dimanche 13 octobre 2019

Journée d'étude consacrée à l'imitation, par Virginie Chrétien


Séminaire « APPLE », 2019-2020 -  Langue orale / langue écrite
Journée d’étude sur l’imitation (2019-2020) à la MESHS de Lille, espace Baïeto
Le mercredi 27 novembre de 9h30 à 17h30
Thème : Le rôle de l’imitation
Sous-thème pour 2019 : la valeur de l’imitation
Responsable : Virginie Chrétien, Maître-Formateur et doctorante au RECIFES, Université d’Artois.

Argumentaire :
Cette journée d’étude se propose de questionner le rôle attribué à l’imitation par certains penseurs passés ou contemporains - philosophes, psychologues, sociologues ou pédagogues de terrain.
Au travers de cette enquête psychologique, sociologique et historique il s’agira, d’une part, de s’interroger sur ce qu’implique le terme d’imitation. Est-ce une copie, une reproduction, une inspiration ? Cette capacité est-elle naturelle ou construite ? Ce qui supposerait un apprentissage culturel de la part du sujet apprenant. Cette question anthropologique est discutée dès le 18e siècle (chez Buffon, Darwin et Condillac notamment) dans le cadre des débats que suscitent alors le problème de l’évolution des espèces et de la « Nature de l’Homme » au regard de celle de l’animal.
Cette journée d’étude, d’autre part, posera plus généralement le problème du regard de la société vis-à-vis de l’imitation : vue comme éminemment positive jusqu’au XVIIème siècle, où l’imitation avait une valeur pédagogique notamment au niveau de l’esthétisme en Art, la perception de l’imitation s’est particulièrement dégradée, en particulier au sein des apprentissages scolaires, l’imitation étant devenue synonyme de copie, de reproduction passive, voire de plagiat. Quels sont les différents facteurs (philosophiques, épistémologiques, culturels, pédagogiques etc.) susceptibles d’expliquer une telle modification de statut ?
Enfin, il s’agira de démêler le rôle de l’imitation dans les processus cognitifs. Les relations intersubjectives et imitatives semblent fondamentales à tout apprentissage. En quoi l’imitation interviendrait-elle dans toute acquisition, formelle ou informelle, de connaissances ? Ici les travaux des psychologues Baldwin, Piaget, Vygotski ou encore Bruner pourraient nous éclairer.

Intervenants : 


Stéphane Hirischi, Chanson l'art de fixer l'air du temps de Bruant à Mano Solo, Belles lettres,

Alain Firode Empirisme et pédagogie à l’époque des lumières, L’Harmattant, 2015, 

Sébastien Charbonnier, Deleuze pédagogue : La fonction transcendantale de l'apprentissage et du problème, L’Harmattant, 2009,

Virginie Chrétien, doctorante.


Bibliographie :


Baldwin James, Le développement mental chez l’enfant et dans la race, Paris, Harmattan, (1897) 2006. 

Condillac, Traité des animaux, 1755, Corpus des œuvres de philosophie en langue française, 1984,

Darwin Charles, La descendance de l’homme, Paris L’Harmattan, 2006, 1871 (rééd 1891).

Guillaume Paul, L’imitation chez l’enfant, Paris, Presses Universitaires de France, 1926, 1968

Piaget Jean, La formation du symbole chez l’enfant, Paris, Delachaux et Niestlé, 1978

Tarde Gabriel, Les lois de l’imitation, Paris, éditions Kimé,  1993 [1890]



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Déroulé de la journée  du mercredi 27 novembre 2019 à La MESHS de Lille, espace Baïeto :

9h00 -10h30 - Virginie Chrétien : "L'imitation selon Condillac" 

10h45 - 12h30 Sébastien Charbonnier  : "Similitude ou ressemblance : à quelle condition l'imitation peut-elle nous encapaciter ?"

14h00 -15h30 : Stéphane Hirschi : L'imitation en chanson, de l'admiration à la reprise. (Il aime participer assez longuement)

15h45 -17h30 ; Alain Firode "Comment faire siennes les idées qui appartiennent à d'autres : emprunt et imitation dans la pensée pédagogique des Lumières".






           


          

vendredi 12 juillet 2019

L’envol de Yann Crépin .

La musique serait-elle d’envols et de magie ?

Comment expliquer, sinon, les soulèvements ? Comment comprendre les frissonnements parcourant l’échine de l’âme ? Comment entendre les vibrations longeant les muscles et touchant la conscience ?

