mercredi 24 décembre 2014

Vladimir Jankélévitch - L’art du frôlement philosophique -


« s’accorder pour un temps à cette conscience fugace 
qui a quelque chose à nous dire,
 une seule chose à nous dire, 
une seule chose, 
et que personne ne dira plus. » 
Lucien Jerphagnon 
 Raphaël Enthoven 
Matière première 1 * 

Photo : Jamie Baldridge - "The Romantic"



Lucien Jerphagnon - L'éclair fugitif...


Qu’est-ce que la philosophie ?

 « La philosophie consiste à penser tout ce qui dans une question est pensable, et ceci à fond, quoi qu’il en coûte ? » nous fait remarquer Vladimir Jankélévitch dans ses poèmes philosophiques. Le philosophe ajoute, Quelque part dans l’inachevé de ses échanges avec Béatrice Berlowitz.: « Il s’agit de démêler  l’inextricable et de ne s’arrêter qu’à partir du moment où il devient absolument impossible d’aller au-delà. » 2*.
La philosophie – au moins celle de Vladimir Jankélévitch – s’arrête-t-elle à ce « donné » du Penser ? à cette réflexion froide et rationnelle ? De celle qui incite le lecteur – brindille de sagesse potentielle – à pousser sur les pentes arides d’un désert logique ?
Resterait-elle lettre morte face aux nuages moroses du quotidien, fades de passer sans pleuvoir « … déserts de l’aridité et de la sécheresse : et ce sont, hélas ! les heures les plus longues, les plus nombreuses ; c’est la triste séance sans verve et sans inspiration ; ou mieux c’est la misère, la misère de la vie quotidienne… » 3*

Rien n’est moins sûr.

A la nostalgie décrite par la merveilleuse Barbara Cassin dans un livre éponyme 4*. A l’Ulysse de retour au pays, homme déjà las de ce qu’il voit et donc aveugle de ce qu’il ne sait voir,
Imaginez "Ulysse" – ARTE,




s’oppose la mélodie proustienne décrite par Pierre Macherey de ces « …  journées où la poussière des réalités est mêlée de sable magique, où quelque vulgaire incident devient un ressort romanesque. Tout un promontoire du monde inaccessible surgit alors de l’éclairage du songe et entre dans notre vie… » 5 *

« La philosophie s’étonne de ce qu’on a l’habitude de voir. », évoque Raphaël Enthoven dans une émission consacrée à Roland Barthes 6*. Cette disposition à embraser l’évidence, le connu, l’habituel, voire le banal, au feu de l’étonnement, est le donné des philosophies singulières, remarquables – bref, de celles que l’on estampille à juste titre du sceau de l’ « importance ». Certes, Vladimir Jankélévitch saute de plain-pied dans cet azur d’étoiles. Mais la supernovae de sa pensée dépasse le laser érudit du spécialiste en histoire et en art pointant d’un regard avisé les empâtements, croisements, ajouts, hésitations, maladresses volontaires, repentirs, paradoxes de pensées, et autres incohérences présents sur la toile des idées.

Vladimir Jankélévitch

Et si Vladimir Jankélévitch va plus loin, c’est que sa philosophie appartient au monde des étincelles, lumière de l’Art. Autre nom de la Poésie.
Ce qui le situe ou le distingue par delà les autres est une « Fonction protestataire du sublime sur l’ordinaire. » 7*. - de l’ordre de l’a-banal…

 C’est l’instant frôlant la peau de la mémoire d’un regard tourné vers soi. L’écorce d’une voix. Dans cette étendue atemporelle et géométrique 8*  - cet « Eternel instantané » évoqué par Raphaël Enthoven – deux galaxies en fusion sont contenues tout entières dans le mausolée oxydé d’un dé à coudre.
C’est bien le sens de cette poésie décrite par le plasticien Jean Tinguely :  « La poésie, ça veut dire vivre tout simplement. »

L’artiste exprime l’indicible, rend lisible l’invisible par le « Toucher ». Sublime le réel comme un lent mouvement de vent berçant l’infime mobilité des branches. Cette marée de sentiments débordants, évanescents, impalpables est pourtant réelle, échappe aux enfermements – aux  désespérants regrets qui minent la mémoire …

C’est-à-dire carbonise ce fatras d’impressions, de sensations, de  sentiments - si nombreux que notre corps autiste en élimine la présence – à la chaleur de l’infime perception. Trois fois rien - quelque chose  qui «…existe à peine, comme l’essentiel est un presque-rien, un je-ne-sais-quoi, une chose légère entre toutes les choses légères, cette investigation forcenée tend surtout à faire preuve de l’impalpable ; on peut entrevoir l’apparition, mais non la vérifier puisqu’elle s’évanouit dans l’instant  même où elle apparaît… » 2* p 19.

L'instantané au coin de votre vie.
Photo : Le chêne parlant : Nature & temps.
Londres octobre 2014


Dans cette poésie où l’art entre en lévitation avec la vie. Les parts d’infime accrochent les nuages. Vagues vagabondes traînant, nous entraînant en de légers frissons. Sautant par-dessus les rigidités et les cadres, se jouant des cloisons… Se faufilant au travers des interstices de nos fêlures.

Philosophie du frôlement où…

                 « Tout peut devenir occasion pour une conscience inquiète, capable de féconder le hasard. » 2*


L’art d’enflammer le réel au chalumeau de l’absolu.



----------------------------

Niki de Saint Phalle & Jean Tinguely,

Poésie de deux tessons de lumière… 
fragmentés de calmes nuances de joie.



