gogh ?... La ressemblance est frappante, tout de sensibilité de coeur - inadapté au monde. Sans oublier cette prostituée plantée, brillante et inconvenante – si proche de l'artiste n'osant pas, coincé, puritain - et si lointaine.
Ces refus, ces échecs ne rendent pas plus fort … Mais peu à peu ont eu raison des exaltations créatives du peintre. 4) Le hasard d’un critique – légèrement plus sagace – n’y change rien. Le mal est fait. Edward se montre chaque jour un peu plus taciturne, plus détaché, toujours plus lucide, encore plus insensible. Il ne peindra guère plus qu'une ou deux toiles par an à la fin de sa vie.
Mais il n'en est pas encore là, pour l'heure, Hopper entre dans une clairvoyance glaçante.
Vidéo pédagogique sera désactivée ou enlevée sur demande.
1929 Chop Suey
Les diagonales sont des verticales abyssales.
L’image de ces êtres animés de fixité – exténués. Que leur manque-t-il ? Ont-ils perdu leur âme ?
Cette absence. Ce silence. Ce détachement. Ce lugubre surgissement du quotidien.
Ces personnages – miroirs d’eux-mêmes – en pointillé, que possèdent-ils ?
Hopper peint... La même toile, toujours, encore...
La vie inconsistante, l'existence indigeste.
Pour pédagogie. Sera retirée sur demande.
«Je ne sais pas si j’aime les êtres humains », dites-vous en 1935 au moment où vous peigniez « House at Dusk »*.
Hopper continue... 1940 Gas à la tombée du jour.
Les trois divinités au pied desquelles l’homme s’incline. Ces pompes sphériques derrière lesquelles le pompiste confesse sa détresse sont des impasses, des sens interdits. Sans espoir.
Vidéo :
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« La tombée du jour.
Un moment de calme dans un travail harassant, épuisant.
La banalité de la vie.»
Guillia Lapointe.
En 1942 Night Hawks...
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Chaque client porte en lui des songes de marbre – surface lisse – dense. Leurs regards vitrifiés par toutes ces possibilités qui ne se sont pas réalisées sont dénués d’agitation, d’émotion. La perspective d’une vie légère, ce libre arbitre, qu’en reste-t-il ? Le quotidien a pris des semelles de plomb. Le réel a tué le possible, conduit vers aucune fusion – aucune réciprocité – aucun partage – aucune participation - aucune relation. Chaque placidité, enfermée dans son inquiétude a l’œil penché sur le vestige de ses espérances.
ou le « culte du soleil nouveau », nous révèle Guillia Lapointe. Hopper s'y est représenté à gauche, lisant la république de Platon.
L’ héliotropisme, ces personnes s’abandonnant à la chaleur d’un soleil – dans ce moment de pose et d’attente – ce groupe cherche un absolu sans perspectives. L’espace est vide. Tout est faux déserté, simple – encore plus simple – dépouillé – toujours plus dépouillé.
L’intensité sensible de la tromperie où l’impassibilité des vacanciers rend plus lisible encore leur impuissance – . Les transats sont des chaises de spectacle. Le rayonnement une projection , un formidable événement de lumière, une mise en scène.
C’est un monde frappé de lumière, désespéré, célébrant un soleil souverain sous lequel il s’abandonne. La foi renouvelée, une confiance absolue dans cette modernité radieuse et glorieuse.
Une révérence... rideau.
Edward Hopper - Summer Interior (Domaine public)
Le dernier acte tombe. La conquête du monde, toutes ces substances de la modernité, cette possibilité d’une réalité enchanteresse – aussi extraordinaire, belle, n’est plus qu’un lointain souvenir.
Les personnages d'Edward Hopper ont la justesse des comédiens perdant leurs masques. Leurs visages sont des avertissements. Libérés de leurs croyances modernes – inconsolables - certains que rien ne peut vous libérer. Leur état est sans espoir …
Des résidus n’attendant plus rien,
Leur tranquillité est l’ultime soubresaut des lignes brisées.
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* Gunilla Lapointe.