D’abord des surgissements. Pas n’importe lesquels. Des soulèvements. Un pouvoir de saisissement. Autant d’échappées offertes aux instants déliés des sentiments manifestes. Non des illusions. Bien au contraire, des points de contact entre le concret d’un monde, là, durement réel et des moments perdus où la présence – et quelle présence – de celle délicate d’un gouffre friable est posée tout au bord du vide.  Que sont ces fragiles esquifs longeant la surface des pierres ? Des songes ? Non point. Des brûlures. Des étincelles. De purs sortilèges, donc. Des univers tremblés proches du grondement des flammes. Or de ces souvenirs pleins - escarbilles de mémoire dansant à l’ombre du cosmos - s’élèvent des lueurs sauvages. Des projections musicales toutes en visions délicates, toutes en battements retranchés. Proliférations de l’espace à la recherche du foisonnement, curieux de ce qui se double et se multiplie : une touche fragile élevant l’être au-delà du sublime.


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dimanche 21 avril 2019

Cardio-boxing, l’apprentissage de la densité et la pratique politique de "la violence activée", par Elsa Dorlin





Tag, Paris, 2018, photo : V.Chrétien

      Une des recommandations en matière de cardio-boxing est de viser l’adversaire imaginaire sensé se trouver devant nous, mieux, de s’attacher à essayer d’attaquer une personne détestée. Action assez comique où une myriade de bras et de pieds sont lancés à l’assaut du vide. Difficile exercice tant il semble peu aisé de penser l’ennemi – à condition, bien sûr, d’en avoir un - dans la durée. Et, décidément, définir sa force à l’aune d’une colère ou de représailles suscités par de vils fantômes revient souvent à confondre le sentiment haineux avec de la puissance, à mélanger férocité et habileté, à dissoudre l’action dans l’impulsivité.

Or, la force n’est pas affaire de dureté mais de solidité.

 Cette science de la maîtrise interne ne consiste pas à tendre ses mouvements en fonction d’un autre détesté mais  à ajuster ses gestes à l’extrême tension des muscles, à sentir ses membres frotter les contours de l’espace, à mesurer l’ultime limite des dimensions, à développer la vivacité de l’épiderme. Donc, à l’inverse d’une démesure désordonnée ou d’un affrontement  enragé, le principe est celui de la contenance de soi et de la précision volontaire. Pour le dire autrement, il ne s’agit pas d’un calcul rationnel mais d’atteindre l’épaisseur du milieu.

Mais alors, éprouver son environnement  par le faire suffirait-il à atteindre l’efficacité ? Difficile à croire... Comment la tension nerveuse poussée à la frontière des possibilités physiques pourrait développer un savoir-faire ? Comment le déploiement de sensations internes pourrait surpasser le déchaînement d’une brutalité tournée vers l’extérieur ? Après tout, viser un but (en l’occurrence l’adversaire) n’est-il pas le meilleur moyen de l’atteindre ?  

De fait, partir de son en-soi ne va de soi. Aussi cet Art de la précision paraît revenir à combattre les yeux fermés, à poursuivre un idéal de chimère, à adopter le repli obstiné des organismes suicidaires.

Naturellement, il n’en est rien. Rechercher la moindre perte d’énergie par le geste juste ne veut pas dire être dénué d’énergie. Bien au contraire. C’est incroyable comme la réalité matérielle admet l’existence de trajectoires exactes. C’est fou comme le mouvement tendu s’ajuste au strict contenu de la matière. C'est stupéfiant comme l’action se déploie à l’extrême limite de l’expérience sensitive… Pas n'importe laquelle, bien sûr... de celle qui durcit le muscle et l’enveloppe de la pleine mesure de l’espace, de celle qui densifie à l’extrême chaque parcelle de chair. Les adeptes des Arts martiaux connaissent ça. Ils savent la puissance des énergies intérieures - déroulées lentement, solidement, à la limite de la résistance, poussées à l’aplomb de la robustesse - et ce,  jusqu’aux fondements de la physique.

                   
                    En quelque sorte, la dense maîtrise de soi au service de la puissance.





Bordeaux, 2019, photo : V.Chrétien


Cette justesse mesurable au principe de l’efficience de l’action, la philosophe Elsa Dorlin l’a étudiée.

Art de la maîtrise employée par les êtres soumis à l’adversité de l’esclavage, les arts martiaux ont constitué un moyen de surmonter les multiples pressions (interdiction de se rassembler, interdiction de discuter, interdiction de disposer d’outils), brimades (interdiction de circuler librement, de fréquenter certains lieux, de regarder une « blanche »…) et interdictions diverses (interdiction de danser !) en  apportant une réponse certes violente en apparence mais en réalité de contenance et de maîtrise.

