Le rêve
Une nuit, alors qu’il avait
dormi peu et pourtant trop, déjà…
Depuis la fac, il avait peu à
peu développé la faculté de dérouler, avec une précision remarquable, la bobine
du cinéma nocturne. Un matin, par exemple, au sommet de sa forme, il avait
détaillé sa nuit très lucidement. Ses intervalles lourds et tranquilles, ses
périodes paradoxales et agitées. Il avait acquis la faculté d’être
l’observateur de lui-même. Le chercheur expert de son propre moi. Il avait rêvé
trois fois, accédé à chaque histoire, intensément, lucidement. Il avait
considéré chirurgicalement, d’une façon critique les trois histoires/ une
longue/ deux courtes/ splendides ou lugubres/ extraordinaires/ qui avaient
jalonné son sommeil. Ça l’avait mené de la brousse sauvage aux vestiges de
l’univers jusqu’aux trottoirs sordides d’un quartier délabré. Au réveil, il
avait pris l’habitude de consigner dans le petit carnet spirale l’étendue de
ses impressions, ses chocs, ses émotions. Ce travail intellectuel eût pour
conséquence immédiate d’améliorer considérablement sa mémoire. Aucune parcelle
de son inconscient, aucune pensée n’échappait à sa vigilance. Puis/ depuis peu
/ une compétence intellectuelle se développa plus encore. Concrètement, il
n’était pas rare qu’il se déplace physiquement dans ses rêves. Libre d’esprit
et de ses mouvements, il s’introduisait comme le visiteur d’un musée ordinaire
au sein même de ses chimères.
A force, le champ de sa volonté
s’était élargi considérablement : il insufflait à son inconscient la
direction à suivre, la voie à emprunter. Avait-il envie de voyager ? Qu’à
cela ne tienne : il visitait New York ou Bali, il nageait dans un lagon ou
flottait sur la mer rouge, il grimpait sur des baobabs ou traversait le désert
de Gobi. Lui prenait-il l’envie de voler ? Rien de plus simple : il
braquait son esprit en un point creux, tendait à l’extremum la volonté du vide…
En un centre. Sans pensées. Lourd. Grouillant de matière. Plein d’énergie. Le
vide et le néant. Le tout… et il décollait… Il venait d’atteindre une maîtrise
de soi hors du commun. Des sommets d’autocontrôle. Il passa alors les moments
les plus fantastiques de sa vie. Dans les rêves, l’irréalité se
matérialise.
Il est certain qu’avec de telles
dispositions/ à quelques rares exceptions / il passait des nuits
extraordinaires. Il limitait les désagréments.
Cependant, il aboutit/ sombre
présage/ par deux fois sur un cauchemar. Celui là même qu’il avait encore
renouvelé hier. Le bâton froid de l’effroi venait entraver les rouages huilés/
mécaniques/ de ses nuits. Il n’avait rien modifié pourtant. Le rêve se
déployait dans l’univers convenu et cadré du bureau d’archi. Rien de plus normal, à première vue. Il avait
conscience qu’une autre façon d’enjamber la vulgarité bornée de la vie
quotidienne est de la penser, la modifier et pourquoi pas de la sublimer. Aussi le
bureau de ses rêves était-il distinct de l’ordinaire : déraisonnable,
extravagant. Assez divertissant et attrayant, finalement. Sans conséquence.
Sophia jouait au piano des compositions harmoniques. Elle dégageait une joie
sensuelle combinée à des vibrations complexes, spirituelle. Son souffle. La
coloration. La friction des voix se mariait à l’excitation distillée par la
musique. C’est ensuite que tout basculait inexplicablement.
Il marchait vers ?… vers l'inconnu… Un chemin serpentin gris caillouteux se déroulait à l’infini
sous ses pieds… Un glissement… Autour de lui, la nuit se faisait ténèbres. Des
nébulosités opaques, lourdes et angoissantes, effrayantes, l’agressaient avec
violence. Il se mettait à courir. Une seule idée : fuir/ partir/ filer/
s’échapper, le taraudait. Le cœur claquait à tout rompre. Puis, soudainement,
la chute… Un précipice… Il se trouvait dans un autre lieu. Une cage d’ascenseur
profonde et ténébreuse le plongeait dans un abîme. Un gouffre noir et
oppressant, sans fond. Il croyait pourvoir surmonter cette peur mais, non… rien
à faire… il disparaissait / la descente semblait interminable, exponentielle,
inexprimable/ le froid, la profondeur. La peur. La terreur. La mort.
Inextricable. Si prégnante. Le néant !
Ça s’empare de l’âme, le
néant !
Ça étrangle, ça asphyxie, le
néant !
Se réveiller ! Il se
retrouvait assis dans son clic clac, les yeux exorbitants. Le dos en nage.
Tremblant et vacillant.
Brisé.
Plonger
dans l’oubli. Vite !
Chère Chêne,
RépondreSupprimerVotre texte m’a captivé.
Dommage qu’il n’ait pas de suite…
Sans doute devriez-vous reprendre ce « livre incertain ».
Pour notre plaisir, — et le vôtre…
Veuillez agréer mes hommages, — et mes bonnes pensées.
R.C. Vaudey
Cher R.C. Vaudey,
SupprimerMerci de votre commentaire élogieux.
Oui, en outre, il y a une suite.
Bon - bien, vous aurez la suite.
Au plaisir de vous lire,
Virginie