1) Edward Hopper – Lumière et obscurité – Gerry Souter – Parkstone international – Isbn : 978-1-906981-63-1
2) « (1913) Il était loin d’être le peintre qui avait le plus de succès et il n’était en rien une personne qui affectionnait la vie sociale. Son travail avait été rejeté par les jurys d’exposition où il avait été admis à contrecœur alors que ses pairs exposaient sans aucun problème. Il travaillait dans leur ombre, mais rarement en leur compagnie. Il semblait chercher la clef du succès de tous ces peintres en allant là où ils trouvaient leurs sujets. Le monde de l’art américain offrait de nombreuses et diverses sources d’inspiration mais Hopper choisissait pourtant de marcher sur les pas de ces artistes. Il créait des tableaux qui laissaient la critique indifférente et ne se vendaient pas. Malgré la vitalité croissante du paysage artistique américain, Hopper devint un homme de 1.92 mètres invisible. Il continuait à passer inaperçu parmi ces peintres à succès. » Edward Hopper – Lumière et obscurité – Gerry Souter - p 44.
« Février 1915 au MacDowell Club…
Coin de rue à New York reçut une approbation générale, mais Soir bleu fut Qualifiée telle une collection minable « … de Parisiens et buveurs d’absinthe endurcis ». La scène reflétait la débauche de la vie du demi-monde à Paris, la « Babylone moderne ». La francophobie ambiante annula toute valeur que le tableau aurait pu avoir en tant qu’analyse intéressante et émouvante de ses personnages… Aucun tableau ne fut vendu. Soir bleu fut enlevé et enroulé pour être redécouvert seulement après la mort de Hopper. » Edward Hopper – Lumière et obscurité – Gerry Souter - p 50.
[vers 1920] : « Les membres du groupe du MacDowell, C.K. Chatterton, Sloan et les autres se réunirent pour organiser une exposition de leurs œuvres les plus récentes. … Cette exposition fut comme la précédente. Ce fut une déception. Il ne vendit rien. » Edward Hopper – Lumière et obscurité – Gerry Souter - p 56.
3) […] Pendant qu’il travaillait comme un esclave pour Country Gentleman Magazine, la lassitude que Hopper ressentait vis-à-vis de l’illustration sembla claire à l’éditeur de la revue, A. N. Hosking. Pour arriver à garder le bon travail de l’artiste et tenter d’alléger sa frustration, il suggéra que Hopper change de moyen d’illustration pour l’aider à retrouver sa créativité. Il l’incita à essayer la gravure.
[…] Ce nouveau procédé sembla revigorer son agitation créative… […] On ne lui confiait jamais de grandes missions à cause de son incapacité à peindre le charme fragile des jolies filles et de son refus total de devoir se plier aux exigences des directeurs artistiques des grandes revues. » Edward Hopper – Lumière et obscurité – Gerry Souter - p 56.
4) « (En 1921) … Alors que Hopper était debout parmi les ruines de ses anciens tableaux, un critique d’art du journal Tribune arriva par hasard et loua les vertus des gravures de Hopper qui étaient exposées sur les murs de l’Académie. Frank Rehn [vendeur de gravures] sentait que le travail de Hopper avait quelque chose d’intéressant mais il ne savait pas exactement quoi. Il accepta donc les gravures en dépôt. » Edward Hopper – Lumière et obscurité – Gerry Souter - p 66.
P 67 : En 1923… deux gravures sortirent vainqueurs, gagnant le prix Logan de l’Art Institute (25 dollars) et le prix M. et Mme William Alanson Bryan…
P 86 : L’année 1924 fut une année magique pour Hopper. Son travail se vendait et tout laissait prédire qu’il pourrait enfin cesser de travailler dans l’illustration commerciale.
P 166 : avril 1945… il répondit à la lettre d’un psychologue, Dr Roe, afin d’expliquer son travail. Hopper indiqua au sujet de ses critiques, entre autres :
« Ils n’ont pas une grande opinion de moi en tant que coloriste, ce qui, je pense, est juste si vous considérez la couleur en soi. Ils n’ont pas non plus une grande opinion de moi en tant que concepteur, ce qui, je pense, est juste si vous considérez la conception en soi. Cependant, ces dernières critiques ne me dérangent pas, car mon intention dans la peinture est loin de vouloir considérer la forme, la couleur et la conception comme une fin en soi. »
La peinture chinoise au XVIIIème siècle a souvent été décriée, dénigrée par l’occident, explique la professeure en histoire de l'art contemporain et muséologie, Chang-Ming PENG. Au regard des conventions et canons occidentaux, les estampes et dessins chinois sont considérés comme imparfaits, dénués de qualités picturales.