Il s’agit d’un usage politique de la "violence activée".

La pratique consiste à entraîner les corps, à convertir la violence subie en action afin de transformer cette violence en insurrection. C’est une question d’ascèse, de mode d’être, de maîtrise de soi où il est fait usage d’une violence maîtrisée. 


Elsa Dorlin pose la question, également, des images véhiculées par la société. Pourquoi une femme battue est-elle toujours représentée en tant que victime ? N’est-ce pas l’enfermer dans un statut ? Et ainsi lui ôter tout pouvoir de répondre ? L’empêcher d'agir ?

Nous ne pouvons qu’acquiescer. La chose, effectivement – grâce à Elsa Dorlin – nous apparaît évidente, à présent.     
   


Marseille, photo : V.Chrétien
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samedi 23 février 2019

L'Art de la fraternité par André Comte-Sponville.

Est-on frère en toute circonstance ? interroge le philosophe André Comte-Sponville.

Étrangement, alors que l’amitié, l’amour, la justice, le courage sont entendus d’emblée comme vertus, la fraternité, dans la tradition des textes philosophiques, ne l’est pas. Pourquoi cette mise à l’écart ?
Sommes-nous réellement tous des frères ? Ou ne serions-nous point plutôt des cousins très éloignés ? Des individus si psychologiquement distants que nous ne nous préoccupions plus du sort d’autrui ?
Nous le voyons, afin de répondre à cette question, encore s’agit-il de définir ce qu’est un frère.
Alors allons-y, que sont des frères, en effet ? Des individus dotés des mêmes parents ? Faut-il l’entendre au sens d’un amour si puissant qu’il transforme l’autre en « frère » ? Faut-il y voir un ensemble d’adeptes rassemblés autour d’une croyance et donc, excluant ceux n’éprouvant pas la même ferveur ? Au reste, au sens religieux du terme, les croyants se sont beaucoup entre-tués.

La fraternité est la synthèse républicaine de 4 notions pourtant distinctes :
L’ Amour - La Générosité – La Solidarité – La Communion.
Étudions-les plus précisément.

          1. L'amour :

L’amour selon la tradition philosophique se subdivise en trois concepts distincts :
L’Eros autrement dit « l’amour-amoureux », la Philia soit « l’amour filial » et  l’Agapè ou l’amour de charité.

La fraternité républicaine, laïque, serait plus proche de l’agapè, en d’autres termes d’un amour dit « de charité », ou caritas. Qu’est-ce à dire ? A ce niveau, nous sommes chanceux ! En effet, l’amour de charité a été génialement résumé par Saint Augustin en une formule lapidaire : « Aime et fais ce que tu veux. » « Aime et fais ce que tu veux. »… Comment entendre cette formule sans effectuer de contre-sens ?  C’est assez simple : puisque tu agis par amour, tu agiras bien. Et, de fait, rappelle André Comte-Sponville, on ne nourrit pas ses enfants par devoir mais par amour. Il ne s’agit pas ici de morale mais d’élan affectif. Au reste, quand l’amour est là, on n’a pas besoin de morale. Les choses se font naturellement, le partage va de soi. Quand l’amour est là - insistons bien sur ce point – lois et morales deviennent inutiles.
D’accord. Très bien. Tout le monde s’accorde avec cette idée d’amour et de partage.
Mais à qui cela s’adresse-t-il ?  En effet, l’amour est-il généralisable ? La réalité nous montre tous les jours le contraire. On aime certes ses proches : ses enfants, ses parents, son conjoint (et encore au début). Mais ses parents... ce n’est même pas sûr… Ses amis ?... Certes, pour quelques uns…
En bref, cela concerne combien d’individus ?... Peu. Très peu. Trop peu. Alors, effectivement, comment éviter de faire le pire ? Puisque l’on ne peut aimer 7 milliards de personnes ?
Kant a une solution : celle de l’amour pratique. Si tu aimes, très bien : agis par amour. Si tu n’aimes pas, ce n’est rien : fais comme si… Kant nous dit : « Quand tu n’aimes pas, fais comme si… »
Donc, agis comme si… Comme si tu étais frère…
Et c'est là qu’apparaît la générosité.

