jeudi 6 octobre 2016

« En texte à texte. » avec Francis Huster – 8 février 2016



Francis Huster, « En texte à texte. »
Photos : Virginie, Le Chêne parlant.
Merci de cet entretien d'outre-voix. 
 – 8 février 2016


En collaboration avec le Magazine en ligne

Slow Classes





Comment échapper à l’absolue liquidité des heures, à la continuité des jours, l’insensibilité des mois ? Comment sortir du coma ? Sentir les pulsations sous les visages lisses des passagers d’un train partant dans le matin froid ? Comment, enfin, percevoir des gouttes de présences noyées dans le mouvement d’une foule avançant à débit constant ?

Il y a les pratiques à risque – bien sûr – ces palpitations du danger où la mort frôle la terre du vivant. Ce besoin de côtoyer le frémissant, cette soif du fracas, cette possibilité du pire, cette fréquentation du vertige… Bref, tout ce qui permet d’échapper au bourbier de l’ordinaire et de sortir – tête haute - de la défécation du présent. C’est que – savent-ils - L’infini n’est pas la répétition éternelle d’un même mais l’effondrement d’un tout réalisé en un point précis. C’est une condensation. Une brèche, une déchirure, un électrochoc.  
Le volume d’un univers contenu dans un dé à coudre.
Néanmoins, si s’évader de l’invariable réclame – certes quelques exceptions -  il est d’autres façons d’être saisi. Il est bien des manières de suspendre sa chute au milieu d’un ciel titubant. 
Lesquelles ? Celles des mots qui vous ferment les yeux. Des phrases qui soulèvent et abandonnent le corps en lettres de pensées. Là où le roulis du texte peuple l’instant d’instants. Là où l’on ne se préoccupe ni de faim ni de soif, pas plus de vie que de mort. 






Là où le moment vous  emmène avec soi et vous tient par l’esprit.
L’acteur, Francis Huster est de ce bois qui chavire sous le courant des textes. Le comédien, ce lundi 8 février 2016, arpente la salle du théâtre Charcot de Marcq-en-Barœul, tout en tension, saisi d’une extrême concentration, pris d’un profond recueillement. Les spectateurs l’observent. Que cherche-t-il ? Une attention à l’autre ? Un lien ? Après quelques sourires amicaux lancés aux connaissances assises dans les gradins, quelques paroles détendues plus loin, ni une, ni deux, j’en profite pour confirmer la possibilité d’un entretien le soir même. L’acteur s’arrête, sourit, me répond : « Ce ne sera pas possible mais… » J’attends. L’expert en célébration des mots reprend : « Vous me poserez vos questions durant le spectacle. »  
Etrange. Etrange et pourtant, loin de me déconcerter - l’idée – sans doute encore imprégnée du monument de pensées qu’est Shakespeare,  probablement toujours imbibée des conférences auxquelles je venais d’assister – l’idée, donc, me parut sublime, lumineuse, et même paradoxalement, aussi simple que naturelle… Evidente.
Une irruption du bizarre lancée à esprit portant. 
Un dialogue est-il une suite de mots répondant à une autre suite ? Pensais-je… Un groupe de sens lié par une cohérence d’ensemble ? Ou s’effectue-t-il de visage à visage, d’œil à œil, tout en regard ? L’échange ne s’inscrit-il pas dans des rapprochements de front à front ? Là où la tempe pulse de mille réflexions ? Là où les collisions de pensée percutent d’autres pensées ?  Là où les paroles battent en un espace de souffles ?   
Pourquoi donc ne pas construire cet entretien en texte à texte ?      


Virginie : A propos d’Albert Camus, cet homme si singulier. Vous dites : C’est un homme qui me parle, pas un écrivain. Ce qu’il écrit t’appartient. Il n’y a pas de soumission – c’est un lien – une fraternité 1* Camus, c’est quelqu’un qui marche avec les autres… Une voix qui nous constitue. Pourquoi avoir choisi cet écrivain ?

Francis Huster : Dans le cas d’Albert Camus… et on peut prendre n’importe quelle légende…  Il y a des sportifs absolument sublimes qui ont fait une carrière dans le sport alors qu’à 11 ans ils étaient à moitié morts. Des hommes politiques… John Kennedy, Charles de Gaulle, Napoléon Bonaparte qui n’auraient jamais dû faire une telle course.
Dans le cas d’Albert Camus, on a l’exemple type d’un homme qui n’a absolument pas suivi les pages que l’on avait écrites pour lui.  Pourquoi ces êtres -là restent-ils inscrits dans l’histoire ? Faut-ils qu’ils aient fait une course absolument incroyable. La course n’est pas seulement ce que l’on fait pendant sa vie, c’est le reflet de ce que l’on a fait.
Virginie :  Albert Camus serait-il donc un être singulier, un être de racine et de chair doté d’une incroyable résistance ? 
Francis Huster : Albert Camus est né en 1913. Tuberculeux, issu d’une famille défavorisée dont le père, Lucien, ouvrier agricole, caviste, mourra en 1914 ; le gosse dont le frère est sourd-muet... Peut-on imaginer pire ?  
Virginie : Certes.