Dong Qichang - Pavillon de chaume de Wanluan. 1597.
Rouleau portatif
« Les chinois ne savent pas peindre à l’huile ni mettre
des ombres à ce qu’ils peignent »,
écrit le missionnaire jésuite Mattéo Ricci. Ainsi, poursuit l’homme d’église
« toutes leurs peintures sont mortes et sans aucune vie ».
On leur reproche beaucoup… Un tracé trop sobre. Un rendu plat.
Une technique simpliste, déficiente, trop dénudée… Ou encore cette absence flagrante
de perspective et ce manque de modelé si chers aux occidentaux. Aussi ces œuvres
sont-elles interprétées comme étant l’aboutissement d’un savoir-faire primitif,
le produit d’une volonté enfantine, le résultat d’un amateurisme, le fruit d’une
habileté défaillante.
Pire, certaines critiques se font ironiques, mordantes. Dès
lors, la lanière du verbe se noue-t-elle avec le cuir du qualificatif en des coups
de fouet si corrosifs, si acides, si agressifs qu’ils claquent en d’âpres
rappels d’un Occident sûr de sa supériorité - infatué - dominateur. Ainsi l’explorateur
John Barrow n’hésite-t-il pas à indiquer dans son « Voyage en
Chine », combien les peintres chinois sont de « Misérables barbouilleurs
[…] incapables de peindre avec correction». Certes leur reconnaît-il un certain
talent esthétique, une compétence à imiter avec exactitude des oiseaux, et ce,
dans de beaux coloris. « Ce sont », évoque le prêtre espagnol Juan
González de Mendoza de « grands peintres de feuillages comme on peut le
voir par les lits et les tables qui s’apportent de leur pays ». Bref, de simples exécutants disposant certes –
on veut bien le leur accorder - de quelques talents imitatifs et illustratifs, et
même – allez, on le concédera également - de merveilleux peintres d’intérieurs,
voire des artisans susceptibles de générer d’élégantes images… Mais attention, cela
reste des décorateurs du dimanche tout de même… En gros et en détail, des
praticiens divertissants, des mains habiles dans les ornements… Bref, tout sauf
des artistes. Raison pourquoi, insiste John Barraow, ils « n’ont pas cet
effet que ne manque pas de produire l’art d’employer avec habileté les jours et
les ombres. »
Ultime cerise piquée sur le cure-dent de l’aigre cocktail, l’architecte
écossais William Chambers ajoute : Les « Pièces [sont] certes touchées avec
l’esprit mais elles sont trop incorrectes et trop défectueuses pour mériter une
grande attention. »
Heureusement, la spécialiste en art, Chang-Ming PENG, rétablit toute la profondeur des estampes et gouaches chinoises. Un style si particulier, développe-t-elle, qu’il associe l’élan intellectuel à la représentation d’une nature sobre, pure et dépouillée.
Car, oui, ce que recherche la peinture lettrée à travers le paysage, c’est l’unité harmonieuse. Et, contre toute attente, il s’agit bien d’un art intellectualisé. D’un travail pensé – pesé - voire même calibré. D’une peinture située au carrefour de l’image et de l’écriture - où l’esprit, par la délicatesse du geste de l’artiste mais également - et surtout - son extrême précision, communie avec les éléments.
Le sacré passe par une qualité de trait épuré - le Xie Yi – un souffle en prise directe avec les énergies (conciliant terre et ciel, si vous voulez) permettant d’exprimer et d’écrire l’idée dans un espace profane.
Ode à la grenade et à la vigne vierge-Shen Zhou - Peinture -
et Wang Ao - poésie - 1506
La quintessence du geste s’acquiert par la maîtrise d’une technique subtile, tout en contrainte libre : Le saisissement à travers un dessin extrêmement codifié d’un état flottant. Le trait se veut alors immédiat, fulgurant, inspiré, sans repentir, véritable respiration générant la circulation du souffle.
Une inspiration prise à bras le corps, unissant peinture, calligraphie et poésie.
Une représentation philosophique et spirituelle du monde tendant vers une forme d’abstraction.
Il existe, poursuit la conférencière Chang-Ming PENG, un deuxième type de peinture. Celui-ci est de nature professionnelle, celle où le Gong Bi – le travail du pinceau - cerne le contour des formes accompagnées de dégradés.