Niki de Saint Phalle & Jean Tinguely - Les Bonnie & Clyde de l'Art 55' in ARTS CULTURE




Niki de Saint Phalle : « Je fais des machines monumentales. »
Jean Tinguely : «  Je m’appelle Jean Tinguely et je fais des machines qui ne servent à rien. »
« On gagne, on en sort vainqueur chacun pour soi. » 34 min. Jean Tinguely


HOMMAGE À UN ARTISTE : NIKI DE SAINT-PHALLE



Le laboratoire du geste


Niki de Saint-Phalle – Tirs


---------------------

"Enfant, j’ai bricolé pendant plusieurs années ma propre langue, c’était une façon de remédier à la solitude…"
Daniel Tammet – Je suis né un jour bleu – j’ai lu -2007 – paris – isbn : 9782290011430

----------
P 25 (vocabulaire : def idéaliste) « Idéaliste » : au sens courant et parfois péjoratif du terme – « qui se fait des choses une conception parfaite et naïve » - , l’auteur oppose le sens propre du mot – « personne qui recherche la vérité au-delà des apparences sensibles ».
P 86 : Gérard de Nerval, les chimères :

El Desdichado :

Je suis le ténébreux, - le veuf, - l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

(El Desdichado : le déshérité. C’est le nom d’un chevalier dépossédé de ses biens et vêtu de noir dans Ivanhoé, de Walter Scott (1771 – 1832) ;
Le détour, étonnants classiques, Flammarion, 2008, isbn : 978-2-0812-0964-0

---------------

« Je sens flotter, au ras de ma lassitude, ce quelque chose de vaguement doré qui reste à la surface des eaux, à l’heure où les ; ; ; déserte le soleil déclinant. » Fernando Pessoa p 335.
Fernando Pessoa – Le livre de l’intranquillité. Christian Bourgois éditeur. 1999. ISBN : 2-267-01516-1



-------------------

NOTES DE BAS DE PAGE :

1* « s’accorder pour un temps à cette conscience fugace qui a quelque chose à nous dire, une seule chose à nous dire, une seule chose, et que personne ne dira plus. » Lucien Jerphagnon in Matière première de Raphaël Enthoven 1 * p 132.

Matière première –– Gallimard – Mayenne 2013 – 

ISBN : 978-2-07-013958-3

2* » p 18 - Vladimir Jankélévitch – Béatrice Berlowitz – Quelque part dans l’inachevé – NRF – Gallimard – 2004
2 ** « … ce que je cherche existe à peine, comme l’essentiel est un presque-rien, un je-ne-sais-quoi, une chose légère entre toutes les choses légères, cette investigation forcenée tend surtout à faire preuve de l’impalpable ; on peut entrevoir l’apparition, mais non la vérifier puisqu’elle s’évanouit dans l’instant  même où elle apparaît… » p 19- Vladimir Jankélévitch – Béatrice Berlowitz – Quelque part dans l’inachevé – NRF – Gallimard – 2004
.
3* p 44-45  : En dehors de ces rares et précieux moments, de ces minutes poétiques, il n’y a que les déserts de l’aridité et de la sécheresse : et ce sont, hélas ! les heures les plus longues, les plus nombreuses ; c’est la triste séance sans verve et sans inspiration ; ou mieux c’est la misère, la misère de la vie quotidienne… [Il ajoute, page 45] … Et surtout la musique tzigane, c’est une manière de jouer, avec l’exagération des nuances, les caprices de la polyrythmie, le règne du rubato*   Musique nomade, musique de la verve fantasque et de l’incohérence, musique des pauvres… Rimski-Korsakov et Moussorgski écoutaient avidement ces musiques inspirées, comme ils écoutaient les musiques des pauvres juifs jouant du violon dans les cours des maisons de Saint-Pétersbourg ou chantant dans les synagogues.
* [Rubato est un terme italien signifiant « dérobé ». Il s'agit d'une indication d'expression, commandant d'accélérer certaines notes de la mélodie ou d'en ralentir d'autres pour abandonner la rigueur de la mesure. Ces variations de vitesse sont appliquées selon l'inspiration de l'interprète ou du chef d'orchestre. À l'origine, le tempo rubato affectait uniquement la mélodie, l'accompagnement ne connaissant pour sa part aucune variation de vitesse. Par la suite, mélodie et accompagnement furent affectés dans une même mesure. Caractéristique du jeu des musiciens romantiques et de Frédéric Chopin en particulier, le tempo rubato permet aux interprètes classiques de marquer le morceau joué d'une expression émotionnelle qui leur est propre.
Par ailleurs, le tempo rubato est fréquemment utilisé par les chanteurs pour légèrement démarquer le chant de l'accompagnement musical, ceci permettant non seulement de sublimer l'expression de la mélodie, mais aussi de donner une touche personnelle, authentique à leur interprétation. http://fr.wikipedia.org/wiki/Rubato].

Extrait complet :
« Les moments heureux, tout le monde en a ; et dans ces moments-là quelque chose nous envahit qui ressemble à de la joie. En dehors de ces rares et précieux moments, de ces minutes poétiques, il n’y a que les déserts de l’aridité et de la sécheresse : et ce sont, hélas ! les heures les plus longues, les plus nombreuses ; c’est la triste séance sans verve et sans inspiration ; ou mieux c’est la misère, la misère de la vie quotidienne… [Il ajoute, page 45] … Et surtout la musique tzigane, c’est une manière de jouer, avec l’exagération des nuances, les caprices de la polyrythmie, le règne du rubato.  Musique nomade, musique de la verve fantasque et de l’incohérence, musique des pauvres… Rimski-Korsakov et Moussorgski écoutaient avidement ces musiques inspirées, comme ils écoutaient les musiques des pauvres juifs jouant du violon dans les cours des maisons de Saint-Pétersbourg ou chantant dans les synagogues. »

