vendredi 21 août 2015

Vérité, à tout prix ? Une philosophie souriante de Jackie Chan à Raphaël Enthoven en passant par Daniel Tammet.





Au pays de la vérité, les anges sont clairement du côté du bien et les menteurs – quant à eux - planqués traîtreusement derrière le mal obscur. Dans cette merveille en noir et blanc, la reine de l’authenticité aurait pour marraines - la pureté, la franchise, la loyauté  - et pour cousines - la  sincérité, l’honnêteté, la droiture -.
Mais tout est-il réellement pour le mieux dans le meilleur des contes possibles ?
          
            Le philosophe Raphaël Enthoven, dans le Gai savoir, rappelle : 
           « Emmanuel Kant dit qu’il ne faut jamais mentir...  Quoi qu’il arrive. Que « c’est le devoir formel de l’homme envers chacun... » Mais imaginez que vous hébergiez une famille juive, pendant la guerre, dans la grange de votre maison... Arrive la milice (ou la gestapo) qui vous demande si c’est le cas. Que répondez-vous ? » 1*


L’impératif de vérité de Kant critiqué par Benjamin Constant - Texte lu par Marie-Julie Parmentier

Sans aller jusqu’à évoquer ces épisodes dramatiques, dans la vie quotidienne, rien n’est moins facile ni conseillé que de dire la vérité à tout bout de langue et en toutes circonstances ; Daniel Tammet atteint du trouble d’autisme asperger, en sait quelque chose.  Sous la pluie des relations sociales, Daniel Tammet se tient debout - droit de froid – tétanisé par le double sens du langage, engourdi de ses difficultés à communiquer avec l’autre.
Dans un livre touchant, l’écrivain témoigne :
« Je n’étais jamais volontairement impoli. Je ne comprenais pas que le but de la conversation n’est pas de parler uniquement des choses qui vous intéressent. » 2* Il ajoute : « J’étais passé à côté de beaucoup d’amitiés possibles à cause de mon manque de sociabilité naturelle, parce que j’étais trop direct et que je produisais une mauvaise impression. » 3*


Photo : Stefan Heilemann - Aka Heile-5

Heilemania


De fait, contre toute évidence, répondre aux attentes d’un interlocuteur est un travail à pleine conscience. Et échanger avec l’autre n’est pas si aisé.
C’est un jeu subtil où il s’agit non seulement de saisir le sens du propos, d’en comprendre les nuances de ton mais également d’être en adéquation avec les attentes sociales et singulières de chacun des protagonistes. Et ceci suppose d’étonnantes capacités d’interprétation.
Par exemple, dans cette phrase « Tiens, tu veux me passer ça... » 4* adressée lors d’un repas. L’injonction, faussement simple, réclame de posséder tout un tas de compétences. Faire le bon choix entre sucre, poivre et sel, donc discriminer, mais également savoir se mettre à la place du convive, lequel mangeant sa tranche de gigot entend que vous lui tendiez poivre ou sel. Si vous connaissez ses goûts - encore mieux - vous saurez lui passer le sel.

Une sorte d’accord tacite lie les deux parties. Une synchronicité.
Il s’agit d’être en phase.
Or, chez Daniel Tammet, cette compétence sociale intégrée au point qu’on en oublie la complexité, est loin d’être une évidence.    

       « Il m’est aussi difficile de savoir quand il faut répondre à des assertions qui ne sont pas exactement formulées comme des questions, confie-t-il. J’ai tendance à n’accepter que l’information pure, ce qui signifie que j’ai dû mal à utiliser le langage dans un contexte social, comme la plupart des gens. Si une personne me dit : « C’est une mauvaise journée », j’ai appris que l’interlocuteur attendait que je lui dise quelque chose comme « Ah, vraiment ? » avant de demander pourquoi c’est une mauvaise journée.
… Savoir si quelqu’un attend de moi que je réponde à une assertion n’est pas intuitif, et ma capacité à faire certaines choses, comme parler de la pluie ou du beau temps ne m’est venu qu’après beaucoup d’entraînement. » 5*
Pour lui, chaque requête représente un milliard de questionnements. Chaque situation comme celle « de bien vouloir prendre un siège », pour potentiellement cocasse, n’en constitue pas moins un mur à surmonter, un motif désagréablement répétitif. « Je savais que ce qu’elle voulait dire était « Asseyez-vous » - pas prendre un siège au sens propre." Confie-t-il 6*


Une Vérité, à tout prix ? Une philosophie souriante de Jackie Chan à Raphaël Enthoven.


