dimanche 29 mai 2016

"Robespierre, la fabrication d'un monstre." Jean-Clément Martin

Qui est Maximilien Robespierre ? Nous avions commencé avec l’historien Hervé Lewers à nous interroger sur les facettes du personnage imposées par l’histoire : celle de la légende dorée d’un côté et, de l’autre, celle autrement plus sombre d’un odieux personnage certes honnête, incorruptible, intraitable mais déterminé à l’excès et salement arrogant. Bref, le sabre froid, méthodique et sans pitié, d’une machine de guerre écrasante.


Jean Clément Martin -01-05-2016 -
Photo Virginie Chrétien - Le chêne parlant


Jean-Clément Martin poursuit la déconstruction du mythe.
Première nuance d’importance, rappelle-t-il,  La terreur, ne s’appelait pas « La Terreur » du vivant de Robespierre. Seconde information essentielle, le Terreur a été mise à l’ordre du jour de manière postérieure à sa mort. Troisième point d’importance, si en février 1794, Robespierre parle de « La terreur et la vertu », ce n’est que pour mieux opposer les deux termes. Effectivement, Cynthia Fleury souligne également ce fait dans son excellent livre « Les pathologies de la démocratie ». La philosophe écrit : « La République doit donc veiller à ce que le Vice ne l’emporte pas sur la Vertu, et en cela, le contrat social est indissociable du pacte moral. […] Si « la Morale est l’ultime garante de la république. On ne s’étonnera évidemment pas des dérives totalitaires d’un tel système, car à défaut de Morale, on institue volontiers sa caricature, à savoir la terreur. »
Jean-Clément Martin poursuit en nous mettant en garde contre les croyances instillées par les vainqueurs de l’histoire.
Ainsi nous invite-t-il à nous interroger sur les réels pouvoirs du révolutionnaire…  Que pouvait-il ? Que contrôlait-il ? Afin d’illustrer son propos, l’historien reprend une  anecdote significative : lorsque Robespierre essaye  de sauver Catherine Théo de l’échafaud,  ce dernier échoue.  C’est qu’il n’est pas seul décisionnaire. Certes était-il un acteur important, très influent de la révolution mais ceci – insiste-t-il – ne saurait être confondu avec de la toute-puissance. Par exemple, ajoute-t-il, il ne contrôlait-il plus les Jacobins.
Pire, martèle le spécialiste de la révolution française, Robespierre  récuse le phénomène de terreur, le dénommant dans son discours du 8 thermidor de : « Système des despotes ».
Dès lors, que s’est-il passé ? Pourquoi cette vindicte ? Cette haine du personnage ? en d’autres termes, pourquoi cet acharnement ?  S’agirait-il d’une construction, de la fabrication d’un monstre fomentée par des protagonistes de l’histoire ayant survécu à Robespierre ?
Une chose est sûre, Robespierre avait conscience de ses ennemis. L’avocat les désigne même de manière claire et explicite au sein du même discours : « Disons donc – proclame-t-il -  qu’il existe une conspiration contre la liberté publique ; qu’elle doit sa force à une coalition criminelle qui intrigue au sein même de la Convention ; que cette coalition a des complices dans le Comité de Sûreté générale et dans les bureaux de ce comité qu’ils dominent » 



Jean Clément Martin -01-05-2016 -
Photo Virginie Chrétien - Le chêne parlant

Mais un coup bas d’ennemis jaloux, autrement dit, un retour de bâton d’esprits revanchards, n’explique pas tout. On peut s’étonner, en effet, de ce retournement rapide d’opinion, de cette condamnation unanime, d’une appropriation aussi forte et généralisée de la parole accusatoire. Car Robespierre avait des amis tout de même et pas des moindres : le président du tribunal révolutionnaire par exemple ou le maire de Paris, pour ne citer qu’eux.  
L’événement historique n’est pas sans rappeler les travaux menés par le philosophe René Girard sur le phénomène de « Bouc émissaire ».
Effectivement, désigner un coupable, ne pas questionner les responsabilités des survivants – met non seulement ces derniers à l’abri du couperet de la justice mais – et sans doute faut-il voir ici l’explication d’un silence unanime et complice – constitue un moyen extraordinairement efficace et rapide de stopper un bain de sang devenu insupportable à tous.
   De quoi, malheureusement, entonner :
                  Au lynchage, citoyens !
                         Tournons la page marchons…  Marchons !      

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Ultime discours de Robespierre.



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Robespierre par Jean-Clément Martin - Part 2



Robespierre par Jean-Clément Martin - Part III

mercredi 25 mai 2016

"Les économistes contre la démocratie" Michael Goodwin répond à Laurent Cordonier.