4* Barbara Cassin, La Nostalgie, Quand donc est-on chez soi ? P 16à 18 : Nostalgie, un mot suisse
« Nostalgie », le mot sonne parfaitement grec, sur nostros, le « retour », et algos, la « douleur », la « souffrance ». La nostalgie, c’est la « douleur du retour », à la fois la souffrance qui vous tient quand on est loin et les peines que l’on endure pour rentrer. L’Odyssée, qui fonde avec l’Illiade la langue et la culture grecques, est l’épopée qu’un poète aveugle qui n’a sans doute jamais existé, « Homère », a composée pour chanter les péripéties du retour d’Ulysse, le héros aux mille tours. C’est par excellence le poème de la nostalgie.
Pourtant, « nostalgie » n’est pas un mot grec, on ne le trouve pas dans l’odyssée. Ce n’est pas un mot grec mais un mot suisse, suisse allemand. C’est à vrai dire le nom d’une maladie répertoriée comme telle seulement au XVIIème siècle. Il a été inventé, à en croire le Dictionnaire historique de la langue française, en 1678 exactement par un médecin, Jean-Jacques Harder, pour dire le mal du pays, Heimweh, dont souffraient les fidèles et coûteux mercenaires suisse de Louis XIV – « point d’argent, point de suisse ». A moins qu’il n’ait été forgé en 1688 par Johans ou Jean Hofer, le fils d’un pasteur alsacien de Mulhouse, qui lui consacra à dix-neuf ans sa petite thèse de médecine à l’université de Bâle, pour décrire des « histoires de jeunes gens », le cas d’un Bernois, étudiant à Bâle, qui dépérissait mais guérit en chemin avant même d’arriver à Berne, et celui d’une paysanne hospitalisée ( « Ich will heim, ich will heim », gémissait-elle en refusant les remèdes et les aliments), guérie en rentrant chez elle – on reconnaîtra l’origine de son trouble signifiant.
C’est devenu aussitôt une question militaire : les Suisses désertaient quand ils entendaient le « ranz des vaches », le chant des alpages, « cet air si chéri des Suisses – écrit Rousseau dans son Dictionnaire de la musique – qu’il fut défendu sous peine de mort de le jouer dans les troupes, parce qu’il faisait fondre en larmes, déserter ou mourir ceux qui l’entendaient, tant il excitait en eux l’ardent désir de revoir leur pays ».
C’est donc pour désigner une maladie des Suisses alémaniques que le corps médical aura fabriqué ce mot de « nostalgie », comme on dit « lombalgie » ou « névralgie ». Si j’y insiste, c’est que l’origine du mot me paraîty très représentative de ce qu’est une origine : ce mot, qui connote toute l’Odyssée, n’a rien d’originel, d’original, bref de « grec ».
Isbn : 978-2-7467-3410-4

5* [ALRTP : A la recherche du temps perdu, tome II, p. 16-17. Pierre Macherey, Proust. Entre littérature et philosophie, éditions Amasterdam Paris- 2013 ISBN : 978-2-35480-127-4

6* Roland Barthe, Mythologies. France Culture – Le Gai savoir
7 minutes 50.

7* Paola Raiman, reprenant le philosophe, évoque cette « Fonction protestataire du souvenir contre l’oubli.» 17 minutes.
Ceci fait référence aux camps de la mort

8* Daniel Tammet a toujours ressenti le  « temps »  comme un gâteau roulé à déplier. Autrement dit, disposant d’une dimension géométrique. L’image est assez parlante.
Daniel Tammet – Je suis né un jour bleu – j’ai lu -2007 – paris – isbn : 9782290011430

9 * « le poète parle », et il parle musicalement, en tressant la structure complexe du texte où est effectuée la capture artistique du temps qui donne accès à l’essence même des choses, à travers une expérience qui peut faire penser à celle de la scientia intuitiva, ou connaissance des essences singulières, dont parle Spinoza. P 86 : …
http://philosophique.revues.org/277

Pierre Macherey, Proust. Entre littérature et philosophie, éditions Amasterdam Paris- 2013 ISBN : 978-2-35480-127-4



P 39 : … Si l’occasion est  une grâce, la grâce suppose, pour être reçue, une conscience en état de grâce. Tout peut devenir occasion pour une conscience inquiète, capable de féconder le hasard. »



---------------

Quelque part dans l’inachevé – JankélévitchLe Gai savoir – émission de Raphaël Enthoven du 28-10-2012





Vladimir Jankélévitch.



Lucien Jerphagnon


Imaginez "La barrière du langage" – ARTE
https://www.youtube.com/watch?v=0Naapi_pxRQ


dimanche 7 décembre 2014

L’ardente obligation de penser l’avenir. Conférence Slow Science avec Isabelle Stengers et Pierre Calame.

                                                                                    SLOW SCIENCE



« Nous vivons des temps étranges, 
un peu comme si nous étions en suspens 
entre deux histoires… »
Isabelle STENGERS 1*

Certaines choses changent, d'autres pas.

Nous nous racontons toujours les mêmes histoires, les mêmes mensonges, les mêmes excuses.
En suspens, entre le « C’est trop tard » et le « Qu’y puis-je ? », « Nous vivons des temps étranges - pour reprendre les mots de la philosophe Isabelle Stengers - un peu comme si nous étions en suspens  entre deux histoires… » 1* . 
Face aux défis planétaires à venir, quels sont nos engagements ?  Combien de temps - encore - allons-nous demeurer dans cet état de tutelle nous enchaînant au sol de l'hyper-consommation, au mur de l'hyper-individualisme et du prêt-à-dé-pensées ?
Ne pas voir la catastrophe écologique à venir, n'est-ce pas - comme l’indique la  professeure de philosophie des sciences dans un ouvrage consacré aux questions climatiques se soumettre à la barbarie qui vient 1* ? La cautionner ? En être l'acteur, volontaire ?