De fait, un monde direct. Sincère. Transparent de vérités deviendrait vite dangereux (pour celui qui les énonce) et / ou invivable pour tous. On se voit mal rire à réjouissance déployée de la mort d’une tante revêche le jour de son enterrement. Évoquer à sourire entendu le ratage d’un coiffeur ou dire ses dix-huit vérités à un employeur incompétent… Quoi… Que…

                Après tout, la vérité est peut-être à chercher ailleurs...
                             
                                    Dans un dialogue tissé d’instants composés avec le monde.



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Notes de bas de page :
1* Le Mensonge : la querelle Kant / Constant - Le Gai savoir du 2 juin 2013
http://www.franceculture.fr/emission-le-gai-savoir-le-mensonge-la-querelle-kant-constant-2013-06-02
Daniel Tammet – Je suis né un jour bleu – j’ai lu -2007 – paris – isbn : 9782290011430

2 * (interactions sociales) :  Je n’étais jamais volontairement impoli. Je ne comprenais pas que le but de la conversation n’est pas de parler uniquement des choses qui vous intéressent. Je parlais avec force détails jusqu’à être vidé de tout ce que j’avais à dire. Je sentais que j’aurais pu éclater si quelqu’un m’avait interrompu. Il ne m’apparut jamais que le sujet dont je parlais puisse ne pas être intéressant pour mon interlocuteur. P  101 
… Ecouter les autres n’est pas facile pour moi. … une grande partie du discours entre et sort de ma tête comme des parasites.
3* : J’étais également parvenu à comprendre que l’amitié est un processus délicat et graduel qui ne doit pas être précipité ni anticipé, mais qu’il faut permettre et encourager pour qu’il prenne son cours naturel dans le temps. Je me représentais l’amitié comme un papillon, à la fois beau et fragile, qui s’envolait dans les airs et que toute tentative d’attraper revenait à détruire. Je me souvins qu’à l’école, j’étais passé à côté de beaucoup d’amitiés possibles à cause de mon manque de sociabilité naturelle, parce que j’étais trop direct et que je produisais une mauvaise impression. P 180 
4* L’anecdote – de mémoire – doit venir de Stanislas Dehaene, dans la bosse des maths…
5 * Il m’est aussi difficile de savoir quand il faut répondre à des assertions qui ne sont pas exactement formulées comme des questions. J’ai tendance à n’accepter que l’information pure, ce qui signifie que j’ai dû mal à utiliser le langage dans un contexte social, comme la plupart des gens. Si une personne me dit : « C’est une mauvaise journée », j’ai appris que l’interlocuteur attendait que je lui dise quelque chose comme « Ah, vraiment ? » avant de demander pourquoi c’est une mauvaise journée. P 103 :
… Savoir si quelqu’un attend de moi que je réponde à une assertion n’est pas intuitif, et ma capacité à faire certaines choses, comme parler de la pluie ou du beau temps ne m’est venu qu’après beaucoup d’entraînement.
 6 *(prendre un siège) : Je savais que ce qu’elle voulait dire était « Asseyez-vous » - pas prendre un siège au sens propre. P 149
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Vidéos :
A - L’impératif de vérité de Kant critiqué par Benjamin Constant - Texte lu par Marie-Julie Parmentier
Extrait du « Gai savoir » de Raphaël Enthoven et Paola Raiman
Le Mensonge : la querelle Kant / Constant 28 du 02.06.2013
http://www.franceculture.fr/emission-le-gai-savoir-le-mensonge-la-querelle-kant-constant-2013-06-02



Marie-Julie Parmentier au Marathon des mots de Toulouse - 28 juin 2015
Photos :  Virginie Le chêne parlant 

B - Une Vérité, à tout prix ? Une philosophie souriante de Jackie Chan à Raphaël Enthoven.
Avec Raphaël Enthoven : La vérité – Arte – Imaginez
& Risque et confiance un couple indissociable ? Coface group
Avec Madame Simone – Lettres à Mademoiselle Clairon, conseils à une jeune comédienne.
Grands écrivains, grandes conférences par Philippe Garbit – 17.07.2015
Avec Jackie Chan : The spy next door


