samedi 2 janvier 2016

"La solidité de la science" entretien avec Etienne Klein, par Virginie Le Chêne parlant, vidéo 2/4.

Vidéo 2 sur 4 : La solidité de la science, entre science et recherche.


 Etienne Klein - Ce que la physique dirait du temps - 
21-10-15 - Photo  - le chêne parlant

En partenariat avec Slow Classes, le magazine qui fait apprendre autrement.



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Etienne Klein : Lorsqu’on fait un calcul en physique quantique, ou en physique des particules, on se place dans un espace mathématique abstrait. On n’est pas dans un espace physique à 3 dimensions. Dans ces espaces abstraits, on fait des calculs permettant de dire quel sera le résultat d’une mesure si on fait telle expérience. On fait ce calcul, on a un résultat. Ensuite on fait l’expérience dans le réel physique. Et on trouve un résultat identique…  D’où vient cet accord ? … Les équations des physiciens, pour des raisons qu’on ne sait pas forcément expliquer, permettent de toucher le réel. Sinon il faudrait invoquer un miracle pour chaque succès, un miracle à chaque fois qu’un résultat coïncide avec le calcul, à chaque fois qu’une prédiction est confirmée par des mesures expérimentales. Or, il y a tellement de miracles, impossibles à assumer tous, qu’on est bien obligé de constater l’efficacité des équations. Elles touchent le réel. C’est ce qui permet d’échapper au relativisme. En cela, la science n’est pas une connaissance comme les autres.  Elle démontre sa capacité à toucher le réel à chaque fois que cela se produit. Et ça se produit toujours puisque la physique quantique n’a jamais été démentie par un fait expérimental,   ni la relativité générale d’Einstein. Pour l’instant, ce sont des théories qui n’ont jamais été contredites par les faits… Chaque accord observé produit une  sorte d’émotion. Quand on a eu la preuve que le boson de Higgs existait, les scientifiques qui étaient aux manettes de l’expérience ont éprouvé une émotion absolument incroyable. Donc l’émotion n’est pas l’apanage des artistes. L’objectivité n’est pas l’apanage des scientifiques. Mais ce constat ne suffit pas à dire que la science et l’Art, c’est la même chose.
Virginie : Quelle différence effectuez-vous entre la science et la recherche ? Une découverte pouvant être remise en question par une nouvelle découverte, comment éviter ce relativisme qui consiste à remettre en question la science ?
Etienne Klein : Effectivement, j’ai été très agacé par la controverse – la fausse controverse – sur le changement climatique. Les climato-sceptiques n’arrêtaient pas de nous dire que la science c’est le doute... Vous êtes sûre que la science c’est le doute ? Vous pensez qu’on a encore le droit de douter que la terre est ronde ?  La force de la science, c’est qu’on a su que la terre était ronde avant de voir que la terre était ronde.  Actuellement, les photos des satellites permettent de voir que la terre est ronde. Mais du temps d’Aristote, on savait déjà qu’elle était ronde. Sans aucun point de vue permettant de la voir dans sa forme complète. Par des mesures,  des raisonnements, on a été capable de démontrer la rotondité de la terre avant de la voir.  C’est ça la force de la démarche scientifique. Aujourd’hui, personne ne doute ce fait. On ne remettra jamais en cause ces résultats. Sauf si on est victime d’hallucinations ou si par un effet physique encore inconnu, la terre pouvait devenir totalement plate. Donc il y a  des choses acquises sur lesquelles on ne reviendra pas.
Virginie : C’est la partie science.
Etienne Klein : Oui, c’est la partie science. Des choses ont acquis une solidité. C’est la science dite souveraine. Celle ayant  acquis des arguments dans certains domaines ne pouvant plus être remis en question... Pour en revenir au modèle standard de la physique des particules...  Ça n’est pas la théorie du tout, on le sait.  D’ailleurs il n’y a pas la gravitation, donc c’est un modèle incomplet. N’empêche que…  jusqu’à des énergies qui sont celles explorées au LHC, ce modèle a fait ses preuves. C’est-à-dire qu’on n’a vu aucun phénomène qui ne soit pas compréhensible dans le cadre de ce modèle standard. Il faut en prendre acte. Il est le seul à pouvoir faire ça.
Il convient donc d’effectuer une différence entre la science ayant un corpus contenant des choses ne pouvant facilement être démenties, et la recherche relevant d’une démarche inspirée par le doute. Par exemple, pendant 48 ans, entre 1964 et 2012, on s’est demandé ce qui pouvait être à l’origine de la masse des particules.  On avait plusieurs théories. Avec la découverte du Avec le boson de Higgs, on a compris que c’était cette théorie qui était la bonne et pas une autre. On a levé un doute. Aujourd’hui qui doute de l’existence du boson de Higgs ?...  Un doute travaillé a permis l’élaboration non pas d’une vérité mais plus modestement d’une vérité de science.  C’est-à-dire d’une vérité dont le statut est beaucoup plus fort que celui de n’importe quel fait…  Par exemple je vous vois. Mais ne suis-je pas victime d’une hallucination ? N’ai-je pas trop bu ? … Les arguments qui me font dire que le boson de Higgs existe sont bien plus forts que ceux qui me permettent simplement, parce que je vous vois, d’affirmer que vous existez.