Isabelle Stengers 2* accompagnée de  Pierre Calame n’y va pas par huit chemins. La chercheuse, à l’occasion des rencontres philosophiques de Citéphilo 3*, enfourche  son cheval de bataille et évoque l’urgence du combat à mener, explore les différents degrés des irresponsabilités, interroge les facettes de l’humain aveuglement. 


Pierre Calame - Citéphilo - Conférence Slow Science du 10 novembre 2014

« Nommer – écrit-elle dans son essai intitulé « Au temps des catastrophes » -  n’est pas dire le vrai, mais conférer à ce qui est nommé le pouvoir de nous faire sentir et penser sur le mode qu‘appelle le nom. En l’occurrence, il s’agit de résister à la tentation de ramener à un simple « problème » ce qui fait événement, ce qui nous met à la question. »  4 *

Autrement dit, évoquer les problèmes climatiques en des mots adéquats, des phrases pertinentes, des questionnements appropriés, c’est d’abord débroussailler le terrain pour nous fournir - à nous lecteurs – de nouveaux horizons de lecture. En quelque sorte, c’est placer devant nos yeux à demi clos l’équivalent d’une pancarte luminescente : Etiquette routière indicatrice de nouveaux chemins. Voie de traverse ouvrant sur des embranchements atypiques, des bifurcations étonnantes. Une direction. Mais plus encore, l’interrogative bien formulée constitue un univers, ce que j’appellerais – reprenant les travaux de Franck Smith - une « chaise théorie » 5*.  C’est-à-dire une nuée de sens – visqueux et glissants - voguant  dans le bocal du mot tel un banc compact, polymorphe et insaisissable de poissons rouges. 

Le philosophe Raphaël Enthoven exprime l’étendue des bruissements du monde à travers la figure singulière de Jean-Jacques Rousseau. « Grégaire et misanthrope, révolutionnaire et conservateur, égalitaire et misogyne, philosophe et romancier, père indigne et théoricien de l’éducation, champion du monde de la modestie …» 6 * Cet être agaçant, repu de lui-même, et néanmoins génial n’est-il pas à soi seul un  « … asile caché » ? Une tempête contradictoire lumineuse et ténébreuse où « le bruit des vagues et l’agitation de l’eau » forment son caractère ? Sa personnalité ?   



« Jean-Jacques Rousseau n’est pas à la marge mais au cœur de notre société. » - souligne le philosophe, ce dernier ajoute : « Rousseau est une foule à lui tout seul. La constance de sa paranoïa dissimule imparfaitement des contradictions qui lui donnent l’ampleur d’un monde entier. » Remplacez le rêveur solitaire par l’idée de mot – de concept – et le tour est joué. Car c’est bien cette idée de multitude – cette ampleur d’un monde entier - contenue tout entière dans la boîte minuscule du verbe qui est jeu ici. …  une matière première ou une glaise telle que Raphaël Enthoven 6*, de celle qui donne à penser.

Les attributs volatiles d’un mot ne sont pas étrangers aux caractéristiques propres à la formulation d’une question pertinente, bien posée. « La formulation du problème » comme l’indique Isabelle Stengers est essentielle.  « C’est rare une bonne question  en science – évoque-t-elle. On ne peut pas répondre à n’importe quelle question scientifiquement. Il ne suffit pas de mesurer, de prendre des quantités. Il faut une prise. Il faut  une manière de dérouler la pelote… » 7*.  Or les choix de recherches scientifiques - dénonce la philosophe des sciences - incombe de plus en plus aux industries au détriment des chercheurs.  




Retour à la conférence « Slow science » de CITEPHILO.
Pierre Calame questionne les responsabilités du monde scientifique, donc, par un jeu de miroir, nous invite à réfléchir sur les conséquences de nos propres actions.
Eventail des questions soulevées  :

La science est-elle libre de tout ?
Les scientifiques sont-ils responsables des fins possibles de leurs recherches ?
Si oui, à quel degré ?
Entre-t-on dans un siècle de la responsabilité ?
Quelles valeurs nous sont-elles communes ?
Quel contrat social désirons-nous rédiger pour demain ?


                                                              moskittyo_by_imamon-moucha

La racine de notre amnésie volontaire puise sa source dans le rejet des responsabilités de chacun envers tous – donc personne. Inévitable déplacement des causes d’une catastrophe annoncée sur le voisin, le scientifique, le politique, l’Etat – bref, « L’Autre ». Soit un ensemble vague et pluriel, nébuleuse dans laquelle on ne saurait s’inclure. 