Autre extraits….
« J’imagine ces moments comme des fragments ou des éclats éparpillés sur une vie entière. Si quelqu’un pouvait les coller bout à bout, il obtiendrait une heure parfaite, voire une journée parfaite. Et je pense que cette heure ou cette journée le rapprocherait de ce qui fait le mystère d’être un humain. Ce serait comme un aperçu du paradis. » 7*
P 74 : (frère sœur : rôle joué dans la socialisation/ rôle de l’observation dans le savoir faire. ) : … leur présence, finalement, eut une influence très positive sur moi : elle me força à développer petit à petit des aptitudes sociales. Avoir toujours des gens autour de moi m’aida à me faire au bruit et au mouvement. En regardant silencieusement, depuis la fenêtre de ma chambre, mes frères, ma sœur et leurs amis qui jouaient ensemble, je commençais également à comprendre comment entrer en interaction avec d’autres enfants.
Daniel Tammet – Je suis né un jour bleu – j’ai lu -2007 – paris – isbn : 9782290011430
Pour le plaisir d’une vérité à trouver dans cet ailleurs…


Texte proposé par Adèle Van Reeth « L’imperfection terrestre et sa cause principale :
Quand on regarde autour de soi, on tombe sans cesse sur des hommes qui ont toute leur vie mangé des œufs sans remarquer que les plus allongés sont les plus friands, qui ne savent pas qu’un orage est profitable au ventre, que les parfums sont le plus odorants dans un air froid et clair, que notre sens du goût n’est pas le même dans toutes les parties de la bouche, que tout repas où l’on dit ou écoute de bonnes choses porte préjudice à l’estomac. On aura beau ne pas être satisfait de ces exemples du manque d’esprit d’observation : on n’en devra que plus avouer que les choses les plus prochaines sont, pour la plupart des gens, mal vues, et très rarement étudiées. Et cela est-il indifférent ?
Que l’on considère enfin que de ce manque dérivent presque tous les vices corporels et moraux des individus : ne pas savoir ce qui nous est nuisible dans l’arrangement de l’existence, la division de la journée, le temps et le choix des relations, dans les affaires et le loisir, le commandement et l’obéissance, les sensations de la nature et de l’art, le manger, le dormir et le réfléchir ; être ignorant dans les choses les plus mesquines et les plus journalières – c’est ce qui fait de la terre pour tant de gens un « champ de perdition »."
Nietzsche, Le voyageur et son ombre
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Emission radio :

Classique (10/10) : Mademoiselle Clairon     / Casanova - 17.07.2015
http://www.franceculture.fr/emission-grands-ecrivains-grandes-conferences-classique-1010-mademoiselle-clairon-casanova-2015-07-1


mercredi 19 août 2015

Montaigne à fenêtre ouverte, Jean-Yves Puilloux et Raphaël Enthoven sur les chemins des essais.



Jean-Yves Pouilloux

Les essais bruissent des doutes, contradictions, avancées, reculades, allongeailles de son auteur : Sieur Michel de Montaigne.
« Quand je danse, je danse : quand je dors, je dors. Voire, et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps : quelque autre partie, je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moi. » (1726)
Une force émane de ce livre ordonné.
Sont-ce les centaines de segments, les pans entiers de vie, les intrusions variées d’anecdotes, les citations qui murmurent si près de l’oreille ?


Le plafond de Montaigne.
Photo : Le Chêne parlant

« J’aime que les mots aillent où va la pensée. » écrit Montaigne.
Le griffes, ratures, ajoutent.  On entend - le craquement des feuilles noircies.
Les gravillons sur lesquels marche l’écrivain font des allées familières.



Pan de bleu sous le ciel de Montaigne
Photo : Le chêne parlant 

Montaigne débute de nulle part, sinon du lieu de sa naissance, l’œuvre plane de l’histoire du périgourdin, maire Bordeaux , seigneur de Montaigne, un être non pas pédant mais vivant. Non pas homme – encore moins avide de pouvoirs, de médailles, de gloire vaine - mais mortel.