       2. La générosité

La générosité, c’est la vertu qui consiste à donner à ceux que l’on n’aime pas. Quand on aime : on donne. Quand on n’aime pas : on est généreux. Donner à ceux que l’on n’aime pas, c’est la vertu du don, autrement dit : la générosité.En conséquence, même si je ne veux pas donner aux 7 milliards autres, la morale me rappelle à l’ordre : tu dois donner à ceux que tu n’aimes pas. Très bien, la morale semble sauver de tout. Est-ce vraiment le cas ? De fait, que faire si aimer,  je ne sais pas et donner,  je ne veux pas ? Nous pouvons tenter – alors – de suivre cette logique : Si tu ne sais pas aimer, sois au moins généreux… Si tu ne sais pas être généreux, respecte au moins la propriété d’autrui.
Ah là, je respire… Je sais faire.
Reprenons, insiste André Comte-Sponville… Aimer, je ne sais pas… Donner, je ne veux pas… Mais attention, là, il y a danger, car si l'on renonce à tout, alors advient la barbarie. Aussi - fort heureusement - il existe une parade, celle de la politesse. En effet, être poli s'avère constituer une compétence aisée… Etre poli, ça, je sais faire !

En conséquence, comme nous l’avons vu, la générosité prend en compte les intérêts de l’autre.
On partage. Serait-ce là être solidaire ?
Pas tout-à-fait, la générosité n’est pas à confondre avec la solidarité.

         3. La Solidarité.

Ce n’est pas de la générosité, même si elle lui ressemble en bien des points. En effet, la générosité donne à tous quand la solidarité est certes un partage mais auprès des détenteurs des mêmes intérêts. L’exemple le plus explicite étant celui du syndicalisme. La solidarité entend s’adresser aux convergences objectives d’intérêts. Raison pourquoi l’état est le premier à promouvoir la solidarité. Ce dernier ayant pour objectif de défendre les intérêts de ses citoyens. Là encore, au côté positif de la solidarité, existe un revers négatif, celui du partage. De fait, donner réclame de  diviser. De sorte que, lors d’un bon repas, plus nombreux soient les convives, moins il y en ait pour chacun. C’est notre dernier point. Souvenons-nous, nous avons déjà évoqué : l’amour, la générosité, la solidarité… reste donc à étudier la communion.  

      4. Communier :

Communier ne divise pas. C’est une valeur que nous partageons tous, comme celles de «la  liberté, l’égalité et de la fraternité. » Communier, c’est partager sans diviser. Cela semble paradoxal car partager semble diviser les choses. Ici, en l’occurrence, il s’agit d’une union collective. De sorte que lorsqu’on partage un gâteau - par exemple lors d’un anniversaire - le dessert compte moins que le moment passé en bonne compagnie.  On augmente son plaisir en étant ensemble. On communie ensemble dans le plaisir de partager un très bon gâteau.





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mercredi 23 janvier 2019

Éloge de l'amour par Alain Badiou.



Faut-il, vraiment, défendre l’amour ?

Après tout, dans un monde dénué de scrupules, ce sentiment tinté de rose ne serait-il pas hypocrite ? Après tout, ne pourrait-on pas apparenter l’amour à de puériles bienveillances ? A de pénibles enfantillages ? Ou bien encore à de cupides offrandes posées au sein d’un âtre mielleux ?
Bref, l’amour ne serait-il pas une fadaise guidée par de sombres calculs ? L’assurance de recevoir en échange de pensées doucereuses, superficielles, quelques récompenses divines ? Autrement dit, troquer des bons sentiments contre quelques méritants cadeaux ?

Pour Alain Badiou, il n’en est rien.

Nos identités sont forgées de relations complexes.
Enfermés dans le corps de nos pensées, nous avons parfois du mal à nous libérer de nos propres positions.
En ce sens, si l’échange est déjà un gain, l’amour offre de plus puissantes perspectives encore.
Celles, par exemple, de la connaissance de l’autre, du dépassement de son petit intérêt, ou encore l’assurance de s’affranchir de ses propres frontières  afin d’entendre l’autre.

En effet, aimer nécessite de s’effacer. De penser l’autre – de douter d’un pas – de trembler, d'hésiter, de se poser des questions. Bref, de tenir compte davantage des différences que l'on peut entretenir avec l'autre que d'inventorier de stériles similarités, puisque déjà présentes.

Dans cet échange de consciences plurielles, le passage d’âme à âme n’est pas impossible. Formant autant d’interrogations saisissantes. Autant d’expansions de soi.  Autant de traits arrachés au marbre de nos vies. Autant de saisissements sans vanité. Autant de traversées riches et passionnantes. Autant d’expression nous touchant en profondeur...

       ... De quoi provoquer des hordes de chamboulements et bien des émerveillements.

Merci à Alain Badiou et Pascal Claude de leurs aimables accords.