mercredi 28 septembre 2016

De Gilbert Garcin à la physique des multitudes, entretien avec Etienne Klein.

Physique des multitudes


Etienne Klein 25-10-15 - Photo Virginie Le Chêne parlant


En collaboration avec le Magazine Slow Classes


L’Art serait-il une reproduction ? Une idée ? Une combinaison de couleurs ? Une imitation ? Une abstraction ? Une œuvre originale issue d’un être singulier ?

Nous le voyons, nous avons beau penser de l’Art - gratter à sang notre questionnement épidermique - nous nous agaçons d’entendre des définitions aussi parcellaires qu’insatisfaisantes.
Heureusement, des acrobates de la pensée – plus virtuoses que d’autres, faut croire - pénètrent dans l’arène des idées et parviennent à mettre un peu d’ordre dans ce cirque de propositions. L’équilibriste es art, Jacqueline Lichtenstein 1* par exemple, mais également le philosophe Régis Debray dont la pensée de haute voltige fait le régal de tout questionneur émerveillé. A nous de saisir le trapèze original lancé à travers l’espace des conventions à géométrie plate. Que nous dit-il ? « L’art, c’est du beau fait exprès »*2.
La proposition interpelle.                        
Du fait exprès – l’objection de la photographie étant balayée par l’intentionnalité de la prise de vue -, la chose est entendue. Quant au beau, naturellement, il s’agit ici de la catégorie kantienne du beau… d’une «finalité sans fin», celle procurant une « satisfaction désintéressée ».   Car évidemment, en matière d’art contemporain la laideur rivalisant de médiocrité -,  retenir ce critère aurait pu paraître contestable. C’est pour cette ambiguïté de la langue que nous l’écarterons.
 « Du fait exprès »…  Bien. Retenons. Mais dans quel but ? Pour quoi faire ? … Montrer… Offrir ?...
Oui, c’est cela…  Donner.
« Du fait exprès pour donner à voir  » L’idée semble étrange. Pourtant sa proximité avec le « donner à penser » philosophique n’est pas inintéressante.  
L’Art – avec grand A, SVP – ne serait-il pas, en effet, ce qui ajoute, accroît, augmente ?
Pour preuve, piquons au fil du hasard deux exemples, celui d’une barre de béton d’un côté et de l’autre celui d’une œuvre de Sonia Delaunay. Comparons. L’essentiel distinguant les deux œuvres ne réside-t-il pas justement dans l’expression de chacune ? Autrement dit, dans le contenu de leurs propositions ?
Face à l’évidence – une fois n’est pas coutume - nul besoin de réfléchir ad vitam aeternam. Constat : la première ne représente qu’elle-même, proposition certes solide, mais quelque peu – avouons-le - monolithique et lourde. La seconde est couleurs, formes, profondeur, semble donc douée quant à elle, d’angles de vue à géométries multiples. Nous entrons là dans le monde courbe de la physique  des multitudes … : une sorte d’univers hyper-dimensionnel.
Nous le voyons, tout comme l’infime translation de sens provoque l’écart qui interpelle, du regard en biais émerge la pensée qui arrête.
Aussi, de la même manière, en s’exprimant sur les photographies atypiques de Gilbert Garcin, le physicien Etienne Klein, donne-t-il à voir une matière qui nous échappe… Plus qu’une interprétation décalée, la densité des savoirs propres au monde de la physique apporte une vision* étonnante. Un éclairage détonant…  Un autre langage, un ajout, un enrichissement, en ce qu’une lecture ordinaire – la nôtre, c’est-à-dire exempte de paramètres scientifiques –  en est incapable et donc, face aux photomontages demeure muette.
L’artiste serait-il alors un traducteur de monde ?
             De la lecture infinie d’un paysage, en tout cas, surgit l’intérêt du flâneur.     