Photos : Le chêne parlant

Spécialiste en rien sinon en pensées.
Plein du désir solide de cheminer.
« Et quand personne ne me lira ».
Cette sentence pourrait assurément augurer de l’avenir.
Le public – nous, c’est-à-dire un dérivé du peuple – n’estime point les jugements de soi sévères. Nous ne sommes points prompts à respecter l’humilité.
Qu’un esprit plein juge ses qualités propres avec froideur, dureté, rectitude, ne se laisse rien passer et voici que son manque d’arrogance nous agace, nous aveugle.
Aux bourreaux de soi aux lames tranchantes, nous préférons les lectures légères.
Nos regards changent de point du vue. Nous ne voyons plus en lui que sa mémoire erratique. Ses doutes. Ses réflexions buissonnantes. Son manque d’affirmations.
Son refus de faire système, de créer des concepts en font un philosophe trop ordinaire. Sa simplicité, ses allongeailles, ses pillotages, son scepticisme en font un écrivain faussement simple, atypique. L’homme, finalement, n’est pas si net, ni si passionnant. L’intérêt se détourne. 

Montaigne – pourtant – est un empoisonneur.
Son texte est un discours à livre ouvert. L’oral cultivé de pensées.
L’équilibre de ses réflexions, limpides, font d’intenses paysage. Et c’est vrai, que tout de suite, l’esprit traverse l’univers vif, réel, cocasse, sincère de ce gentilhomme - mieux : honnête homme. Ses introspections organiques, ses doutes font nos préoccupations : plus vibrants, étonnants, modernes que n’importe lequel de notre ordinaire.

L’œil éveillé. La respiration de Montaigne est un « miroir cognitif » puissant déclencheur de pensées.
Les branches vives de ses objections, dénonciations des clichés, se contorsionnent violemment pour atteindre la lumière de notre conscient. J'observe que...  nous  tendons l’oreille pour entendre… le souffle dense de son esprit parle tel un discours égocentrique à livre ouvert 1*. 


On ne peut pas oublier ça, ce frôlement des idées. Immédiatement, le cheminement saute à l’esprit.

                           Montaigne, c’est de la pensée à portée de vue.


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Les Nouveaux chemins de la connaissance –




Arte vidéo -


Jean-Yves Pouilloux est professeur de littérature à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Il est spécialiste de Montaigne, de Rabelais et de littérature contemporaine (Queneau, Borges...).




Sciences humaines - Pensées et langage.


Persée - Pensées et langage


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1* - p 26-27 : Pour Vygotski, il n’est pas vrai que le langage égocentrique atteste le caractère initialement asocial de l’enfant et dépérisse à mesure que l’enfant se socialise. Il montre au contraire, sur une base expérimentale, que le langage égocentrique du jeune enfant est d’emblée social et que, loin de dépérir, il se transforme par la suite en langage intérieur, jouant un rôle de médiateur dans la formation de la pensée verbale au cours de l’activité pratique de l’enfant.


Lev Vygotski – Pensée et langage – La dispute. Paris 1997 ; Isbn : 2-84303-004-8

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samedi 15 août 2015

Vive la triche ? Quand l’imitation est propice à la création. Jacqueline Lichtenstein & Adèle Van Reeth



Norman Rockwell - Autoportrait


A l’école on n’a de cesse de fustiger  la copie. Tantôt assimilée à de la tricherie, au désir de tromper,  ou tantôt vue comme absence de réflexion,  répétition du même, sorte de perroquisme stérile et stupide, une chose est sûre, L’esprit du mal cloche en elle. Aussi sonne-t-elle invariablement en fausses notes. Et conserve-t-elle – lorsqu’on l’exerce - une notation invariablement négative.
Pourtant, qu’en est-il vraiment ?
Ne peut-on créer en copiant ?
Ne faut-il construire avant de déconstruire ?
Ne doit-on s’exercer, s’exercer et s’exercer encore ? Pratiquer toujours, jusqu’à en perdre patience, jusqu’à atteindre la parfaite maîtrise de chaque ligne, le moindre trait – en matière de dessin -, jusqu’à connaître la plus imperceptible note – en matière musicale – en gros,  pour le dire autrement,  s’approprier des techniques et méthodes avant que de se lancer dans le mouvement de la création, de passer aux multiples improvisations ?  
En ce cas, où situer l’originalité ?