La Chine, le Japon et l'Occident,
de Shiba Kōkan, fin XVIIIe
Enfin, un troisième type est davantage artisanal – décoratif –
ce dernier étant malheureusement méprisé lui-même par les lettrés chinois ;
Le
sabre des clichés n’en finit décidément pas de trancher de sa lame longue et aiguisée.
_____________________
Responsable du master Patrimoine et musées - Lille 3
La professeure en histoire de l'art contemporain et muséologie, Chang-Ming PENG met en regard la peinture chinoise et la peinture occidentale.
La peinture est-elle un
miroir de la société ? Une photographie ?
Un décalque de
l’humaine condition ?
Certains peintres
américains emblématiques des années 1930, explicite la Directrice du service
des publics et communication du musée de Douai, Marie-Paule Botte, portent bien
en eux l’émotion dense de cette « Grande Dépression » subie par la population.
L’artiste George
Bellows fait partie de ces témoins.
Marie-Paule Botte et Christian Moinet 16 octobre 2016 - Palais des Beaux Arts de Lille
Photo - Virginie Le Chêne Parlant
Le jeune membre de l’Ashcan School – autrement dit « L’école poubelle » - ayant vendu à seulement 29
ans une de ses toiles au Musée « The Met » - croque, montre,
dénonce – les côtés dérangeants d’une société percutée, d’un monde tout
en Bouleversements et Mutations. De rapports sociaux chamboulés, donc,
nouveaux, où une migration massive vers les villes fait passer l’échange à
taille humaine à l’échelle industrielle des froids espaces…
Plus que peintre George Bellows - dépeint - raconte à travers ses toiles, les rivières
boueuses dans lesquelles se baignent les classes ouvrières immigrées. Évoque
les ambiances sombres, les conditions précaires, l’absence d’hygiène et le
manque de produits répondant aux besoins essentiels.
People of Chilmark 1920- Thomas Hart Benton-1920
Et si sa peinture, tout
comme celle de Thomas Hart Benton, fait scandale, c’est en raison du degré
d’implication du lecteur qu’elle suscite. En effet, suite à l’effondrement de
la bourse de 29, ces tableaux révèlent l’étendue du choc économique ayant jeté
une part non négligeable de la population dans la précarité et la misère.
Ces derniers expriment
également l’intensité dramatique des liens cabossés entre l’enclume d’une
industrialisation métallique et le marteau des chaînes de montage
déshumanisées...
Peintres du social, ces
artistes des années 30 - tout comme le livre publié en 1935 d’Horace Mac Coy «
On achève bien les chevaux » - interrogent l’identité américaine. Questionnent
le citoyen. Interpellent son degré d’adhésion. Malmènent son échelle de
valeurs. Mettent en cause sa responsabilité.
Traduction littérale :
Voulez-vous vraiment cela ? Acceptez-vous ces conditions, non de vie mais de
survie ? Ne voyez-vous donc rien ? Pouvez-vous soutenir cela ? Pourquoi
fermez-vous les yeux ?
Lanceur d’alerte du
réel, ces fins observateurs décrivent l’ordinaire d’une vie sociale difficile
et conflictuelle où la boxe répond à la dureté, où le coup percute le marbre
veiné des souffrances endurées.
Hasard du calendrier,
la philosophe Adèle Van Reeth reprend un extrait d’un texte consacré à la
boxe particulièrement éclairant :
« ... On joue au
football, on ne joue pas à la boxe, écrit Joyce Carol Oates.
[…] la boxe, avec la férocité qui la constitue,
ne peut être assimilée à l’enfance. […] Les spectateurs de rencontres sportives
tirent une bonne partie de leur plaisir du fait de revivre les émotions
collectives de l’enfance, mais les spectateurs de combats de boxe revivent
plutôt la petite enfance meurtrière de la race. D’où la sauvagerie
occasionnelle des publics des combats de boxe […], de même que l’excitation,
lorsqu’un homme se met à saigner sérieusement. […]
Ou de manière
abstraite, le ring est un genre d’autel, un de ces espaces légendaires où les
lois d’une nation sont suspendues : entre les cordes, durant une reprise
officiellement fixée à trois minutes, un homme peut être tué sous les coups de
son adversaire, mais il ne peut être légalement assassiné. »
De la boxe, 1987, trad.