Il s’agit donc d’accentuer -  voire de favoriser - les prises de conscience individuelles et collectives,  citoyennes et politiques. Pour ce faire, Pierre Calame nous propose six critères d’évaluation de la recherche scientifique : 

1) Evaluer l’impact de la découverte scientifique 8*. C’est-à-dire, assumer les conséquences prévisibles ou imprévisibles des recherches.
Citons pour exemple, les OGM et leur irrémédiable phénomène de dissémination dans la nature. 
Conséquences : 
a) Tout agriculteur dont les semences seront touchées par cette pollinisation se devra de verser des redevances à la firme dépositaire du brevet, soit Monsanto. Ceci marque la fin et la ruine des fermes de petite taille, autonomes, autosuffisantes, paysannes. Car comment, en effet, parvenir à payer des droits exorbitants lorsqu’on vit moins d’échanges marchands que de troc ?
« Les ENCLOSURES – argumente Isabelle Stengers - font référence à un moment décisif dans l’histoire sociale et économique de l’Angleterre : à l’éradication, au XVIIIème siècle, des droits coutumiers qui portaient sur l’usage de terres communales, les commons. Ces terres ont été « clôturées », c’est-à-dire appropriées de manière exclusive par leurs propriétaires légaux, et cela avec des conséquences tragiques car l’usage des commons était essentiel à la vie des communautés paysannes. Un nombre effrayent de personnes ont été dépouillées de tout moyen de subsistance. » 8 *
b) Cela interdit à moyen terme la subsistance d’une agriculture paysanne dont le système d’exploitation est basé sur l’échange, l’entraide, les relations humaines. Un  « bien commun » 8 * où l’on améliore les rendements par les échanges de semences,  les discussions, les tâtonnements. Une réserve aussi de diversité. Or cette diversité est une richesse essentielle en période de grands changements ou de bouleversements climatiques. Darwin dont la théorie est souvent dévoyée parle de « sélection naturelle ». Cette  « loi du plus fort » n’est pas à entendre dans le sens du plus solide mais du plus apte à répondre à une situation donnée. En ce sens, la faiblesse, explicite le spécialiste des travaux darwiniens Patrick Tort, peut constituer une force 9 *.
Pour le dire simplement : le plus apte est indépendant de sa force ou de sa faiblesse. Un exemple frappant est celui des dinosaures supplantés par de petits mammifères. Illustrons  également le propos par l’effet d’une épidémie majeure – comme la peste. Cette dernière frappant en fonction de la résistance ou non de l’individu touché par le virus. Elle emportera dés les premiers jours le grand gaillard du village et épargnera l’enfant souffreteux. 
« Plusieurs erreurs persistantes concernant Darwin – souligne Patrick Tort - viennent déjà, presque imperceptiblement, d’être réfutées.
     D’abord, celle qui consiste à confondre la survie des plus aptes, nécessairement liées à l’action de la sélection naturelle, avec le « triomphe » ou la « loi » du  « plus fort ». Nous venons au contraire de démontrer, en suivant simplement Darwin, que la victoire évolutive la plus remarquable de toute l’histoire de la nature – celle de la forme de vie sociale qui s’illustre au sein de l’humanité – est le produit de la faiblesse. » 9* p 54.
c) Condamne l’humanité entière à se soumettre à la toute puissance de grandes entreprises, telle que  Monsanto.
2) Apprécier les responsabilités : mesurer les degrés de pouvoirs et de savoirs détenus par les personnes concernées.
Cette évaluation de la mesure du savoir détenu par les politiques, les scientifiques ou les décideurs - chefs d’entreprises, maires, etc. - est la base des grands procès.
On pense naturellement au scandale du sang contaminé. A celui de l’amiante – dont on mesure la dangerosité depuis les années 1970, interdite en Angleterre dès les années… -. Au prion de …. Jacob véhiculé dans des farines non chauffées. Ou encore, plus récemment, aux prothèses PIP. Toutes ces affaires ont pour point commun l’appas d’un gain à court terme – quel qu’en soit le prix.  Il s’agit donc d’évaluer posément les responsabilités propres à  Monsanto 8 *
Le dérèglement climatique n’échappe pas à cette règle !    
3) Evaluer les responsabilités à long terme :  le fait d’une action à long terme ne doit pas invalider les responsabilités.
4) Mesurer les coresponsabilités : L’institution et les individus sont indissociables au regard du resultat de leurs actions.
Citons l’affaire Jérôme Kervielle, innocent des pertes occasionnées  - Fusible commode pour des pratiques bancaires, pour le moins opaques - mais coupable de s’être laissé entraîner dans la spirale infernale des gains à court terme. C’est donc bien le couple banque – trader qui se devait d’être évalué et non Jérôme Kervielle seul.
5) Préserver le bien commun.  8*
6) Penser par soi-même, c’est-à-dire sortir de son état de « mineur » dans le sens de « l’état de tutelle » kantien. Ou pour le dire autrement, ne pas prendre pour « argent comptant » tout ce que l’on voit ou l’on nous dit.




----------------------------------------------
NOTES de BAS DE PAGE : 