 Etienne Klein - Ce que la physique dirait du temps - 
21-10-15 - Photo  - le chêne parlant

Virginie : Parce que ça a été anticipé.
Etienne Klein : Oui, parce que ça a été prévu, anticipé, détecté. Objectivé.   Je ne voudrais pas que nos connaissances les plus affirmées  puissent être considérées comme des croyances… Là, on tombe sur une question intéressante.  Si nous ne savons pas dire comment nos connaissances sont devenues des connaissances, alors dans nos bouches, elles ont le statut de croyances…  Nous les répétons parce qu’elles nous ont été dites avec des arguments d’autorité…  Tout le monde sait que la terre est ronde. Mais qui sait comment on l’a su ? Si nous ne savons pas d’où vient que nos connaissances sont des connaissances et non pas des croyances, alors nos connaissances sont comme des croyances. C’est cela qui est inquiétant, c’est de considérer les connaissances comme des croyances.
Virginie : Le scientifique prend toujours des précautions, ne sera jamais dans l’affirmation péremptoire, définitive de son savoir…  Et les climato-sceptiques jouent sur cette ambiguïté-là...
Etienne Klein : En matière de climat, les climatologues sont les premiers à dire qu’ils ne savent pas tout. Mais dire qu’on ne sait pas tout, n’est pas dire qu’il n’y ait aucune chance qu’on sache. Il y a des choses dont les climatologues sont certains bien qu’ils ne sachent pas tout.    De même que les physiciens sont certains de l’existence du boson de Higgs sans pouvoir dire ce qui se passe à très haute énergie…
Savoir ce n’est pas tout savoir. Savoir c’est précisément savoir ce qu’on ignore. C’est pour cela que L’ignorance c’est la grande affaire des savants.  L’ignorance ce n’est pas l’affaire des ignares. Un ignare ignore qu’il ignore. Un savant sait ce qu’il ignore, ce qui veut dire qu’il sait tout ce que l’on sait.
L’ignorance, c’est le grand métier des savants.
Virginie : Cédric Villani établit 7 critères propices aux découvertes scientifiques…
1 – « Nourrir le cerveau ». La documentation.
2 – La motivation ; butinez !
3 - Un environnement propice,  favoriser les rencontres stimulantes.
4 – Les échanges ; collaborez, échangez !
5 – Les contraintes ; osez  "l'audace savante".
6 – Travail et intuition.
7 – Persévérance et chance…
Etienne Klein : Nourrir le cerveau, évidemment. La science nourrit le cerveau. Elle peut le téléguider  notre façon de penser,  elle peut avoir un impact sur elle. Bachelard disait : faire de la science, c’est penser contre son cerveau. C’est-à-dire, soumettre son cerveau à des arguments ou à des résultats qui le violent. C’est-à-dire, qui sont tels que le cerveau laissé à lui-même, à ses préjugés, à son ressenti, pourrait décréter que les résultats sont faux.

Cantor, mathématicien du 19ème siècle, qui s’intéressait à la question de l’infini,  a démontré que sur le côté d’un carré, il n’y a pas moins de points que sur la surface du carré. Sur une surface, pour vous, il y a deux dimensions, il y a bien évidemment beaucoup plus de points que sur un côté. Or il a pu établir une bijection entre tous les points du côté et tous les points de la surface … Ça lui a paru tellement fou, qu’il a écrit à richard Dedekind : « Je le vois, mais je ne crois pas ». Dedekind a refait la démonstration, lui a assuré que sa démonstration était juste.  Il a découvert un résultat mathématique auquel il ne croyait pas.  Il y a pas mal d’exemples comme cela dans l’histoire des sciences des découvertes qui ont été faites par des physiciens qui ne croyaient pas à leurs découvertes.  

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Pour aller plus loin...





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