Anne Wicke, (Tristram, 2012)
De même, le tranchant du pinceau de Billows signe les
combats d’une survie ordinaire. Visions dérangeantes parce que féroces, taboues
parce que sanguinaires et comme l’indique Joyce Carol Oates… meurtrières. Le
trivial de liens sociaux basés sur l’affrontement, la défense, la dépense
physique, la violence est ici mise en lumière avec crudité.
Avec Bellows, on
identifie les victimes.
L’innocence légalement
assassinée est exposée au grand jour… Tiens, comme Paddy Flanagan peint en1908. Enfant terreux aux vêtements arrachés.
Sous les lambeaux d’une
vie sombre cette « pearl of the gutter », « Perle de la gouttière » comme
l’indique l’artiste lui-même, s’offre aux regards gênés du spectateur.
On ne sait trop comment
interpréter cette mise à nu...
Que dire de ce physique
de subsistance trop rongé pour être soucieux ? De ce torse anémié, étalage de
chairs carencées trop blanches, de muscles flasques trop mous pour
indiquer la pleine santé ?
Comment apprécier ce
visage marqué - peut-être - d’une minuscule pointe de défiance, ecchymose
inoffensive d’un ego presque éteint ? Comment soutenir ces paupières tombantes
- peaux fatiguées, gonflées déjà -
lourdes d’un travail harassant ? Comment soutenir cette bouche encombrée de
dents mal rangées, mises en avant telles les incisives d’un mammifère rongé,
d’un animal de l’ombre, d’une « Perle de la gouttière », autrement dit, un
mélange de Pureté, de Catacombes et de Caniveau.
Cette présentation d’un enfant
brutalisé par la société choque le bon goût. George Bellows l’exhibe à dessein
– imprime les esprits …
"Je sais bien que
les images sont le plus souvent des mensonges ou des illusions (Platon ne
disait que ça), évoque Georges Didi-Huberman dans l'intéressant Philosophie Magazine, le philosophe et historien de l'art poursuit : mais elles ont aussi la capacité de devenir un moyen aussi
puissant que les mots pour manifester une pensée, exercer une critique voire
délivrer un bout de vérité (ce qu’affirmait Aristote contre Platon)." "il y a une chance pour que cette opération visuelle, sensible,
révèle quelque chose qu’on n’avait pas vu avant, une vérité encore
insoupçonnée, encore inintelligible." « Fabriquer une image, ce n’est pas
illustrer une idée ou capter une réalité : mais bien agir sur la réalité et
construire une idée » 3*
Voilà bien là le travail
du peintre : donner à voir. Montrer. Parfois simplement par la forme esthétique du sentir et de l'évocation. D'autres peintres préfèrent triturer, malmener, provoquer. C'est l'esthétisme des égouts.
Pour Bellows, cette vue est une prise de vue. La
peinture se fait épaisseur, texture de la modernité – pâte de la folie du monde - avec George Bellows, la toile vient épaissir les linéaments de la pensée.
Vous avez des articles en anglais pour chaque tableau (Appuyer sur +).
La texture de la
modernité – la folie du monde dans lequel se trouve le peintre - peut-elle ne
pas épaissir les linéaments de la toile ?
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Vidéo
La Grande Dépression
change beaucoup de choses pour les américains
Choc économique sans
précédent, toute l’organisation de la société en est bouleversée.
C’est également le
moment d’une industrialisation forcenée.
Années difficiles où la
population perd beaucoup, a peur des lendemains difficiles et, paradoxalement «
se divertit » par l’intermédiaire de nouveaux médias. La cinéma-sphère ne
tardera pas envahir la cellule familiale, puis à la supplanter.
L’exposition Soulèvements
débute le 18 octobre au Jeu de Paume. Quelle envie et quelle ambition ont
précédé sa mise en œuvre ?