Savoir est une arme. Comprendre est un pouvoir.
Le chêne parlant poursuit son travail de déconstruction des idées reçues.  


 Laurent Cordonier - Michael Goodwin 
Virginie  Le Chêne parlant- 1er mai 2016 Arras 

Comment en est-on arrivé là ? interroge l'économiste Laurent Cordonnier. Quels sont les mécanismes économiques explicatifs d'une société basée sur l’hyperconsommation ? Quelle influence a les traités commerciaux sur nos vies ? Quelques réponses passionnantes données par Michael Goodwin.

Merci à Messieurs Michael Goodwin et Laurent cordonnier de leurs accords gracieux.






Michael Goodwin 
Virginie  Le Chêne parlant- 1er mai 2016 Arras 





Laurent Cordonier -  Michael Goodwin - 
Virginie  Le Chêne parlant- 1er mai 2016 Arras 


jeudi 19 mai 2016

Notes à portée d'univers, Jawhar en quartet / Majid Bekkas Afro-oriental jazz trio


Belle découverte issue de la maison de la culture de Tournai.


JAWHAR EN QUARTET / MAJID BEKKAS AFRO-ORIENTAL JAZZ TRIO

Notes à portée d'univers. 

Si la musique est un prodige, c’est sans doute par son intonation sourde à l’intérêt. Ses notes lancées à l’assaut du vent, tout de braises et de lumière n’ont rien à prouver, démontrer, apprendre. Son seul argument est celui de couler entre les bancs de silence, de voguer à la lisière de l’esprit… Là où le vague est âme : tout en présence impalpable, et absence murmurée.  




عيش تونسي - "Tounsi" - a video inspired by Jawhar's "Allemni



 




dimanche 15 mai 2016

L'oral, une nouveauté des nouveaux programmes ? Viviane Bouysse.






Les nouveaux programmes pour l’école maternelle : quels enjeux ? Quelles évolutions ? interroge Viviane BOUYSSE[1], Inspectrice générale de l’éducation nationale, à Illfuth, le 13 octobre 2015.
Dans une première partie, l’Inspectrice constate avec regret combien nombre d’élèves dès l’école maternelle restent tenaillés par la peur de ne pas « donner la bonne réponse », « n’osent pas s’engager. », n’osent pas « aller au bout » de ce qu’ils font, font "L'expérience de se vivre nul." Face à ces « émotions négatives renvoyant, précise-t-elle en s’appuyant sur des recherches récentes en sciences cognitives,  à un mode de fonctionnement particulier pouvant entraîner des dommages préjudiciables. ». Il est donc primordial de "Donner à chacun les moyens d'apprendre.", susciter l’"Envie et plaisir d'apprendre.", développer l'estime de soi - donner confiance – rappeler combien "ils sont tous capables d'apprendre et de progresser".

Pour ce faire, il semble nécessaire, insiste Viviane Bouysse, de ne tomber ni dans l’ « Ecole du laisser grandir (structure pouvant être confondue avec celle d’une  « garderie » où la présence d’une assistante maternelle suffirait) ni de s’aligner sur l’école primaire, école « primarisée » (où les abstractions précoces régneraient en maître et où le contraindre à apprendre favoriserait les familles déjà familières de ce type de dispositif, les plus aisées donc.) ». Un parallèle, à l’école primaire, peut-être effectué lorsqu’il s’agit de restaurer l’envie d’apprendre sans tomber dans le travers du jeu pour le jeu – un jeu sans enjeux – soit une pédagogie du ludisme, de l’amusement. Au reste, une modification d’intitulé dans les nouveaux programmes vient étayer et conforter ce qui vient d’être dit.  « On est passé – poursuit Viviane Bouysse - du domaine d’activité (2008) … au domaine d’apprentissage » très significatif d’une évolution de l’école maternelle.
« En 95, il y a eu une lutte pour distinguer l’école maternelle de l’école élémentaire. A l’époque, ce qui était déterminant, c’était l’agir de l’enfant. Aujourd’hui, on sait que l’agir ne suffit pas. » Ce qui importe, développe-t-elle, c’est que l’agir débouche sur quelque chose, que cela produise un effet attendu. « Agir doit déboucher sur réussir. » Il s’agit donc de travailler avec les élèves sur la conscience qu’ « Il  y a un lien entre ce qu’il font, la manière dont ils le font et la réussite. ». Nous arrivons donc au point névralgique des nouvelles orientations, ce lien n’étant que celui du « langage qui va expliciter les conditions de la réussite » Rendre la « Pensée active », permettre de « Réfléchir sur les modalités et les effets de l’action. » effectuer des « Relations entre ce que l’on fait et les résultats de ce que l’on produit… »

