mercredi 16 septembre 2015

Je suis Charlie ça signifie : « Je ressens une douleur qui m’a été épargnée. » Raphaël Enthoven


Parfois, des gouttes de sensibilité s'écrasent sous les semelles de l'humain bitume.
C'était peut-être le sens du formidable élan ayant rassemblé des milliers de personnes.



Raphaël Enthoven - Photo : Virginie - Le Chêne parlant

Le philosophe Raphaël Enthoven s'exprime sur cette expression "Je suis Charlie" à la fin de la vidéo 4 présentée ci-dessous.

Virginie : Que pensez-vous de la minute de  silence ?

Raphaël Enthoven : C’était une explication de texte.

Les gens ont compris « je suis Charlie » comme j’adhère aux dessins de  Charlie hebdo ». Personne n’est obligé d’aimer les dessins de Cabu, de Volinsky…  Personne n’est obligé d’aimer ça.
Dire « je suis Charlie », ça ne veut pas dire « Je suis Charlie hebdo », ça ne veut pas dire « J'adhère à Charlie Hebdo. » ça veut dire  « Je m’abonne à Charlie Hebdo… » Ça veut dire   : « J’ai un peu pris la balle qu’on t’a tirée dessus » Je suis un peu à ta place
Dire « Je suis Charlie » : ça veut dire c’est  moi qu’on a blessé - aussi.
C’est une façon de souffrir des douleurs qui nous sont épargnées.

La minute de silence, c’est une façon non pas seulement de respecter ou de rendre hommage à ceux qui ont perdu la vie ou ont été victimes de la barbarie.
Derrière cet hommage, il y a des individus qui – en un sens - sont morts pour nous. Et presque à notre place. Et qu’il faut se mettre à leur place. Et le fait de se taire, c’était une façon de se mettre à leur place.

Ça signifie :  « Je ressens une douleur qui m’a été épargnée. », et la minute de silence disait ça.

La responsabilité d’un enseignant, ce n’est pas de dire « Regardez, soyons plus attentifs.

Des gens ont été tués par ce qu’ils sont ce qu’ils sont.












A propos de... 
 4 - L’indignation

Imposture d’un phénomène capitaliste.
Phénomène publicitaire marchand, capitaliste – au sens le plus trivial du terme. Qui consiste à flatter en chacun le sentiment que l’on ne se satisfait pas du monde comme il va.
Comme si il suffisait de s’indigner pour ne pas être content… Ou comme si il suffisait de s’indigner pour changer quelque chose…

L’indignation est un phénomène publicitaire dont le contenu est aussi confus que la revendication sommaire, rudimentaire. L’indignation consiste à pas être « content ». Il y a mille façons de ne pas être « content ». L’indignation préempte la totalité des mécontentements et en fait une valeur. Comme si on pouvait faire une valeur d’un mécontentement  qui lui-même par définition en fait des caractères varie en fonction des circonstances des lieux et ceux qui sont mécontents.
           

C’est une forme, c’est une façon de puiser dans le hiatus du monde comme il devrait être et du monde comme il est, l’aliment de sa rage.
En aucun cas l’indignation ne change quoi que ce soit.
L’indignation a juste permis de s’enrichir sur ceux qui ont su spéculer sur le sentiment qu’il suffisait de s’indigner pour ne pas se satisfaire du monde.
L’indignation est une prothèse : c’est une façon de s’endormir en criant.  C’est une façon de se laisser faire en criant.

C’est une modalité vindicative, belliqueuse, marchande, mercantile et publicitaire du sommeil de  la raison.

L’indignation recourt des appartenances tout à fait opposées, le simple  fait que l’indignation soit une manière et non une matière - puisqu’on peut s’indigner d’une chose et de son contraire - ce seul fait là qui débouche sur la confrontation, sur le dialogue de sourd entre deux modalités de l’indignation qui n’ont rien à se dire sinon qu’elles s’indignent. Ce seul fait là me semble en soi promettre l’indignation à une sorte de succès éternel.
C’est un succès commercial. C’est un succès marchand. Je suis impressionné  par ceux qui savent spéculer là-dessus. Je suis admiratif de la façon dont le cynisme s’empare de l’indignation pour en faire un objet marchand.
Ca m ‘intéresse beaucoup.
Et, en revanche, là où ça m’énerve un peu … c’est cette réduction absolument inique de l’indignation à la révolte ; de la révolte à l’indignation. Considérer qu’il suffit de s’indigner pour se révolter c’est absurde.
L’indignation donne bonne conscience.
La révolte, c’est ce qui produit le sommeil du juste.
Le sommeil du juste - Gary dit «  Le sommeil du juste, c’est pas le truc qui vous fait dormir, c’est le truc qui vous empêche de dormir. C’est le truc qui vous Fait souffrir, c’est le truc qui vous donne mal au monde entier » 
L’indignation, c’est le truc qui fait que quand on a manifesté toute la journée -  on dort tranquille ; parce certes le monde ne va pas mais au moins on le lui a dit.

La révolte est une inquiétude.
L’indignation est un confort. Un confort de pensée et un confort existentiel
La révolte me semble davantage relever d’une inquiétude véritable. Qui pose toute une série de problèmes dont notamment sa conversion en inquiétude collective, c’est le cogito camusien « Je me révolte, donc nous sommes. »
La révolte me semble plus intéressante que l’indignation.
L’indignation est intéressante par la tranquillité.
La tranquillité fut-elle vindicative qu’elle garantit à celui qui la promeut, la brandit et en fait commerce

Propos recueillis par Virginie – Le chêne parlant

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