Petite balade, donc, en langue des sciences…

Virginie  : Merci d’avoir accepté de reprendre cet entretien… Lors de notre dernière entrevue, vous évoquiez les photographies de Gilbert Garcin. Quels concepts appellent-elles.  A quoi vous font-elles penser ? (L’espace et le temps : Un homme sur fond de nuages tient une horloge et semble tomber. A gauche, une graduation constitue peut-être la mesure de sa chute.)
Etienne Klein : Gilbert Garcin saisit une horloge. On a l’impression qu’il se saisit du temps. Cette photographie pose la question du temps. Le temps dépend-il du sujet ou pas ? Est-ce que l’on a affaire à un temps propre ?  Qui est le sien ? Ou s’agit-il du temps de l’univers ?  Dans quelle mesure l’écoulement du temps dépend-il de la conscience du sujet qui l’éprouve ?
C’est une vieille question… Qui pose à la fin la question de savoir ce qu’on appelle-t-on le temps… Est-ce qu’il se donne objectivement ? Qui a une réalité indépendante de nous ? Ou le temps est-il un produit de la conscience ?
Et si c’est le produit de la conscience,  alors comment peut-on expliquer qu’il ait pu apparaitre une conscience dans l’univers après qu’un certain temps se soit écoulé ? Aujourd’hui, nous le savons, la conscience a une histoire. Elle n’a pas toujours été là… Elle est un  produit de l’évolution…
Or si la conscience est le moteur du temps, alors on doit comprendre comment le temps a pu passer avant que la conscience apparaisse dans le temps.
On a là un photomontage sur lequel on pourrait gloser durant des heures…
Virginie : Ça s’appelle « Espace et temps », il y a une gradation. Une graduation, cela at-il un rapport avec la durée ?
Etienne : C’est peut-être un marquage du temps cosmologique ? Comment le temps du sujet, le temps local, le temps qui donne à l’individu la conscience d’un présent s’installe dans un temps cosmologique… On peut le voir comme cela.
Virginie : Celle-ci ? (Chacun son destin : Le photomontage représente deux personnages – un homme et une femme - placés côté à côte, de dos. Au sol, des lignes convergent vers deux points d’horizon, un pour chacun des personnages.)


Gilbert Garcin


Etienne Klein : Elle fait penser à l’espace-temps, aux travaux d’un théoricien qui s’appelle Roger Penrose… Comment on peut reconstruire l’espace-temps à partir des géodésiques qui sont les trajets de la lumière. La lumière tisse une espèce de maillage à partir duquel on peut reconstruire l’espace-temps lisse et continu tel qu’on le connaît.  
On a là une représentation assez angoissante de l’espace-temps tel qu’il est conçu dans la conception qu’on appelle l’univers bloc. L’idée que l’espace-temps est une arène présente de toute éternité. Elle a toujours été là et tous les évènements sont disposés dans cette arène, qu’ils soient présents, passés ou futurs, ils ont la même réalité, ils ont la même ontologie.    
Ce qu’on appelle le présent, c’est simplement l’endroit marqué par notre présence. Autrement dit, c’est notre présence qui définit le présent. Là on a deux personnages qui semblent indépendants l’un de l’autre, complètement dé-corrélés.  Qui semblent marquer un présent qui leur appartient. Et qui ne vaut que pour eux-mêmes.
Virginie : En même temps, il y a des lignes de convergence.
Etienne Klein : oui, il y a des lignes de convergence…  Il peut y avoir des croisements. Mais je ne crois pas qu’il y ait des lignes d’univers qui soient identiques pour les deux personnages. Ces derniers semblent condamnés à une forme de solitude.
Virginie : Dans votre livre intitulé « Discours sur l’origine de L’univers. » vous traitez de l’épineuse question des origines.  L’univers a-t-il une origine ?
Etienne Klein : On ne peut penser l’origine de quelque chose qu’en la décrivant comme l’achèvement d’un processus qui l’a précédé.  Autrement dit raconter l’origine de quelque chose, par exemple des atomes, des noyaux d’atome dans  l’histoire de l’univers cela peut se faire en racontant les processus qui se sont déroulés lorsqu’il n’y avait pas d’atome ou de noyaux et dont les noyaux et les atomes sont l’aboutissement. Donc raconter l’origine de quelque chose c’est raconter ce dont cette chose est la conclusion… Cela suppose une antériorité à la chose. Une antériorité à l’origine proprement dite. Autant on peut dire que cela fonctionne bien pour les atomes, les noyaux d’atome. Autant pour l’univers lui-même cela pose un problème.  Ca supposerait qu’il y ait une histoire avant l’univers ou avant l’origine ce qui est contredire l’idée même d’origine.
A chaque fois que l’on tient un énoncé en disant que l’origine de l’univers est cette origine « c’est ceci ou cela »,  quand on nomme quelque chose qui serait en amont de tout le reste, on tient un discours contradictoire. Et cela contredit l’idée d’origine. En effet, ou bien cette chose que l’on met en amont de toutes les autres a toujours été là, ce qui contredit l’idée d’origine. Ou bien cette chose que l’on met en amont de toutes les autres est elle-même l’effet d’une cause qui l’a précédée, et à ce moment-là ce n’est pas l’origine. L’origine peut être pensée mais elle ne peut pas être désignée sans que cela ne la mette en contradiction avec l’idée qu’elle représente.
Virginie : … (La certitude : un homme muni d’un pendule marche sur des lignes géométriques. )