Francis Huster : Et pourtant, ce gosse-là, obligé d’aller dans les sanatoriums - celui, qui en 1913 doit être pesé - deviendra pupille de la nation et entamera, grâce à cela, des études.
Virginie : l’école aura donc joué un rôle essentiel dans sa vie ?
 Francis Huster :  La plupart d’entre nous n’ont pas vécu la vie qu’ils auraient dû vivre. On a tous des racines familiales. Si on peut imaginer qu’il y ait un dieu, appelons-le destin, hasard, famille ou qui vous voulez… ou quoi que ce soit…  en fonction de nos parents, de nos grands-parents où se trouve le cercle de notre éducation, de notre enfance, on est écrit déjà. Et il est évident qu’à partir de notre naissance tout est déjà écrit. Les pages sont écrites. Le problème c’est que parmi nous ce soir, seulement 20% ont vraiment réalisé ce qui était écrit et puis d’autres ont bifurqué à cause de rencontres scolaires.  D’un professeur magnifique qui les a emportés vers tout à fait autre chose. D’un oncle. D’un commerçant chez qui on a trouvé une humanité... Une blessure qui fait que pendant trois mois on est en dehors du cercle familial et puis il y a quelqu’un qu’on rencontre. 80% n’ont absolument pas vécu la vie qu’ils auraient dû vivre. Parmi ces 80% la moitié se sont construits eux-mêmes.  Et d’autres qui se sont laissés comme un hameçon balader… Et puis à quarante ans, à cinquante ans… on fait le point et on dit : Est-ce que je continue à me faire balader ? Est-ce que je continue à construire ce que j’ai construit ? Ou est-ce que je continue ma route ?






Virginie : Albert Camus serait-il donc fait de cet alliage de combats, de boue et de poésie ?  La glaise d’un monde élevé au niveau du ciel ?
Francis Huster : … il va devenir le plus jeune prix Nobel de littérature français. Et il va être l’homme le plus célèbre au 20ème siècle parmi les trois plus grands écrivains du siècle : Camus, Proust et Céline.
Virginie : vous citez souvent les grands textes. Pensez-vous qu’il soit plus que jamais nécessaire de défendre ces flambeaux de l’humanité ?
Francis Huster : La beauté exige de l’être des efforts qui l’élève… 

Peut-on mieux conclure ?




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Francis Huster – plein d’une intelligence sensible - restitue merveilleusement la symphonie nuancée d’une pensée polyphonique.
Texte repris du spectacle « Dans la peau d’Albert Camus » Théâtre Charcot de Marcq-en-Baroeul, le 8 février 2016 :
« Venir et parler, évoquer, faire revivre un être humain…  Ce soir, j’ai décidé de faire vivre Albert Camus…. J’ai commencé ce métier en 1963. Je me suis tout de suite trouvé, à 16 ans, plongé  dans le bain, à jouer aux côtés de légendes.  Et au bout de deux ans d’apprentissages, c’était devenu ma famille.
….
La plupart d’entre nous n’ont pas vécu la vie qu’ils auraient dû vivre. On a tous des racines familiales. Si on peut imaginer qu’il y ait un dieu, appelons-le destin, hasard, famille ou qui vous voulez… ou quoi que ce soit…  en fonction de nos parents, de nos grands-parents où se trouve le cercle de notre éducation, de notre enfance, on est écrit déjà. Et il est évident qu’à partir de notre naissance tout est déjà écrit. Les pages sont écrites. Le problème c’est que parmi nous ce soir, seulement 20% ont vraiment réalisé ce qui était écrit et puis d’autres ont bifurqué à cause de rencontres scolaires.  D’un professeur magnifique qui les a emportés vers tout à fait autre chose. D’un oncle. D’un commerçant chez qui on a trouvé une humanité… Une blessure qui fait que pendant trois mois on est en dehors du cercle familial et puis il y a quelqu’un qu’on rencontre. 80% n’ont absolument pas vécu la vie qu’ils auraient dû vivre.
Parmi ces 80% la moitié se sont construits eux-mêmes.  Et d’autres qui se sont laissés comme un hameçon balader… Et puis à quarante ans, à cinquante ans… on fait le point et on dit : Est-ce que je continue à me faire balader ? Est-ce que je continue à construire ce que j’ai construit ? Ou est-ce que je continue ma route ?
Dans le cas d’Albert Camus, et on peut prendre n’importe quelle légende…  Il y a des sportifs absolument sublimes qui ont fait une carrière dans le sport alors qu’à 11 ans ils étaient à moitié morts. Des hommes politiques… John Kennedy, Charles de Gaulle, Napoléon Bonaparte qui n’auraient jamais dû faire une telle course.
Dans le cas d’Albert Camus, on a l’exemple type d’un homme qui n’a absolument pas suivi les pages que l’on avait écrites pour lui.  Pourquoi ces êtres –là restent-ils inscrits dans l’histoire ? Faut-ils qu’ils aient fait une course absolument incroyable. La course n’est pas seulement ce que l’on fait pendant sa vie, c’est le reflet de ce que l’on a fait.
Albert Camus est né en 1913. Tuberculeux, issu d’une famille défavorisée dont le père, Lucien, ouvrier agricole, caviste, mourra en 1914 ; le gosse dont le frère est sourd-muet… Peut-on imaginer pire ?   Et pourtant, ce gosse-là, obligé d’aller dans les sanatoriums – celui, qui en 1913 doit être pesé – deviendra pupille de la nation et entamera, grâce à cela, des études. Et il va devenir le plus jeune prix Nobel de littérature français. Et il va être l’homme le plus célèbre au 20ème siècle parmi les trois plus grands écrivains du siècle : Camus, Proust et Céline.
Molière est un dialoguiste de génies comme Camus.
Il est là. Sa position, c’est la seule que l’on puisse adopter.
La beauté exige de l’être des efforts qui l’élève… 
http://www.lavoixdunord.fr/region/marcq-en-baroeul-francis-huster-ouvrira-le-festival-contes-ia22b49743n3256978
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Pour aller plus loin :
vidéo 1*
Albert Camus un combat pour la gloire de Francis Huster- vidéo auteur 2- L’homme
C’est un homme qui me parle, pas un écrivain. Ce qu’il écrit t’appartient. Il n’y a pas de soumission – un lien – une fraternité

