Tous les objets du savoir provoquent des réticences, des
chocs, des craintes : apprendre fait peur.
Pour les élèves en difficulté, affronter la nouveauté, aborder
la plus « banale » des situations pédagogique réclame une dépense
d’énergie phénoménale. Cela revient à traverser un fleuve tumultueux, hostile,
plein de remous invisibles, de tourbillons potentiellement dangereux.
Ils ne manquent pas de courage, pourtant. Seulement, rien
n'y fait. Qu'ils gesticulent ou non – cela revient au même - ils
boivent la tasse.
Le Philosophe Gilles Deleuze évoque dans un « cours sur
Spinoza », dispensé à Vincennes, le 17 mars 1981, ce phénomène. Dans une pensée
imagée, claire, subtilement poétique, Deleuze
Déclare : « Je barbote. » autrement dit, je m’échine, j’éclabousse - pour rien - ou pas
grand-chose. « Tantôt la vague me gifle, tantôt elle
m’emporte… Ça, c’est des effets de choc… Je ne connais rien aux
rapports qui se composent ou qui se décomposent. Je reçois des effets de
parties extrinsèques […]. Les parties qui m’appartiennent à moi sont secouées
par les parties qui appartiennent à la vague […].Tantôt je rigole, tantôt je
pleurniche […]. Je suis dans les affects passions… Ah, maman, la vague m’a
battue […]. Ça revient exactement au même que de dire
l’autre m’a fait du mal…» [1]
Incapables de flotter, les élèves se font une
« raison ». Peu à peu, la résignation s’installe. En retrait, cloués
sur le rivage, étrangers, spectateurs. Impuissants. Statiques. Ces derniers regardent
les autres naviguer. Semblables à des grains de sable sur une plage faussement
uniforme, potentiellement rugueuse. A la merci du vent et des intempéries.
Est-il
dès lors est-il possible de surmonter cette "malédiction" ?
L’astrophysicienne Claudie Haigneré choisit, le temps d’une "Conversation scientifique" avec le physicien Etienne Klein de nous parler, de nous expliquer combien il est important d'entrer en science.
Il est temps ajoute-t-elle, un frisson dans la voix de "remettre
la science en culture".
On n’observe aucune angoisse chez l’astrophysicienne ayant
pourtant vécu des aventures spatiales ô combien stressantes. Des vols
internationaux où plus d’un aurait perdu la sérénité d’une ville en
l’intervalle d’une seconde.
Cette dernière rapporte combien les futurs voyageurs
dans l’espace – donc dans l’inconnu - sont préparés physiquement et
psychologiquement à cette expérience. La symbiose entre confiance et maîtrise
de la situation est totale.
A la question d’Etienne Klein, identique à celle de Raphaël
Enthoven sur les risques, la peur de mourir qui peut en résulter, la
spationaute répond : « J'avais l'impression d'être très très bien
préparée à toute situation et d'avoir acquis [...] suffisamment confiance dans la technique, les équipes
et dans moi-même [...] pour arriver à être capable de façon autonome à prendre
des décisions[...] donc je n'ai pas eu peur [...] parce que je ne me suis pas
trouvée confrontée à des situations d'inconnu [...] je pense qu'on a peur quand on est
confronté à l'inconnu. J'ai à chaque fois été confrontée à des
situations connues. » [2]
Maîtriser les opérations parce qu’elles ont été mûries,
pensées de longue date, opère une confiance absolue en soi-même et en l’avenir.
En résulte une impression - à tort ou à raison – de pouvoir
tout maîtriser, tout contrôler, de savoir quoi faire en cas de circonstances
atroces.
« On regarde un film qui est une espèce de
western [...] où l'homme [...] arrive à se sortir de situations difficiles
[...] On a tout un tas de rituels tout au long de la préparation... »
Bien
évidemment cela ne saurait se faire « seul ».
Apprendre à jouer avec les concepts, « composer »
avec les éléments, apprendre à nager suppose un tiers.
Il s’agit d’acquérir, poursuit Gilles Deleuze « un savoir-faire […] une espèce de sens du rythme […]. La rythmicité
[…]. Ça se passe entre les rapports
qui composent la vague, les rapports qui composent mon corps et mon habileté […].
Plonger au bon moment, je ressors au bon moment […]. J’évite la vague qui
approche, ou au contraire, je m’en sers… »[1]
Autrement dit, comme l’indique Claudie Haigneré,
s’agit-il de remettre « L'homme
est au centre de l'aventure spatiale.[2] »,
De développer une souplesse, un rythme, une
qualité de mouvement, une maîtrise s’exprimant dans le plaisir.
Séance de classe.
oooooooooooooooooooo
Aller dans l’espace et en revenir
La conversation scientifique - Claudie Haigneré et Etienne Klein
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