Gilbert Garcin

Etienne Klein : Manifestation de la gravitation… On a l’impression d’une verticale qui est tracée par chemin gravitationnel ? ….
Tentative d’insérer la gravitation dans un espace-temps fixe. C’est ce qu’Einstein a essayé de faire dans les années 1911-12 lorsqu’il était à Prague.  Essayer de concilier la gravitation avec sa théorie de la relativité restreinte qui promeut un espace-temps statique… Et quand il a constaté que cela ne pouvait pas se faire, il a opté pour des géométries plus exotiques, notamment des géométries  courbes et ça a donné naissance à la relativité générale. Et donc, je vois  ce photomontage comme une illustration  de la tentative einsteinienne de faire une théorie relativiste de la gravitation.
Le poids vient se poser comme un cheveu sur la soupe de l’espace-temps. On ne sait pas trop comment le regarder… Quelle position on va lui attribuer ? Est-ce que l’on peut parler d’une     verticale ?... Et donc … Oui ça parle.
Virginie :  La bonne direction : (Un homme se situe au pied d’un panneau de signalisation doté de flèches allant dans toutes les directions.)



23 - Les bonnes directions - The right ways

Etienne Klein : Comment peut-on orienter l’espace ? L’espace est-il isotrope ?  Toutes les directions sont-elles équivalentes ? Y a-t-il des directions privilégiées ? Si on rapporte cela à la question du temps. Non pas à l’espace-temps mais au temps tout seul… Y at-il une flèche du temps ? Y a-t-il une direction du temps qui fait que le temps a un cours l’empêchant de repasser par les positions  traversées dans le passé… Est-ce nous observateurs qui déterminions par notre présence, et par le fait que nous suivons notre ligne d’univers une espèce d’écoulement qui aurait un sens bien définit dans l’espace-temps… Qu’est-ce qui fait notre impression qu’il y ait un ordre du temps ? Est-ce que c’est notre mouvement qui crée cette impression ? Est-ce qu’il y a un ordre intrinsèque à l’espace-temps que nous découvrons tel qu’il est… Est-ce que nous le fabriquons ou est-ce que nous le recevons ? 
 Virginie : Et celle-ci ? (La persévérance : une femme avance sur un ponton construit au fur et à mesure par un homme utilisant des piliers de plus en plus minces.)


Gilbert garcin

Etienne Klein : Tentatives faites en physique de reconstruire l’espace-temps à partir d’un inframonde dans lequel il n’y a pas d’espace et pas de temps. On peut penser à un écoulement qui soit discontinu. C’est-à-dire, il y a du temps et de temps en temps il n’y a plus du temps... Et ça reprend, etc. Avec l’idée que le temps a un cours qui se construit pas à pas… Le cours du temps pousse un peu comme la tige d’un arbre. Ou d’une plante. Au-delà de lui-même il n’y a rien et c’est sa progression continue qui fait que… petit à petit on vient coloniser le néant pour y installer des moments présents. Et là en l’occurrence, il le construit quasiment à la main.
Au lieu de considérer le temps comme quelque chose qui est donné qui a un cours transcendant par rapport à nous … Il serait l’objet d’une construction qui viendrait de nous.  Nous serions en quelque sorte les architectes du temps.
Ce sont des choses que certains aspects de la physique théorique peuvent laisser penser.
Virginie : Ça devient, sur le photomontage, de plus en plus fragile…
Etienne Klein : Si on dit que le temps passe. A mesure qu’il passe, il devrait venir de plus en plus proche de son trépassement… Il devrait finir par s’affaiblir. A force de passer on s’use. Il y a ici une idée de mesure du temps.
Pour le coup, la physique n’en rend absolument pas compte.
Pour Einstein, plutôt pour Newton, le temps est indépendant du temps.  La façon d’être du temps ne dépend pas du temps. On aurait une sorte d’amortissement dont la physique ne se fait pas l’écho.

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La vidéo :