Il s’agit donc de développer les « Formes d’oral qui permettent de réussir. »
Non un « Langage en situation » car « En situation, il n’est pas difficile de se faire comprendre. » mais un « Langage décontextualisé, « oral structural », langage en commentaire de l’action. » Ce langage détient des caractéristiques de l’écrit. Au sein des programmes, cet objectif d’apprentissage est repérable dans certains termes employés comme : « Raconter – Décrire -  Évoquer – Questionner – Proposer des solutions -  Discuter un point du vue… »

Dans cette revalorisation de l’oral, les nouveaux programmes ré-insistent sur ces activités liées à l’oral structural.
a)      Approche intégrée. « Les enfants expérimentent le langage même quand il n’est pas explicitement travaillé. » Langage en accompagnement de l’action « J’ai fait comme ça. » => il s’agit de mettre en mot le geste afin de le comprendre.
Ici l’enjeu, c’est la précision du langage. Le langage est un outil pour le reste.
b)      Langage structuré : langage étudié en tant que tel.   



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Conférence de Viviane Bouysse du 14/11/12 -
Entrer dans l'écrit en maternelle - Auditorium de Douai.
"L'oral écrit n'est pas un oral spontané mais un oral structuré."

Rendre les enfants conscients qu’on n’écrit pas exactement comme on parle. Développer une conscience syntaxique – quel est le bon ordre des mots dans une phrase - est une aide.
De même, Emilia Ferreiro dit - presque mot pour mot : « On n’écrit pas comme on parle, on n’organise pas les mots de la même façon. » 2) - p 8.
La chercheuse insiste : « Il est nécessaire de déstabiliser l’adulte pour qu’il abandonne cette idée naïve qui correspond à la vision séculaire suivant laquelle l’écriture reflèterait la parole… Il faut rendre plus complexe le regard que nous portons sur l’écriture. Paradoxalement, le regard de l’enfant en développement est plus complexe que celui de l’adulte alphabétisé. » 2) - p.99.

Ecrire, c’est donc se construire un système de représentation 8) et non pas simple notation ponctuelle des aspects sonores du langage. (Culture écrite)
   L'oral structuré, une entrée dans l’écrit en maternelle ? avec Viviane Bouysse.
"Lire c’est connaître un code culturel."
"Passer de ce qui est écrit à ce qui est oralisé et inversement, lire c’est connaître ce code et l’appliquer.
… Ce qui est écrit peut être converti en langage oral et en même temps ce que l’on dit, on peut l’écrire.
Ce que je vois écrit, on peut le lire. Et ce que l’on dit, on peut l’écrire.
Rendre explicite cette relation entre l’oral et l’écrit."

Qu’est-ce que c’est un mot ? Vivianne Bouysse et Emilia Ferreiro se sont posées la question, répondant à l’identique.
« C’est par la fréquentation des textes à travers la lecture (une lecture soutenue par autrui avant de devenir autonome) que l’enfant découvre la signification conceptuelle de cette « banalité » technique : les blancs entre les mots ;
… au début de la période phonographique, les enfants préfèrent écrire en scripto continua, c’est-à-dire tout attaché, comme le faisaient les grecs et les romains de la période classique. » Ferreiro Emilia –2) p 8.
Vivianne Bouysse, dans la vidéo, développe : "A l’oral, on ne parle pas par mot. L’unité articulatoire c’est la syllabe.

Il faut connaître l’écrit – d’une certaine façon – pour repérer les mots à l’oral."

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Aussi, conclurons-nous cet article en ces termes au goût, à l’apparence, à la sonorité de tautologies mais qui n’en sont pas :
Ecrire – c’est écrire de la langue écrite.

Lire – c’est lire de la langue écrite.
" Tous les enfants ne sont pas au contact de cette langue modélisante. C'est le rôle de l'école maternelle de le proposer.
J'insiste sur cette idée d'imitation qui ne doit pas être tabou. Plus les enfants sont petits, plus ils apprennent par imitation
ils apprennent par essai-erreur et ils apprennent aussi par imitation.
Les apprentissages les plus culturels ne peuvent pas aboutir uniquement avec les essais et les erreurs, il faut qu'il y ait du modèle quelque part."
Viviane BOUYSSE.


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dimanche 1 mai 2016

Claudie Haigneré - Remettre la science en culture avec Etienne Klein




Tous les objets du savoir provoquent des réticences, des chocs, des craintes : apprendre fait peur.
Pour les élèves en difficulté, affronter la nouveauté, aborder la plus « banale » des situations pédagogique réclame une dépense d’énergie phénoménale. Cela revient à traverser un fleuve tumultueux, hostile, plein de remous invisibles, de tourbillons potentiellement dangereux.
Ils ne manquent pas de courage, pourtant. Seulement, rien n'y fait.  Qu'ils gesticulent ou non – cela revient au même - ils boivent la tasse.