Georges Didi-Huberman :
Ce n’est rien d’autre, en somme, que la possibilité ouverte — grâce à la
proposition de Marta Gili de faire une exposition thématique de mon choix au
Jeu de Paume— d’avancer dans des recherches et des questionnements en cours
depuis un certain temps. D’une part, c’est un peu la suite del’exposition Atlas
que j’avais conçue en 2010 au Musée Reina-Sofía de Madrid : l’idée d’une
anthropologie des images, issue avant tout de ma lecture de l’historien de
l’art Aby Warburg, se terminait (ou s’ouvrait, plutôt) sur la question
politique avec un très beau film de Harun Farocki… D’autre part, c’est un
nouveau moment dans une recherche philosophique et historique de longue haleine
qui a donné les six volumes de la série intitulée L’Œil de l’histoire, aux
Éditions de Minuit. Le dernier volume, sur Barthes et Eisenstein,
s’interrogeait sur ce que c’est qu’une émotion politique… Il se focalisait
certes sur un moment particulier, la lamentation du peuple devant le cadavre
d’une personne assassinée (dans Le Cuirassé Potemkine, il s’agit du matelot tué
par son officier supérieur). Mais mon propos était de comprendre comment une
lamentation, c’est-à-dire un moment de deuil et d’abattement, peut porter en
elle toutes les possibilités du mouvement contraire, à savoir le geste du
soulèvement. L’« ambition », comme vous dites — mais je n’aime pas trop ce mot,
avec des sujets pareils il vaut mieux être modeste, et c’est pourquoi vous ne
trouverez pas mon nom sur la couverture du catalogue de l’exposition
Soulèvements : c’est un sujet d’autant plus important qu’il est collectif —, je
dirais plutôt le souhait, ce serait que le spectateur, avant tout le spectateur
ou la spectatrice jeune, éprouve de façon sensible, visuelle, que Goya ou
Baudelaire ne sont pas si loin que ça de nos préoccupations historiques les
plus brûlantes, et peuvent de ce fait parfaitement dialoguer avec des œuvres
contemporaines.
Peut-on seulement
représenter et exposer le soulèvement sans le dénaturer ou le « neutraliser » ?
Mais si vous prononcez
le mot « soulèvements », c’est la même chose ! En disant « soulèvements », vous
ne vous soulevez pas fatalement. Est-ce à dire que le mot dénature la chose ?
Oui et non. Oui parce que ce n’est qu’un mot et non l’acte qu’il désigne. Non,
parce ce mot, s’il est pertinemment agencé dans une phrase ou un texte de
politique, de philosophie ou de poésie, peut mettre au jour une vérité sur les
soulèvements… C’est pareil avec les images et les œuvres d’art : d’un côté
elles peuvent « dénaturer » ou « neutraliser », oui, comme vous dites, ou bien
« esthétiser » comme on l’entend si souvent. Mais, d’un autre côté, il y a une
chance pour que cette opération visuelle, sensible, révèle quelque chose qu’on
n’avait pas vu avant, une vérité encore insoupçonnée, encore inintelligible. Je
sais bien que les images sont le plus souvent des mensonges ou des illusions
(Platon ne disait que ça), mais elles ont aussi la capacité de devenir un moyen
aussi puissant que les mots pour manifester une pensée, exercer une critique
voire délivrer un bout de vérité (ce qu’affirmait Aristote contre Platon).
« Fabriquer une image,
ce n’est pas illustrer une idée ou capter une réalité : mais bien agir sur la
réalité et construire une idée »
À ceux qui
s’inquiéteraient de l’impuissance sinon de la vanité de l’art face à la
violence du monde vous dites qu’il est comme « l’œil de l’histoire ». De cette
formule vous avez donc fait une série de livres. Que signifie-t-elle ?
Vous me permettez là de
préciser ma réponse précédente, et de la prolonger du côté de ce que vous
appelez l’action… J’ai toujours pensé — mais Sartre, que je n’utilise pas
beaucoup par ailleurs, l’avait dit bien avant moi, cela donne aujourd’hui tout
un courant de pensée en Allemagne qui s’intitule « théorie de l’acte d’image »
— que les images sont des actes et non pas seulement des objets décoratifs ou
des fantasmes. Oui, des actes. En étudiant les photographies de femmes
hystériques à La Salpêtrière au temps de Charcot — mon premier chantier
important —, j’avais immédiatement compris que fabriquer une image, ce n’était
pas illustrer une idée ou capter une réalité : mais bien agir sur la réalité et
construire une idée. C’était pour moi une façon d’interroger les images dans la
suite de ce que Michel Foucault faisait à propos des discours. En travaillant
sur la peinture de la Renaissance, j’ai encore exploré cette dimension
gestuelle de la peinture, comme lorsque Fra Angelico jetait du pigment en pluie
sur la paroi, un peu comme dans l’action painting de Pollock (toutes
proportions gardées). Et puis un moment très important pour moi a été de
reconnaître dans les quatre photographies duSonderkommando d’Auschwitz — que j’ai
étudiées dans Images malgré tout, et qui seront exposées au Jeu de Paume, pour
la première fois dans leur dimension réelle — un acte de soulèvement : ces
gens-là, des prisonniers juifs promis à la mort, ont intégré l’acte
photographique à l’intérieur d’un acte plus large de soulèvement, qui
comprenait aussi l’établissement de preuves, l’écriture de récits (cachés dans
la terre) et, enfin, l’explosion d’un crématoire à Birkenau… N’étaient-ils pas,
ces gens qui allaient mourir mais voulaient transmettre des images malgré tout,
« dans l’œil de l’histoire » ?