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Sites et notes

2 * Régis Debray, soyons clairs, c’est de l’or en barre.  Un maître à pensées, autrement dit, l'inverse du plagiaire de platitudes ou du pilleur de banalités.  
Régis Debray. L’art n’est pas à mes yeux une catégorie naturelle et intemporelle. C’est une invention toute récente, c’est l’invention de la première moitié du quattrocento à Florence (Brunelleschi, Donatello, Masaccio ou Leon Battista Alberti). Définissons alors l’art comme «le beau fait exprès», ce que Kant appelle «la finalité sans fin». Donc c’est quelque chose qui est lié à la naissance de l’individu, à la naissance de l’objet amovible. De sorte que je me refuse à parler de l’art comme catégorie en soi. Mais prenons même cette acception générale de l’art, qui ne s’applique absolument pas aux images gravées ou peintes du paléolithique, qui sont des images pour survivre en quelque sorte, qui ne sont pas des images pour faire beau. Mais on ne peut pas parler de l’art classique comme on parle de l’art moderne ou de l’art contemporain. On ne peut pas adopter la grille de l’art classique pour parler de l’art actuel. Disons que l’art classique, c’est celui qui obéit à des canons, à des règles, à des formes instituées – peinture d’histoire, peinture religieuse –, il est donc en quelque sorte prédéterminé, et il est, à ce titre, un art académique. L’art moderne, c’est l’expression d’une intériorité individuelle, d’un style. Disons que ça commence avec Édouard Manet, et comme disait Malraux en 1957: dans le portrait de Georges Clemenceau en 1880, ce n’est pas Clemenceau qui nous intéresse, c’est Manet. Et puis l’art contemporain, qui consiste à transgresser les frontières de l’art. Non pas produire des objets, mais produire un malaise. De sorte qu’on ne peut pas regarder telle période de la création artistique, avec les lunettes de la création antérieure ou postérieure.
 : Série d’excellentes émissions intitulées « Allons aux faits ».

Etienne Klein 25-10-15 - Photo Virginie Le Chêne parlant
Pépites glanées :
A propos d’André Malraux… « C’est toujours un malheur d’être trop érudit pour les littéraires et trop littéraire pour les érudits. »
André Malraux, c’est du Kitch cosmo-lyrique.
« Malraux est trop érudit pour les littéraires, trop littéraire pour les érudits. Il ne parle pas le philosophe, tout en alignant les philosophèmes. Le chaman tempère, mais en fait aggrave, un certain kitsch cosmo-lyrique (la main tremblante dans le crépuscule, le chant des constellations, etc.) par l’ellipse mallarméenne, en sorte qu’un grincheux peut lui reprocher à la fois l’emphatique et l’abscons, télescopage propre aux incantations du sorcier comme du prophète. »
Encore un pour la route…
« Malraux est un critique perçant, mais sans scrupules. Il ne joue pas le jeu des travailleurs de la preuve. »
n° 117, décembre 2011 • Régis Debray : «L’art à l’estomac, ou l’anti-Malraux» (2005)
http://malraux.org/debray3/

* Arthur Rimbaud, of course.

C’est une manière de respirer le monde à plein regard.



samedi 24 septembre 2016

"En lutte contre les régressions" Bernard Stiegler, Pascal Chabot, Claude Lenglet


Que faire, interroge le philosophe Bernard Stiegler,  quand, d’ici peu, les formes d’emploi que nous avons connues n’existeront plus ? Quand 30% des emplois disparaîtront au profit des robots ? Quand les compétences humaines seront passées dans la machine, que restera-t-il au travailleur pour prouver qu’il est employable ?

Bernard Stiegler - Photo Le chêne parlant

C’est une barbarie de détruire les systèmes sociaux, n’hésite pas à dénoncer le philosophe engagé au sein de plusieurs projets et associations. 1*
Face à l’entropie qui décompose la société de toute part. Face aux savoir-vivre détruits. Face à une espérance de vie décrite par Amartya Sen, prix Nobel d’économie, paradoxalement plus élevée au Bengladesh qu’à Harlem, tant le consumérisme a détruit le tissu social et les capacités des habitants d’une ville, c'est-à-dire les savoirs.
Face aux informations balancées sur la toile à 200 millions de mètres par secondes - soit deux fois plus rapidement que la foudre, précise-t-il, laquelle ne tombe qu’à 100 millions de mètres par seconde. Il faut – poursuit-il, créer de la néguentropie : c’est-à-dire de la culture et du rêve. Il faut pouvoir exister dans un monde qui n’a pas besoin de vous. Redistribuer. Instituer un revenu, à la manière des intermittents du spectacle.  