Le Philosophe Gilles Deleuze évoque dans un « cours sur Spinoza », dispensé à Vincennes, le 17 mars 1981, ce phénomène. Dans une pensée imagée, claire, subtilement poétique,  Deleuze Déclare : « Je barbote. » autrement dit, je m’échine, j’éclabousse - pour rien - ou pas grand-chose.  « Tantôt la vague me gifle, tantôt elle m’emporte… Ça, c’est des effets de choc…  Je ne connais rien aux rapports qui se composent ou qui se décomposent. Je reçois des effets de parties extrinsèques […]. Les parties qui m’appartiennent à moi sont secouées par les parties qui appartiennent à la vague […].Tantôt je rigole, tantôt je pleurniche […]. Je suis dans les affects passions… Ah, maman, la vague m’a battue […]. Ça revient exactement au même que de dire l’autre m’a fait du mal…» [1]

Incapables de flotter, les élèves se font une « raison ». Peu à peu, la résignation s’installe. En retrait, cloués sur le rivage, étrangers, spectateurs. Impuissants. Statiques. Ces derniers regardent les autres naviguer. Semblables à des grains de sable sur une plage faussement uniforme, potentiellement rugueuse. A la merci du vent et des intempéries.

Est-il dès lors est-il possible de surmonter cette "malédiction" ?

L’astrophysicienne Claudie Haigneré choisit, le temps d’une "Conversation scientifique" avec le physicien Etienne Klein de nous parler, de nous expliquer combien il est important  d'entrer en science.
Il est temps ajoute-t-elle, un frisson dans la voix de "remettre la science en culture".

On n’observe aucune angoisse chez l’astrophysicienne ayant pourtant vécu des aventures spatiales ô combien stressantes. Des vols internationaux où plus d’un aurait perdu la sérénité d’une ville en l’intervalle d’une seconde.

Cette dernière rapporte combien les futurs voyageurs dans l’espace – donc dans l’inconnu - sont préparés physiquement et psychologiquement à cette expérience. La symbiose entre confiance et maîtrise de la situation est totale.

A la question d’Etienne Klein, identique à celle de Raphaël Enthoven sur les risques, la peur de mourir qui peut en résulter, la spationaute répond : « J'avais l'impression d'être très très bien préparée à toute situation et d'avoir acquis [...] suffisamment confiance dans la technique, les équipes et dans moi-même [...] pour arriver à être capable de façon autonome à prendre des décisions[...] donc je n'ai pas eu peur [...] parce que je ne me suis pas trouvée confrontée à des situations d'inconnu [...] je pense qu'on a peur quand on est confronté à l'inconnu. J'ai à chaque fois été confrontée à des situations connues. » [2]  

Maîtriser les opérations parce qu’elles ont été mûries, pensées de longue date, opère une confiance absolue en soi-même et en l’avenir.
En résulte une impression - à tort ou à raison – de pouvoir tout maîtriser, tout contrôler, de savoir quoi faire en cas de circonstances atroces.

«  On regarde un film qui est une espèce de western [...] où l'homme [...] arrive à se sortir de situations difficiles [...]  On a tout un tas de rituels tout au long de la préparation... »

         Bien évidemment cela ne saurait se faire « seul ».
Apprendre à jouer avec les concepts, « composer » avec les éléments, apprendre à nager suppose un tiers.
Il s’agit d’acquérir, poursuit Gilles Deleuze  « un savoir-faire […]  une espèce de sens du rythme […]. La rythmicité […]. Ça se passe entre les rapports qui composent la vague, les rapports qui composent mon corps et mon habileté […]. Plonger au bon moment, je ressors au bon moment […]. J’évite la vague qui approche, ou au contraire, je m’en sers… »[1]

Autrement dit, comme l’indique Claudie Haigneré, s’agit-il de remettre « L'homme est au centre de l'aventure spatiale.[2] »,

De développer une souplesse, un rythme, une qualité de mouvement, une maîtrise  s’exprimant dans le plaisir.




[1] Gilles Deleuze,  « cours sur Spinoza », dispensé à Vincennes, le 17 mars 1981.
[2]          Objectif lune, Les nouveaux chemins de la connaissance, émission de Raphaël Enthoven du 28 septembre 2009.       



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Séance de classe.







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Aller dans l’espace et en revenir
La conversation scientifique - Claudie Haigneré et Etienne Klein