Parfois, des gouttes de sensibilité s'écrasent sous les semelles de
l'humain bitume.
C'était peut-être le sens du formidable élan ayant rassemblé des milliers de personnes.
Le philosophe Raphaël Enthoven s'exprime sur cette expression "Je suis Charlie" à la fin de la vidéo 4 présentée ci-dessous.
C'était peut-être le sens du formidable élan ayant rassemblé des milliers de personnes.
Raphaël Enthoven - Photo : Virginie - Le Chêne parlant
Virginie : Que pensez-vous de la
minute de silence ?
Raphaël Enthoven : C’était une explication
de texte.
Les gens ont compris « je
suis Charlie » comme j’adhère aux dessins de Charlie hebdo ». Personne n’est obligé
d’aimer les dessins de Cabu, de Volinsky…
Personne n’est obligé d’aimer ça.
Dire « je suis
Charlie », ça ne veut pas dire « Je suis Charlie hebdo »,
ça ne veut pas dire « J'adhère à Charlie Hebdo. » ça veut
dire « Je m’abonne à Charlie
Hebdo… » Ça veut dire : « J’ai un peu pris la balle qu’on
t’a tirée dessus » Je suis un peu à ta place
Dire « Je suis
Charlie » : ça veut dire c’est moi
qu’on a blessé - aussi.
C’est une façon de souffrir des
douleurs qui nous sont épargnées.
La minute de silence, c’est une
façon non pas seulement de respecter ou de rendre hommage à ceux qui ont perdu
la vie ou ont été victimes de la barbarie.
Derrière cet hommage, il y a des
individus qui – en un sens - sont morts pour nous. Et presque à notre place. Et
qu’il faut se mettre à leur place. Et le fait de se taire, c’était une façon de
se mettre à leur place.
Ça signifie : « Je
ressens une douleur qui m’a été épargnée. », et la minute de silence
disait ça.
La responsabilité d’un
enseignant, ce n’est pas de dire « Regardez, soyons plus attentifs.
Des gens ont été tués par ce
qu’ils sont ce qu’ils sont.
A propos de...
4 - L’indignation
Imposture d’un phénomène capitaliste.
Phénomène publicitaire marchand, capitaliste – au sens le
plus trivial du terme. Qui consiste à flatter en chacun le sentiment que l’on
ne se satisfait pas du monde comme il va.
Comme si il suffisait de s’indigner pour ne pas être
content… Ou comme si il suffisait de s’indigner pour changer quelque chose…
L’indignation est un phénomène publicitaire dont le
contenu est aussi confus que la revendication sommaire, rudimentaire.
L’indignation consiste à pas être « content ». Il y a mille façons de
ne pas être « content ». L’indignation préempte la totalité des
mécontentements et en fait une valeur. Comme si on pouvait faire une valeur
d’un mécontentement qui lui-même par
définition en fait des caractères varie en fonction des circonstances des lieux
et ceux qui sont mécontents.
C’est une forme, c’est une façon de puiser dans le hiatus du
monde comme il devrait être et du monde comme il est, l’aliment de sa rage.
En aucun cas l’indignation ne change quoi que ce soit.
L’indignation a juste permis de s’enrichir sur ceux qui
ont su spéculer sur le sentiment qu’il suffisait de s’indigner pour ne pas se
satisfaire du monde.
L’indignation est une prothèse : c’est une façon de s’endormir en
criant. C’est une façon de se
laisser faire en criant.
C’est une modalité vindicative, belliqueuse, marchande, mercantile et
publicitaire du sommeil de la raison.
L’indignation recourt des appartenances tout à fait
opposées, le simple fait que
l’indignation soit une manière et non une matière - puisqu’on peut s’indigner
d’une chose et de son contraire - ce seul fait là qui débouche sur la confrontation,
sur le dialogue de sourd entre deux modalités de l’indignation qui n’ont rien à
se dire sinon qu’elles s’indignent. Ce seul fait là me semble en soi promettre
l’indignation à une sorte de succès éternel.
C’est un succès commercial. C’est un succès marchand. Je
suis impressionné par ceux qui savent
spéculer là-dessus. Je suis admiratif de la façon dont le cynisme s’empare de
l’indignation pour en faire un objet marchand.
Ca m ‘intéresse beaucoup.
Et, en revanche, là où ça m’énerve un peu … c’est cette
réduction absolument inique de l’indignation à la révolte ; de la révolte
à l’indignation. Considérer qu’il suffit de s’indigner pour se révolter c’est
absurde.
L’indignation donne bonne conscience.
La révolte, c’est ce qui produit le sommeil du juste.
Le sommeil du juste - Gary dit « Le sommeil du
juste, c’est pas le truc qui vous fait dormir, c’est le truc qui vous empêche
de dormir. C’est le truc qui vous Fait souffrir, c’est le truc qui vous donne
mal au monde entier »
L’indignation, c’est le truc qui fait que quand on a
manifesté toute la journée - on dort
tranquille ; parce certes le monde ne va pas mais au moins on le lui a
dit.
La révolte est une inquiétude.
L’indignation est un confort. Un confort de pensée et un
confort existentiel
La révolte me semble davantage relever d’une inquiétude
véritable. Qui pose toute une série de problèmes dont notamment sa conversion
en inquiétude collective, c’est le cogito camusien « Je me révolte, donc
nous sommes. »
La révolte me semble plus
intéressante que l’indignation.
L’indignation est intéressante
par la tranquillité.
La tranquillité fut-elle
vindicative qu’elle garantit à celui qui la promeut, la brandit et en fait
commerce
Propos recueillis par Virginie –
Le chêne parlant
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