Ces extraits issus de l’excellente conférence « Le faux en Art » avec Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth évoquent quelques évidences trop oubliées, quelques vérités bonnes à rappeler :
Vidéo 1*


  Le génie ne s’apprend pas, nous apprend Kant, évoque Adèle Van Reeth.  Mais faut-il pour autant rejeter la copie avec l’eau du bain ?
La copie est un exercice fondamental pédagogique, rappelle Jacqueline Lichtenstein. On apprend en copiant, en imitant les maîtres. C’est la formation de l’artiste à l’Académie qui dessine d’après l’antique en copiant les statues antiques. Qui copie les tableaux.  Qui copie, dessine,  d’après le modèle vivant.
En effet, qu’est-ce que le style propre ? interroge l’historienne de l’Art. Sinon ce petit écart qui produit du neuf, de l’autre ? C’est-à-dire partir du connu, de l’ordinaire, s’appuyer sur les études antérieures afin de faire émerger la singulière étrangeté du trait, de la ligne propre.
La métaphore, le lieu commun, c’est la méthode de l’abeille. L’artiste doit être comme une abeille qui butine de-ci de-là les fleurs  pour fabriquer un miel qui n’est qu’à elle.
C’est le travail du philosophe développé par Francis BACON dans le « Novum organum ». Dans ce  texte lu par Olivier Martinaud,  issu des « Actualité philosophique » d’Adèle Van Reeth avec Alexis Tadié, l’élaboration de la pensée philosophique est vue comme un « Nouvel instrument » ou « nouvelle logique ».


Fight Club - Tim Burton
Développement…
«Le procédé de l’abeille tient le milieu entre ces deux : elle recueille ses matériaux sur les fleurs des jardins et des champs ; mais elle les transforme et les distille par une vertu qui lui est propre. » Olivier Martinaud,  – Nouveaux chemins de la connaissance 01.01.2015 – Actualité philosophique (4/5) d’Adèle Van Reeth avec Alexis Tadié. 2*


Il ne s’agit donc pas de copier pour copier tels « Les empiriques, semblables aux fourmis, ne sa[chant] qu’amasser et user. »
Mais d’innover en partant de bases solides. Tel Montaigne bien sûr - emboivant l’humeur des anciens telles « Les abeilles pilotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n’est plus thym ni  marjolaine : ainsi, les pièces empruntées d’autrui ; il les transformera et, confondra, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement. Son institution, son travail et étude ne vise qu’à le former. »

L’idée de bonne imitation est celle qui permet de se nourrir de tout – explicite Jacqueline Lichtenstein- de prendre à tout.
« Mon imitation n’est pas esclavage. » écrit Jean de la Fontaine
avant que d’ajouter en un phrasé aussi évocateur que poétique :
« Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois,
Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois, »
Épître à Huet (1687)
http://www.lafontaine.net/lesPoemes/affichePoeme.php?id=104

Il s’agit poursuit Jacqueline Lichtenstein : « De faire une œuvre originale. Tout en sachant que la valeur d’originalité est une valeur très récente… On crée en copiant… On apprend à créer. A ce sujet une exposition intitulée «  Copier Créer » s’est déroulée au Louvre. Cette dernière montrait comment de Delacroix à Géricault, il y avait de tout petits écarts.

L’Inspectrice de l’éducation Nationale, Viviane Bouysse, enfonce le clou : "L’apprentissage par essai-erreur ne suffit pas, il faut du modèle quelque part." En effet, insiste-t-elle, « L’imitation ne doit pas être tabou. Plus les enfants sont petits plus ils apprennent par imitation. Ils apprennent par essai-erreur et ils apprennent par imitation. Les apprentissages les plus culturels ne peuvent être basés uniquement sur les essais et les erreurs, il faut qu’il y ait du modèle quelque part. » 2*




Vidéo (extrait 2) :