* Titre emprunté aux écrits d’Isabelle Stengers  - « L’ardente obligation »….  Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte – Paris 2009  P 23 : -
1* Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte – Paris 2009, p 9.
P 134 : Mais qu’elle ne soit pas que cela, on le doit peut-être à cette particularité des praticiens, qui n’ont jamais pensé leur technique innocente, qui n’ont jamais renvoyé à la responsabilité du politique le choix d’en faire une bonne ou une mauvaise utilisation (voir le célèbre argument utilisé rituellement par les scientifiques : est-ce la faute de celui qui a inventé la hache si celle-ci a été employée pour tuer ?)
L’approche pharmacologique ne permet pas de poser la question « à qui la faute ? », de procéder à la distribution de la culpabilité et de l’innocence.
Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte – Paris 2009
ISBN : 978-2-7071-5683-9
2 *    Isabelle Stengers, Professeur de philosophie des sciences à l’Université Libre de Bruxelles
https://www.ulb.ac.be/rech/inventaire/chercheurs/3/CH2533.html
Pierre Calame, ancien haut fonctionnaire de l’Équipement, président du Conseil de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme.
3 *   Citéphilo 
http://www.citephilo.org/manif/slow-science
4 * Nommer n’est pas dire le vrai, mais conférer à ce qui est nommé le pouvoir de nous faire sentir et penser sur le mode qu‘appelle le nom. En l’occurrence, il s’agit de résister à la tentation de ramener à un simple « problème » ce qui fait événement, ce qui nous met à la question. » p 49
Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte – Paris 2009
ISBN : 978-2-7071-5683-9
5* Pas de panique. Pour faire simple,  si l’on cherche à comprendre la signification d’un un mot, on commence par en décortiquer ce qui le définit. Autrement dit, on déroule l’ensemble de ses attributs qui forment son caractère.  Ces points   - ou critères de choix - constituent un ensemble représentatif de ce qu’il est – une sorte d’étiquette posée sur une boîte contenant les éléments . 
« Formation des concepts - Britt-Mari Barth développe : 
Quand quelqu’un décide que tels éléments vont ensemble pour certaines raisons, il a formé un concept, c’est-à-dire qu’il a décidé des critères qui permettent de classer ensemble certaines choses. Il a distingué un certain nombre de similarités et il prend sa décision d’après des ressemblances, sans s’occuper des différences. Ce sont les similarités – les attributs essentiels - qui comptent. Il se peut que le concept ainsi formé n’existe pas selon les conventions, ou qu’il soit « faux » ; malgré cela, il remplit temporairement sa fonction d’organiser le monde pour la personne qui l’a formé. Avec le temps et l’expérience, le concept va se préciser et d’objectiver. » P 29. **
Naturellement, indique-t-elle, « Il est important de comprendre que la dénomination, l’étiquette, n’a pas à elle seule de l’importance ; ce qui est essentiel c’est de savoir pourquoi on appelle un objet par ce nom et comment il est relié à d’autres concepts. » 
p 25 **
** Britt-Mari Barth, l’apprentissage de l’abstraction, méthodes pour une meilleure réussite de l’école ; RETZ, 1987, isbn : 9-782725-611990
cf : « Le chêne parlant ». 
[CHAISE THEORIE : à développer… ]
P 57  : La théorie du monde qu’on a dans la tête
On a dans la tête une théorie du monde : elle est le fondement de toutes nos perceptions et de notre manière de comprendre le monde, la racine de tout apprentissage, la source de nos espoirs et de nos peurs, de nos motivations et de nos attentes, du raisonnement et de la créativité. Et cette théorie est la seule chose que nous possédions. Si nous pouvons comprendre le monde, c’est parce que nous savons interpréter les interactions que nous avons avec lui, à la lumière de notre théorie. Elle nous protège contre le désarroi.
[CHAISE THEORIE]
Lorsque j’observe le monde, je distingue une multiplicité d’objets chargés de sens ; ils ont toutes sortes de relations complexes entre eux et avec moi, mais ni ces objets, ni les relations qu’ils entretiennent entre eux ne sont évidents. Une chaise ne s’annonce pas à moi comme étant une chaise. Je dois la reconnaître comme telle : la chaise fait partie de ma théorie. Je la reconnais lorsque mon cerveau décide que ce que je regarde en est une. Une chaise ne me dit pas que je peux me servir d’elle, pour poser mon manteau, mes livres ou mes pieds, pour atteindre une étagère trop haute, ou pour empêcher une porte de s’ouvrir. Tout cela fait également partie de ma théorie. Je ne peux comprendre le monde qu’en fonction de ce que je sais déjà. L’ordre et la complexité que je perçois dans le monde qui m’entoure doivent se refléter dans mon esprit. Tout ce qui, dans mon esprit, est impossible à mettre en relation avec la théorie du monde est inintelligible et source de désarroi.
Le désarroi est un état inhabituel pour la plupart d’entre nous : cela montre très clairement que la théorie du monde que l’on a en soi est très efficiente. On n’est pas conscient de cette théorie, justement parce qu’elle fonctionne très bien.
Le tout jeune enfant possède aussi ses théories du monde. Elles ne sont peut-être pas aussi complexes que celle de l’adulte – il a eu moins de temps pour les affiner -, mais elles semblent très bien répondre à ses besoins.
Devenir lecteur – Franck SMITH – Armand Colin – Paris, 1986 – ISBN : 2-200-10176-7
6 * : « Jean-Jacques Rousseau n’est pas à la marge mais au cœur de notre société. Grégaire et misanthrope, révolutionnaire et conservateur, égalitaire et misogyne, philosophe et romancier, père indigne et théoricien de l’éducation, champion du monde de la modestie, Rousseau est une foule à lui tout seul. La constance de sa paranoïa dissimule imparfaitement des contradictions qui lui donnent l’ampleur d’un monde entier. » Matière première – Raphaël Enthoven. Gallimard. p 61-62 
6 * Matière première – Raphaël Enthoven - : « Avez-vous la carte de fidélité ? »… il s’agit moins d’une question que d’une affirmation déguisée en question… P 19 
7 * Vidéo du chêne parlant – Isabelle STENGERS – Slow Sciences - 18 min 30
Conférence Citéphilo du 10 novembre 2014.
8 * « Mais qu’elle ne soit pas que cela, on le doit peut-être à cette particularité des praticiens, qui n’ont jamais pensé leur technique innocente, qui n’ont jamais renvoyé à la responsabilité du politique le choix d’en faire une bonne ou une mauvaise utilisation (voir le célèbre argument utilisé rituellement par les scientifiques : est-ce la faute de celui qui a inventé la hache si celle-ci a été employée pour tuer ?) Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte – Paris 2009 p 134 

