samedi 23 février 2019

L'Art de la fraternité par André Comte-Sponville.

Est-on frère en toute circonstance ? interroge le philosophe André Comte-Sponville.

Étrangement, alors que l’amitié, l’amour, la justice, le courage sont entendus d’emblée comme vertus, la fraternité, dans la tradition des textes philosophiques, ne l’est pas. Pourquoi cette mise à l’écart ?
Sommes-nous réellement tous des frères ? Ou ne serions-nous point plutôt des cousins très éloignés ? Des individus si psychologiquement distants que nous ne nous préoccupions plus du sort d’autrui ?
Nous le voyons, afin de répondre à cette question, encore s’agit-il de définir ce qu’est un frère.
Alors allons-y, que sont des frères, en effet ? Des individus dotés des mêmes parents ? Faut-il l’entendre au sens d’un amour si puissant qu’il transforme l’autre en « frère » ? Faut-il y voir un ensemble d’adeptes rassemblés autour d’une croyance et donc, excluant ceux n’éprouvant pas la même ferveur ? Au reste, au sens religieux du terme, les croyants se sont beaucoup entre-tués.

La fraternité est la synthèse républicaine de 4 notions pourtant distinctes :
L’ Amour - La Générosité – La Solidarité – La Communion.
Étudions-les plus précisément.

          1. L'amour :

L’amour selon la tradition philosophique se subdivise en trois concepts distincts :
L’Eros autrement dit « l’amour-amoureux », la Philia soit « l’amour filial » et  l’Agapè ou l’amour de charité.

La fraternité républicaine, laïque, serait plus proche de l’agapè, en d’autres termes d’un amour dit « de charité », ou caritas. Qu’est-ce à dire ? A ce niveau, nous sommes chanceux ! En effet, l’amour de charité a été génialement résumé par Saint Augustin en une formule lapidaire : « Aime et fais ce que tu veux. » « Aime et fais ce que tu veux. »… Comment entendre cette formule sans effectuer de contre-sens ?  C’est assez simple : puisque tu agis par amour, tu agiras bien. Et, de fait, rappelle André Comte-Sponville, on ne nourrit pas ses enfants par devoir mais par amour. Il ne s’agit pas ici de morale mais d’élan affectif. Au reste, quand l’amour est là, on n’a pas besoin de morale. Les choses se font naturellement, le partage va de soi. Quand l’amour est là - insistons bien sur ce point – lois et morales deviennent inutiles.
D’accord. Très bien. Tout le monde s’accorde avec cette idée d’amour et de partage.
Mais à qui cela s’adresse-t-il ?  En effet, l’amour est-il généralisable ? La réalité nous montre tous les jours le contraire. On aime certes ses proches : ses enfants, ses parents, son conjoint (et encore au début). Mais ses parents... ce n’est même pas sûr… Ses amis ?... Certes, pour quelques uns…
En bref, cela concerne combien d’individus ?... Peu. Très peu. Trop peu. Alors, effectivement, comment éviter de faire le pire ? Puisque l’on ne peut aimer 7 milliards de personnes ?
Kant a une solution : celle de l’amour pratique. Si tu aimes, très bien : agis par amour. Si tu n’aimes pas, ce n’est rien : fais comme si… Kant nous dit : « Quand tu n’aimes pas, fais comme si… »
Donc, agis comme si… Comme si tu étais frère…
Et c'est là qu’apparaît la générosité.

       2. La générosité

La générosité, c’est la vertu qui consiste à donner à ceux que l’on n’aime pas. Quand on aime : on donne. Quand on n’aime pas : on est généreux. Donner à ceux que l’on n’aime pas, c’est la vertu du don, autrement dit : la générosité.En conséquence, même si je ne veux pas donner aux 7 milliards autres, la morale me rappelle à l’ordre : tu dois donner à ceux que tu n’aimes pas. Très bien, la morale semble sauver de tout. Est-ce vraiment le cas ? De fait, que faire si aimer,  je ne sais pas et donner,  je ne veux pas ? Nous pouvons tenter – alors – de suivre cette logique : Si tu ne sais pas aimer, sois au moins généreux… Si tu ne sais pas être généreux, respecte au moins la propriété d’autrui.
Ah là, je respire… Je sais faire.
Reprenons, insiste André Comte-Sponville… Aimer, je ne sais pas… Donner, je ne veux pas… Mais attention, là, il y a danger, car si l'on renonce à tout, alors advient la barbarie. Aussi - fort heureusement - il existe une parade, celle de la politesse. En effet, être poli s'avère constituer une compétence aisée… Etre poli, ça, je sais faire !

En conséquence, comme nous l’avons vu, la générosité prend en compte les intérêts de l’autre.
On partage. Serait-ce là être solidaire ?
Pas tout-à-fait, la générosité n’est pas à confondre avec la solidarité.

         3. La Solidarité.

Ce n’est pas de la générosité, même si elle lui ressemble en bien des points. En effet, la générosité donne à tous quand la solidarité est certes un partage mais auprès des détenteurs des mêmes intérêts. L’exemple le plus explicite étant celui du syndicalisme. La solidarité entend s’adresser aux convergences objectives d’intérêts. Raison pourquoi l’état est le premier à promouvoir la solidarité. Ce dernier ayant pour objectif de défendre les intérêts de ses citoyens. Là encore, au côté positif de la solidarité, existe un revers négatif, celui du partage. De fait, donner réclame de  diviser. De sorte que, lors d’un bon repas, plus nombreux soient les convives, moins il y en ait pour chacun. C’est notre dernier point. Souvenons-nous, nous avons déjà évoqué : l’amour, la générosité, la solidarité… reste donc à étudier la communion.  

      4. Communier :

Communier ne divise pas. C’est une valeur que nous partageons tous, comme celles de «la  liberté, l’égalité et de la fraternité. » Communier, c’est partager sans diviser. Cela semble paradoxal car partager semble diviser les choses. Ici, en l’occurrence, il s’agit d’une union collective. De sorte que lorsqu’on partage un gâteau - par exemple lors d’un anniversaire - le dessert compte moins que le moment passé en bonne compagnie.  On augmente son plaisir en étant ensemble. On communie ensemble dans le plaisir de partager un très bon gâteau.





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