Aristote, poursuit Adèle Van Reeth reconnaît les bienfaits de l’imitation. Dans la poétique, il indique que l’enfant a une tendance naturelle à imiter et surtout à trouver du plaisir dans l’imitation.
Effectivement, développe Jacqueline Lichtenstein, la condamnation morale du faux est très récente. C’est au 20ème siècle que l’on a un jugement moral et qu’il y a une sorte de chasse aux faussaires. La condamnation est liée à l’idée d’imitation.
Aristote en définissant de manière positive dans le Chapitre 4 de la « Poétique » «les hommes prennent plaisir à imiter et que  l’imitation est naturelle ; » sauve les Arts de la condamnation platonicienne et définit les Arts - ce que nous appelons les Beaux-Arts, donc - selon le principe  de l’imitation.
Avec Aristote, deux conceptions de l’art l’une comme imitation de l’histoire et l’autre comme imitation de la nature ont cours.
A la renaissance une nouvelle conception apparaît.  L’Art comme imitation de l’Art, c’est-à-dire que l’on demande à l’artiste de se référer à des modèles antérieurs.  Avec l’humanisme, la production artistique s’inscrit dans une histoire de l’Art où l’Art se réfère à l’Art.
A l’époque, la question de l’originalité qui se posait comme aujourd’hui.
En mettant en avant cette nécessaire originalité, ne nous coupons-nous pas des bases nécessaires à l’édification d’une pensée à la fois portée par l’excellence et innovante ?

Une chose est sûre, de nos jours, la construction du sens fait loi, la dévalorisation de la copie, soit-elle nécessaire à l’apprentissage, est patente.

Portés à nous croire sur parole en toutes circonstances, notre pensée nous semble incroyablement originale.

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1* (Vidéo extrait 1) Auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille Le faux en art - Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth lors de l'émission des nouveaux chemins de la connaissance. Dimanche 10 novembre 2013 – Citéphilo.
2 * « Les empiriques, semblables aux fourmis, ne savent qu’amasser et user ; les rationalistes, semblables aux araignées, font des toiles qu’ils tirent d’eux-mêmes ; le procédé de l’abeille tient le milieu entre ces deux : elle recueille ses matériaux sur les fleurs des jardins et des champs ; mais elle les transforme et les distille par une vertu qui lui est propre : c’est l’image du véritable travail de la philosophie, qui ne se fie pas aux seules forces de l’esprit humain et n’y prend même pas son principal appui. […] C’est pourquoi il y a tout à espérer d’une alliance intime et sacrée de ces deux facultés expérimentale et rationnelle ; alliance qui ne s’est pas encore rencontrée 7. » Olivier Martinaud,  – Nouveaux chemins de la connaissance 01.01.2015 – Actualité philosophique (4/5) d’Adèle Van Reeth avec Alexis Tadié.
3*L’Inspectrice de l’éducation Nationale, Viviane Bouysse, enfonce le clou : "L’apprentissage par essai-erreur ne suffit pas, il faut du modèle quelque part." En effet, insiste-t-elle, « L’imitation ne doit pas être tabou. Plus les enfants sont petits plus ils apprennent par imitation. Ils apprennent par essai-erreur et ils apprennent par imitation. Les apprentissages les plus culturels ne peuvent être basés uniquement sur les essais et les erreurs, il faut qu’il y ait du modèle quelque part. » 2*
Conférence de Viviane Bouysse du 14/11/12 – « Entrer dans l'écrit en maternelle » - Auditorium de Douai. Merci de son accord gracieux.

4* Vidéo (extrait 2) Auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille Le faux en art - Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth lors de l'émission des nouveaux chemins de la connaissance. Dimanche 10 novembre 2013 – Citéphilo.

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Jacqueline Lichtenstein et Adèle Van Reeth 
Auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille "Le faux en art" - 
Emission des "Nouveaux chemins de la connaissance." 
Dimanche 10 novembre 2013 – Citéphilo.
Photos : Virginie Le chêne parlant
Transcription des vidéos.
Vidéo 1 :
On crée en copiant
« Le génie ne s’apprend pas, nous apprend Kant. «  évoque Adèle Van Reeth. Mais qu’en est-il de la copie ?
La copie est un exercice fondamental pédagogique. On apprend en copiant, en imitant les maîtres. C’est la formation de l’artiste à l’Académie qui dessine d’après l’antique en copiant les statues antiques. Qui copie les tableaux.  Qui copie, dessine,  d’après le modèle vivant.
Qu’est-ce que le style propre ? C’est ce petit écart qui fait qu’à partir de la copie on va produire quelque chose qui est propre.
La métaphore, le lieu commun, c’est celui de l’abeille. L’artiste doit être comme une abeille qui prend à toutes les fleurs  pour fabriquer un miel qui n’est qu’à elle.
L’idée de bonne imitation est celle qui permet de se nourrir de tout, de prendre à tout.
« Mon imitation n’est pas esclavage. » écrit Jean de la Fontaine
De faire une œuvre originale. Tout en sachant que la valeur d’originalité est une valeur très récente.
L’idée que l’on crée en copiant… On apprend à créer. Au Louvre, il y avait une exposition qui s’appelait «  Copier Créer » qui montrait comment de Delacroix à Géricault, il y avait de tout petits écarts.
Il n’y avait pas la question de l’originalité qui se posait comme aujourd’hui.