Vous repérez deux «
moteurs » du soulèvement : la mémoire et le désir. Comment s’articulent-ils
pour permettre l’action ?
J’ai d’abord voulu
envisager les soulèvements comme des gestes. Des gestes, c’est en quelque sorte
avant l’action elle-même. Mais c’est très important, la façon dont les corps
mettent en geste leur énergie de soulèvement. Désir et mémoire ?... Oui, c’est
cela. Se soulever procède du désir : on transgresse, on va vers quelque chose qui
vous était interdit, on crée une nouvelle possibilité de vie, on va vers le
futur. S’il n’y avait qu’une seule « thèse » dans cette exposition — et c’est
ce qu’illustre bien la variété des époques et des médiums que l’on pourra y
voir —, ce serait celle-ci : se soulever procède du désir, et le désir ne cesse
jamais. Il est indestructible, comme a pu le dire Spinoza et comme Freud le
reprendra très précisément. Il renaît de tout deuil. Ce que Freud précise,
justement, c’est qu’on ne désire jamais sans qu’intervienne la mémoire : le
désir des gens qui tiennent la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, j’ai vu cela sur
l'une de leurs banderoles, est en quelque sorte soutenu par la mémoire du
Larzac, par exemple… Mais les exemples sont aussi nombreux que les possibles,
car toute invention du futur passe par une reconfiguration — et non pas une
table rase — de la mémoire.
Comment le soulèvement
se distingue-t-il de l’insoumission, de la révolte ou de la révolution ? Par
une forme d’innocence ?
Vous me posez une
question de définitions, et je dois vous avouer que ce n’est pas l’exercice que
je préfère. Une définition, c’est trop général pour moi. Je m’intéresse plus
aux valeurs d’usage qu’aux définitions conceptuelles au sens strict. La
philosophie ne doit-elle pas être précise plutôt que générale ? C’est Deleuze
qui dit cela quelque part, c’est en tout cas une citation de Bergson. Ce qui
est sûr, c’est que le soulèvement — proche de la révolte ou de l’insurrection —
ne peut pas se calquer sur la révolution. Il y a très peu de révolutions, par
exemple il y a eu « la » Révolution française du XVIIIe siècle. Mais comme l’a
montré l’historien Jean Nicolas dans son livre La Rébellion française, cette
formidable et unique Révolution n’a pu réussir que sur fond des quelque 8528 soulèvements
qui ont éclatés dans les décennies précédentes ! Les soulèvements échouent la
plupart du temps. Mais leur répétition transmet quelque chose d’essentiel,
c’est cela que je voulais dire aussi à travers cette exposition. Maintenant,
vous me questionnez sur l’innocence intrinsèque du soulèvement… Là encore ce
sera à comprendre comme valeur d’usage et non pas comme définition : «
soulèvement » n’est pas un mot magique, un mot absolu. Il y a d’ailleurs des
soulèvements fascistes (la marche sur Rome de Mussolini était un soulèvement).
Mais, bien sûr, cette innocence dont vous parlez est un thème qui m’est très
cher, comme il l’était pour ces artistes qui comptent beaucoup dans mon
travail, par exemple Eisenstein ou Pasolini, Henri Michaux ou Joan Miró dont
quelques dessins — notamment une série sur la mort jeune anarchiste Salvador
Puig i Antich garroté par la police franquiste le 2 mars 1974 à Barcelone —
seront montrés dans cette exposition.