« Les ENCLOSURES font référence à un moment décisif dans l’histoire sociale et économique de l’Angleterre : à l’éradication, au XVIIIème siècle, des droits coutumiers qui portaient sur l’usage de terres communales, les commons. Ces terres ont été « clôturées », c’est-à-dire appropriées de manière exclusive par leurs propriétaires légaux, et cela avec des conséquences tragiques car l’usage des commons était essentiel à la vie des communautés paysannes. Un nombre effrayent de personnes ont été dépouillées de tout moyen de subsistance. » P 99 :
« : Un autre récit classique, celui de Marx, associe l’expropriation des commons avec ce qu’il nomme l’accumulation primitive du capital ». La grande masse des pauvres désormais dépouillés  de toute attache va être exploitée sans merci par les industries naissantes, car il n’a pas besoin de prendre en compte la « reproduction de la force de travail » : les pauvres peuvent crever à la tâche, il y en aura toujours d’autres. En ce sens les enclosures «  préparent » l’appropriation capitaliste du travail de ceux qui, privés de leurs moyens de vivre, seront réduits à ne plus être que force de travail. Cependant, Marx n’a pas célébré cette expropriation à la manière  dont la destruction des corporations et de l’ensemble de ce qui attache les humains à des traditions et à des modes de vie : comme l’élimination d’un ordre ancien, élimination dont le socialisme futur sera redevable  au capitalisme. Peut-être est-ce à cause de la brutalité impitoyable de l’opération, ou parce que ce qui a été détruit était une forme de mise en commun des ressources et des moyens, toujours est-il qu’il y a plutôt vu un « vol », ou la destruction du droit des pauvres » à assurer leur subsistance. » P 100-101 
Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte – Paris 2009
9 *« Darwin observe – écrit Patrick Tort-  toutefois que l’extraordinaire capacité d’autodéfense du gorille a sans doute constitué un obstacle à la socialisation, et qu’un capacité analogue chez l’homme aurait probablement entravé « l’acquisition de ses plus hautes qualités mentales, telles que la sympathie et l’amour de ses semblables ». Durant la phase d’évolution qui se situe entre les ancêtres immédiats de l’homme et l’homme moderne, la faiblesse est donc un avantage, car elle conduit à l’union face au danger, à la coopération, à l’entraide et au développement corrélatif de l’intelligence. » Patrick Tort – l’effet Darwin – sélection naturelle et naissance de la civilisation – science ouverte seuil. 2008. P 53 Paris ISBN : 978-2-02-097496-7. 
9 * Patrick Tort – l’effet Darwin – sélection naturelle et naissance de la civilisation – science ouverte seuil. 2008. Paris ISBN : 978-2-02-097496-7.
10* « Et tout entrepreneur reprendra le refrain : le risque est le prix du progrès (aujourd’hui : de la compétitivité). Mais c’est ici qu’il faut ralentir et faire attention. Accepter d’identifier Monsanto avec l’entrepreneur dont il revendique la pose héroïque, celle de qui accepte d’un cœur vaillant la possibilité de l ‘échec, celle de l’Homme prométhéen ne cessant d’explorer ce qui pourrait devenir possible, c’est se laisser piéger par une de ces mises en scène dramatiques dont nos maîtres penseurs ont le secret. » Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte P 79 :
11* « La notion d’émancipation elle-même, l’idée qu’il y a des confiances infantiles dont il faut apprendre à nous débarrasser. Mais la perspective change quelque peu. Si confiance infantile il y a, c’est avant tout la nôtre qu’il s’agit, de celle que nous avons mise dans la fable épique du Progrès, dans ses versions multiples et apparemment discordantes, mais convergeant toutes dans des jugements aveugles portés sur d’autres peuples (à libérer, moderniser, éduquer, etc.). Et si émancipation il doit y avoir, elle devra se faire ce qui nous a permis de croire pouvoir définir un cap qui donnerait la direction du progrès pour l’humanité tout entière… Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte, » p 74
12 *  Le « capitalisme cognitif », dans la mesure où il exploite un langage ^permettant la communication de tous avec tous, une connaissance qui, produite par chacun, bénéficie à tous, ferait exister, ici et maintenant, ce qui serait « commun » aux humains, un commun foncièrement anonyme, hors qualité et propriété. Le capitalisme contribuerait ainsi (sans le vouloir) à la possibilité d’une humanité réconciliée, d’une multitude mobile et créative, émancipée des attaches qui mettraient les groupes en conflit. » Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte – Paris 2009 P 106 
13* Ce que nous avons été sommés d’oublier n’est pas la capacité de faire attention, mais l’art de faire attention. Si art il y a, et non pas seulement capacité, c’est qu’il s’agit d’apprendre et de cultiver l’attention, c’est-à-dire, littéralement, de faire attention. Faire au sens où l’attention, ici, ne se rapporte pas à ce qui est a priori défini comme digne d’attention, mais oblige à imaginer, à consulter, à envisager des conséquences mettant en jeu des connexions entre ce que nous avons l’habitude de considérer comme séparé. » Isabelle Stengers – Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui vient – Les empêcheurs de tourner en rond / La découverte – Paris 2009 p 76 

------------------------

LIENS 








Jancovici Cours 1-1 -- Du big bang - ou presque - à nos jours—Mines 2008 – 1H 03 min

La consommation d’énergie a été multipliée par 30 en un siècle.
La Chine construit une « tranche à charbon » par semaine.
En deux générations, la consommation a cru d’un facteur 8.
Equivalant pétrole – énergie humaine : 1 litre de pétrole égale 100 paires de bras.



PRISE DE CONSCIENCE






Florent Pagny - Terre




--------------------------------

Editions "La découverte" - Publications d'Isabelle Stengers.