Bernard Stiegler - Photo Le chêne parlant

En d’autres termes, réintroduire de la responsabilité et lutter contre la barbarie. Croître au sens de l’étymologie grecque, phusis, du verbe  "Phusein", c’est l’origine de la physique. C’est ce qui fait que le monde se transforme, est dynamique… C’est l’harmonia.
Nous nous devons de construire un nouveau pacte social. Entrer dans une économie de la contribution, celle de la « capacitation », consistant à reconstituer les capacités de chacun. Autrement dit, passer au néguentropocène.
Le philosophe Pascal Chabot, enfonce le clou. Le progrès utile, celui de la mesure instantanée, n’est pas le progrès subtil, nuance-t-il. Or apprendre, douter, creuser, aller plus loin dans la pensée sont des processus souterrains. Leurs bénéfices s’apprécient à long terme, se détermine sur un temps long. Nous ne sommes pas dans la même temporalité.   
Mais des initiatives existent, encore s’agit-il de « Faire monter l’intelligence collective au niveau du politique. »

Bernard Stiegler - Photo Le chêne parlant

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1* Ars Industrialis
Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
http://arsindustrialis.org/bibliographiebiographie



Bernard Stiegler - Photo Le chêne parlant

2*
https://sites.google.com/site/etymologielatingrec/home/p/physique-la
"Physique" vient du verbe Grec, "φυω" ("phuo", dont l'infinitif est "φυειν" "phuein", source Merriam Webster) signifiant croitre, générer.
Ce mot Grec "Phuein" est lui-même dérivé de la source indo européenne "bheu"[4], qui signifie "croître", "être".
En sankrit "bhu" signifie la terre, où croissent les cultures [5] comme opposé au ciel [6]

Cette racine donnera le grec "pheo", ou le verbe grec "phuomai[7]" ou"fuomai" ("φυομαι"[8]) ou encore "phusis" qui a le sens du "souffle", de "la vie". Son équivalent est la racine indo européenne antérieure "bhu" [9] signifiant "croitre", "être"

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dimanche 4 septembre 2016

"Pourquoi j'écris" - Henri LOPES, Citéphilo, 8 novembre 2014

Pourquoi assister à des conférences ?... Pour ces petits miracles, le partage de ces passions, émotions, pensées. Pour ces attaques en force, ces percées majeures de la croûte du vulgaire. 

"Pourquoi j'écris ?" 
Henri Lopes

J'écris parce que je suis un Africain ; un homme vieux de plusieurs millions d'années dont la mémoire et l'imaginaire ne tiennent qu'au fil ténu et fragile d'une tradition orale brumeuse ; un homme dont la bibliothèque date de moins d'un siècle.
J'écris pour introduire dans l'imaginaire du monde des êtres, des paysages, des saisons, des couleurs, des odeurs, des saveurs et des rythmes qui en sont absents ; pour dire au monde des quatre saisons celui des saisons sèches et des pluies ; pour dire au ciel de la Grande Ourse celui de la Croix du Sud.
Mais vous dire l'Afrique ne consiste pas pour moi à vous en faire un reportage ni à vous rédiger un traité de sociologie, d'ethnologie ou... d'entomologie. Le pays que mes romans évoquent n'existe dans aucun guide Michelin, dans aucun récit de voyage, dans aucun manuel d'histoire ou de géographie. C'est de mon pays intérieur que chaque fois je vous entretiens.
Peut-être ne suis-je au bout du compte qu'un dangereux menteur. Mais un menteur de haut vol, car il s'agit dans ce jeu-là de mentir juste, de «mentir-vrai». 
Écrire, c'est transfigurer la réalité.
J'écris pour assumer ma négritude, pour recouvrer mes «poupées noires». J'écris pour dire l'ami Manuel du poème de René Depestre :

L'homme qui se rase avec un tesson de bouteille, 
L'homme qui ne sait pas que la terre tourne...

J'écris pour dépasser ma négritude et élever ma prière à mes ancêtres les Gaulois ; Gaulois de toutes les races s'entend, de toutes les langues, de toutes les cultures. Car c'est pour moi que Montaigne s'est fait amérindien, Montesquieu persan et Rimbaud nègre. C'est pour m'aider à déchiffrer l'Afrique que Shakespeare a fait jouer ses tragédies, que Maupassant m'a légué ses nouvelles. 
J'écris pour avoir la force de vivre le pays de solitude, le pays métis.
J'écris pour décharger dans les mots mon envie de danser sur la place publique ; j'écris pour toi ; pour t'offrir cette coupe, toi dont la silhouette et les pas de danse me poursuivent dans mon sommeil ; toi que j'ai aperçue hier, toi dont je ne prendrai jamais la main, toi dont je ne suis pas digne. 
J'écris pour atteindre le plaisir pour m'y baigner. J'écris dans la bonté. J'écris dans la fureur. J'écris pour ne pas basculer. J'écris dans la folie. J'écris pour revenir de la folie. J'écris pour me soigner.
J'écris parce que je ne sais pas, j'écris pour apprendre. Chaque ouvrage est une université et, quelles que soient les préférences de mes lecteurs, mon dernier livre est pour moi le plus abouti.
Quand je crois maîtriser ces mots qui me sont à la fois outil et matière, ils me glissent entre les doigts, m'échappent et m'enivrent.