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Albert Camus un combat pour la gloire de... par Le_Passeur_Editeur

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vidéo 2*

Albert Camus un combat pour la gloire de Francis Huster - vidéo auteur 4 - l'oeuvre de Camus





Qui sont ces monuments de la pensée ? Ces êtres de racine et de chair dont l’invisibilité signe une incroyable présence ?  Dont l’écorce saigne à chaque coup de canif ? Dont la sève marque une opacité ? Dont la fluidité coule d’une blessure ?  Albert Camus est sans doute de cette fibre. Un alliage de combats, de boue et de poésie – La glaise d’un monde élevé au niveau du ciel.
Francis Huster – plein d’une intelligence sensible - restitue merveilleusement la symphonie nuancée d’une pensée polyphonique.
Ecoutons…
« Albert a voulu construire une œuvre à hauteur de bible d’homme. L’homme qui parle à l’homme, pas aux hommes. A l’homme. Camus n’avait pas confiance dans les hommes par contre dans l’homme oui. Son œuvre dont la forme droite, nette, c’est une œuvre de journaliste allant à l’essentiel tout de suite et où le fond, la pensée n’a pas les casseroles de dentelle d’écriture. La pensée est servie comme si c’était la lumière et les mots n’en étaient que l’ombre…  Pour les grands écrivains, la lumière c’est la forme, l’ombre, c’est le fond. Il y a du Blaise Pascal chez Camus. Mais alors que Blaise Pascal fait le pari de Dieu, lui fait le pari de l’homme.
Les grands écrivains – comme François Villon, Balzac, Flaubert, Chateaubriand  - sont ancrés dans leur époque. Les œuvres sont tirées par leur époque… On ne peut les digérer que par rapport à leur époque. Elles ne peuvent plus rien illuminer si on ne les met dans leur époque.
Avec Hugo, avec Camus, avec Simenon, il n’y a pas d’ancre. Cette œuvre fluide est d’aujourd’hui. »  

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2 commentaires:

  1. Bonjour Virginie, c'est ça : je vais à mon tour lancer une application : une application de vidéo en direct et en replay mais à la demande (une conférence, un lieu, un paysage, un je-ne-sais-quoi : vous êtes ma correspondante (mon envoyé spécial) dans votre zone de confort géographique (comme le philosophe sans qualité dans sa zone de confort géographique, le marquis de l'orée dans sa zone de confort géographique, et 2 ou 3 autres dans leur zone de confort géographique).
    Je sais c'est pas clair ; je vais préciser tout ça. Installez l'application périscope sur votre smartphone, faites de la vidéo en direct, regardez, cherchez : moi j'en suis là : nous verrons bien : j'ai plein d'idées.
    Encore une fois mon chêne parlant nous verrons bien,
    Mes amitiés for ever

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  2. Cher Alf,

    Essayons, nous verrons... Commençons par être en quête de Smartphone. La chose n'est-elle pas trop onéreuse ? Mes amitiés également cher Robot.

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