ISABELLE STENGERS : VERS UNE PLURALITE DES SCIENCES
http://www.agirparlaculture.be/index.php/reflexions/156-isabelle-stengers-vers-une-pluralite-des-sciences


http://lectures.revues.org/786

Isabelle Stengers : « La gauche a besoin de manière vitale que les gens pensent » - See more at: http://www.humanite.fr/isabelle-stengers-la-gauche-besoin-de-maniere-vitale-que-les-gens-pensent#sthash.gK4FPWTa.dpuf
http://www.humanite.fr/isabelle-stengers-la-gauche-besoin-de-maniere-vitale-que-les-gens-pensent


Médiapart :
* Isabelle Stengers : résister à la barbarie qui vient
http://blogs.mediapart.fr/edition/bookclub/article/290913/isabelle-stengers-resister-la-barbarie-qui-vient

Citephilo
Date:  Lundi, 10 Novembre, 2014 - 19:30 - 21:30
En partenariat avec les Amis du Monde Diplomatique

Communauté – réciprocité – irresponsabilité 

Merci de leurs accords gracieux

Merci de leurs accords gracieux
ainsi qu'à Gilbert Glasman
et à toute l'équipe organisatrice

-----------------------



Dans la Vidéo numéro 1, Pierre Calame interroge les responsabilités du monde scientifique, donc, par un jeu de miroir, nous invite à réfléchir sur les conséquences de nos propres actions.

Quelques-unes de ces questions sont particulièrement éclairantes : 

Entre-t-on dans un siècle de la responsabilité ? 
Quelles valeurs communes ? 
Quel contrat social ?
La science est-elle libre de tout ?
 les scientifiques sont-ils responsables des fins possibles de leurs recherches ? 
Si oui, à quel degré ?


6 critères d’évaluation : 
- Réalité de l’impact : assumer l’impact prévisible ou imprévisible de leurs recherches,
- Appréciation de la responsabilité : mesure du degré de pouvoir et de savoir détenus par les personnes concernées,
-  Responsabilité au regard du temps de survenue de la catastrophe : le fait d’une action à long terme ne doit pas invalider les responsabilités,
- L’institution et les individus sont coresponsables (Voilà qui n’est pas sans rappeler l’aventure douloureuse vécue de Jérôme Kervielle – ou le petit chef-d’œuvre rédigé par La Boétie.)
- Le bien commun doit être préservé (ID passage – propriété – création [d’ « espaces … réservoirs… trouver terme approprié]
-  Sortir de son état de « mineur » dans le sens de « l’état de tutelle » kantien.  

Jeu de passe-passe géographique consistant à se désintéresser des espaces lointains. A-quoi-bon, après tout, puisque  « nous ne sommes pas concernés » et à nier le facteur temps : « on verra »…

Vidéo 2 : 
OGM 
Le système est producteur d’une irresponsabilité généralisée. Pierre Calame invoque la responsabilité nécessaire du citoyen.

Vidéo 3 Isabelle Stengers :
Avant 1980 : Les chercheurs avaient le choix de leurs recherches… Idée de progrès humains.
Le développement proposé est insoutenable : saccage des ressources humaines, pollution, etc.
Claude Allègre évoquait un retour à l’âge des cavernes (éclairage bougie, etc.) … Marchands de peur.

Course en avant, ce qui est proposé c’est une innovation technologique sans fin afin de venir compenser les dégâts produits par les actions présentes.
Il ne s’agit point d’en revenir à un passé idéalisé ; [technologie au contraire écolo de pointe]
Penser l’impossible et l’improbable
Revenir à la responsabilité des scientifiques

Vidéo 4 : 
Néo- management : dépossession de ce qui fait la pratique des salariés.
Intérêts publiques : tenter de ralentir ;
Institution scientifique « profondément malade » … Economie de la connaissance a débuté dans les années 1980. Désormais la production scientifique était une affaire trop sérieuse pour être réservée aux seuls chercheurs. Il a été demandé de les sortir de leur « tour d’ivoire ». Les objets de recherche, les financements ont été confiés aux entreprises privées (brevets…) nécessité d’être « compétitif », 
[Société de défiance] « Un jour, on ne fera pas plus confiance aux dires d’un scientifique qu’aux dires d’un chargé de communication industriel. »
Les mille vaches : les vaches rapportent.
…on a besoin de chercheurs pertinents, sur lesquels on puisse s’appuyer, entrer dans une relation de confiance quant au degré de véracité de leurs travaux. 


----------------------------------

samedi 29 novembre 2014

Home - Virgilia Keen

                                                                                Home


Planté sous la voûte paysage,

Seul face à la terre d’écume,
Submergé par le calme enragé d’un fin voile de brume,
Si bas,
Proche, pourtant, des aiguilles du soleil,

A voir ces sauvages nuances,
Incendiées par le vent,
On se laisser gagner par la douleur du temps,
L’émotion fugace d’une présence, d’un parfum, déchirant.
Là.

Debout, face au monde paysage,
Attrape-t-on jamais les fragrances de la terre ?
Ces herbes aux mémoires crépitantes, encore.
 Tessons cannelle tranchant le ciel de sable ?

On sent ces fleurs volatiles,
ces herbes fraîchement coupées,
Fruits éphémères,
La menthe suave aux tiges roussies – déjà - dresse ses gerbes flamboyantes.

Bleus floutés des pluies,
Délire vibrant des torrents éperonnant les pierres,
Mousses acides aux jaunes volcaniques,

 Cet héritage – offert, conforme à nos besoins, sans note de frais -
Apparaît être une chance inestimable.

Lorsqu'on y prête attention, on perçoit une vibration : ni un chant, ni un murmure mais l’infime respiration du vert, la gifle  d'un paysage sans propriétaire.


                                                  Cactus Mexico - Photo "Le chêne parlant"