Jean-Yves Pouilloux
Les essais bruissent des doutes,
contradictions, avancées, reculades, allongeailles de son auteur : Sieur Michel
de Montaigne.
« Quand je danse, je danse :
quand je dors, je dors. Voire, et quand je me promène solitairement en un beau
verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque
partie du temps : quelque autre partie, je les ramène à la promenade, au
verger, à la douceur de cette solitude, et à moi. » (1726)
Une force émane de ce livre
ordonné.
Sont-ce les centaines de
segments, les pans entiers de vie, les intrusions variées d’anecdotes, les
citations qui murmurent si près de l’oreille ?
Le plafond de Montaigne.
Photo : Le Chêne parlant
« J’aime que les mots aillent où va
la pensée. » écrit Montaigne.
Le griffes, ratures, ajoutent. On entend - le craquement des feuilles
noircies.
Les gravillons sur lesquels
marche l’écrivain font des allées familières.
Montaigne débute de nulle part,
sinon du lieu de sa naissance, l’œuvre plane de l’histoire du périgourdin,
maire Bordeaux , seigneur de Montaigne, un être non pas pédant mais vivant. Non
pas homme – encore moins avide de pouvoirs, de médailles, de gloire vaine -
mais mortel.
Photos : Le chêne parlant
Spécialiste en rien sinon en
pensées.
Plein du désir solide de
cheminer.
« Et quand personne ne me lira ».
Cette sentence pourrait
assurément augurer de l’avenir.
Le public – nous, c’est-à-dire un
dérivé du peuple – n’estime point les jugements de soi sévères. Nous ne sommes
points prompts à respecter l’humilité.
Qu’un esprit plein juge ses
qualités propres avec froideur, dureté, rectitude, ne se laisse rien passer et
voici que son manque d’arrogance nous agace, nous aveugle.
Aux bourreaux de soi aux lames
tranchantes, nous préférons les lectures légères.
Nos regards changent de point du
vue. Nous ne voyons plus en lui que sa mémoire erratique. Ses doutes. Ses
réflexions buissonnantes. Son manque d’affirmations.
Son refus de faire système, de
créer des concepts en font un philosophe trop ordinaire. Sa simplicité, ses
allongeailles, ses pillotages, son scepticisme en font un écrivain faussement
simple, atypique. L’homme, finalement, n’est pas si net, ni si passionnant.
L’intérêt se détourne.
Montaigne – pourtant – est un
empoisonneur.
Son texte est un discours à livre
ouvert. L’oral cultivé de pensées.
L’équilibre de ses réflexions,
limpides, font d’intenses paysage. Et c’est vrai, que tout de suite, l’esprit
traverse l’univers vif, réel, cocasse, sincère de ce gentilhomme - mieux :
honnête homme. Ses introspections organiques, ses doutes font nos
préoccupations : plus vibrants, étonnants, modernes que n’importe lequel de
notre ordinaire.
L’œil éveillé. La respiration de
Montaigne est un « miroir cognitif » puissant déclencheur de pensées.
Les branches vives de ses
objections, dénonciations des clichés, se contorsionnent violemment pour
atteindre la lumière de notre conscient. J'observe que... nous
tendons l’oreille pour entendre… le souffle dense de son esprit parle
tel un discours égocentrique à livre ouvert 1*.
On ne peut pas oublier ça, ce
frôlement des idées. Immédiatement, le cheminement saute à l’esprit.
Montaigne, c’est de
la pensée à portée de vue.
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Les Nouveaux chemins de la
connaissance –
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Jean-Yves Pouilloux est
professeur de littérature à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Il est
spécialiste de Montaigne, de Rabelais et de littérature contemporaine (Queneau,
Borges...).
Sciences humaines - Pensées et langage.
Persée - Pensées et langage
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1* - p 26-27 : Pour Vygotski, il
n’est pas vrai que le langage égocentrique atteste le caractère initialement
asocial de l’enfant et dépérisse à mesure que l’enfant se socialise. Il montre
au contraire, sur une base expérimentale, que le langage égocentrique du jeune
enfant est d’emblée social et que, loin de dépérir, il se transforme par la
suite en langage intérieur, jouant un rôle de médiateur dans la formation de la
pensée verbale au cours de l’activité pratique de l’enfant.
Lev Vygotski – Pensée et langage
– La dispute. Paris 1997 ; Isbn : 2-84303-004-8
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