Vidéo 2 :
Aristote, poursuit Adèle Van Reeth, reconnaît les bienfaits de l’imitation. Dans la poétique, il indique que l’enfant a une tendance naturelle à imiter et surtout à trouver du plaisir dans l’imitation.
La condamnation morale du faux est très récente. C’est au 20ème siècle que l’on a un jugement moral et qu’il y a une sorte de chasse aux faussaires. Et une condamnation morale. Ceci est lié à l’idée d’imitation.
Aristote en définissant de manière positive dans le Chapitre 4 de la « Poétique » «les hommes prennent plaisir à imiter et que  l’imitation est naturelle ; » sauve les Arts de la condamnation platonicienne et définit les Arts ce que nous appelons les Beaux-Arts selon le principe  de l’imitation.
Avec Aristote, deux conceptions de l’art l’une comme imitation de l’histoire et l’autre comme imitation de la nature ont cours.

A la renaissance une nouvelle conception apparaît.  L’Art comme imitation de l’Art, c’est-à-dire que l’on demande à l’artiste de se référer à des modèles antérieurs.  Avec l’humanisme, la production artistique s’inscrit dans une histoire de l’Art où l’Art se réfère à l’Art. 




 Adèle Van Reeth 
Auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille "Le faux en art" - 
Emission des "Nouveaux chemins de la connaissance." 
Dimanche 10 novembre 2013 – Citéphilo.
Photos : Virginie Le chêne parlant

lundi 3 août 2015

Cynthia Fleury - Rééquilibrer les tendances naturelles...




Source : Site de Jean-Philippe Barrey.

"Je nous crois spontanément tous « libéraux » et de droite : nous avons tous le souci naturel de veiller à notre préservation, de nous préférer toujours à autrui sans réelle mauvaise intention, de faire tout ce qu'il y a en notre pouvoir – au risque que cela entre en concurrence avec l'intérêt d'autrui – pour nous « conserver » de la meilleure des façons possibles. Dans sa version digne et impérative, cela s'appelle le conatus, cet « appétit de vivre » qui, selon Spinoza, s'identifie à l'appétit de soi. Mais si naturellement « libéral » et de droite fait sens, je vois mal comment cela fait sens politiquement, voire intellectuellement. A moins d'œuvrer à faire en sorte que ce souci primordial tourne à la caricature. Bref, de ce point de vue, je perçois mal la pertinence et la valeur politiques de voter à droite. Faire de la politique, résister au libéralisme ou voter à gauche n'est-ce pas considérer que le travail du politique consiste précisément à rééquilibrer les tendances naturelles et à veiller à ce que le naturel ne dégénère pas ? Faire de la politique, c'est lutter contre l'entropie naturelle et non la renforcer."  p 104-105




Cynthia Fleury le 14/03/2015 - Photo : Virginie, Le Chêne parlant

*Cynthia Fleury, Les pathologies de la démocratie, Fayard, 2005, ISBN : 2-213-62322-8

dimanche 2 août 2015

De l'importance des Liens... Bernard Stiegler

Et le capitalisme apparaît ici, en tant qu’il généralise les milieux dis-sociés, comme ce qui est devenu le principal facteur de destruction du nous. Epuiser la libido [énergie], c’est épuiser ce qui constitue le lien social, à commencer par le lien familial – c’est détruire cette philia dont Aristote fait la base de la cité comme civilité, entendue ici comme attention des uns pour les autres, c’est-à-dire comme affection politique, laquelle est aussi, comme affectio societatis, la condition de possibilité de ces sociétés anonymes que la financiarisation du capitalisme industriel est en train de détruire à grands pas. 
Bernard Stiegler - Ars industrialis - réenchanter le monde