Conférence claire et instructive d’Estelle Ferrarese, professeure de philosophie morale et politique à l’université de Picardie Jules Verne sur la question de l’émancipation des femmes, dispensée le 6 avril 2017 à la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société.
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A Myriam
Etre le commandant solide ; seul
maître à bord de sa personne. Pourquoi ce type de gouvernement s’observe-t-il
si peu chez les femmes ? interroge la philosophe Estelle Ferrarese. Pourquoi
sont-elles si peu mises en avant ? Pourquoi ne se sont-elles pas construites
d’histoire telle celle des ouvriers, par exemple ?
Simone de Beauvoir, dans le Deuxième sexe, offre des éléments de
réponses :
Les femmes ne se pensent pas en tant que
sujet, c’est-à-dire seules, en opposition à l’autre mais se vivent avec l’autre.
Ce positionnement solidaire n’est pas sans conséquence. Etre partie seconde
d’une entité première : le mari, l’enfant, le père, le frère, interdit de
hisser haut les couleurs personnelles.
Se suffire aux autres contredit toute possibilité
de poser un « Je » fort et singulier.
Marseille - Photo Virginie -
Le chêne parlant avril 2016 - Montée des Accoules
La présence invisible devient une
normalité. Pire, la prévenance, un dû.
Qui se rappelle derrière la grand-voile
des enfants délaissés de la DDASS, l’effacement d’une femme s’oubliant au
chevet des autres ? Entourant l’abandon d’un sourire. Enveloppant les
manques, non de bons sentiments, mais d’actes solides, de réponses visibles, de
solidarités concrètes ?
Qui se souvient de cette présence franche
et affirmée, parfois sèche quand la situation l’exigeait, souvent maternelle et
affectueuse quand la confiance s’était installée ? Qui loue encore les
mérites d’une embarcation anonyme, tout à la fois gouvernail et passerelle, canoë
et bouée, en tout cas, toujours prévenante et effacée.
A la vie masculine d’exténué-à-vouloir-gagner,
la femme oppose une vie d’exténuée-à-vouloir-donner.
Une implication pleine et entière, dénuée
de bannière personnelle, souvent invisible et solitaire. Dénuée de récompenses.
Cet état de non revendication – en effet –
est clairement repérable dans l’Histoire où l’on peine à trouver des femmes
voulant briguer le pouvoir pour elles-mêmes. Pensons aux figures scientifiques –
Véra Rubin, Ada Lovelace, Jocelyn Bell. De brillants esprits ayant cherché sans
éclat, ayant trouvé sans médaille. La persévérance n’est pas toujours
avantageuse aux femmes.
Par intérêt de caste plus que de genre, Germaine
de Staël ayant intégré cette position seconde des femmes, tenta de sauver la
tête de Marie Antoinette [1] à l’aide d’arguments de ce
type. Selon le principe du : Qui
veut minorer la liberté, lui colle une dépendance, cette dernière insista
sur la qualité d’épouse du Roi. Invoquant les vertus cardinales de tout bon
sujet féminin, à savoir l’identité générique de base suivante : d’abord être
fille, peut-être sœur, ensuite, être femme et mieux, mère.
Arguant, également, du fait de ne pas accorder
à un individu femelle une quelconque importance historique.
Marseille -
Photo Virginie Le Chêne parlant -
rue des Accoules - avril 2016
A côté de cette entreprise, rappelons-le,
davantage commandée par une hiérarchie héréditaire qu’une appartenance de sexe,
un autre fait sociologique s’esquisse, celui de la non-solidarité des femmes
envers les spécimens de leur genre. Germaine de Staël, selon Enzo Caramaschi,
plaidait pour la femme de génie sans espoir de recevoir un jour aucune
solidarité féminine… Du vécu, sans doute ... Au reste, l’épistolière
n’appréciait pas plus que cela l’esprit princier de la reine, l’autre le lui
rendant bien.
L’absence de « nous » féminin ne
date donc pas d’hier.
Les femmes, pointe Simone de Beauvoir [2], sont séparées des autres femmes. Aussi, dispersées géographiquement et psychologiquement, ces dernières ne
se sont pas forgées de passé commun. En conséquence, les solidarités de travail,
les communautés d’intérêt se sont avérées impossibles.
Cela, n’impose-t-il donc pas l’apposition /
l’opposition féroce d’un « Nous » ?
La féministe bell hooks a cherché à
décrypter, à analyser les forces de dominations sociales cachées derrière le
phénomène d’atomisation des femmes.
L’intellectuelle engagée repense la Sororité sous l’angle d’une solidarité
politique, d’un engagement réciproque dans la lutte, refusant tout esprit victimaire, rejetant l’idée d’une fraternité fondée sur le socle d’une souffrance partagée, [3]
la sororité de bell hooks est une solidarité politique : de
combat. Il s’agit d’affronter les désaccords, "de ne pas avoir peur du conflit, de rompre avec une mentalité colonisée".
« Arracher sa capacité à modifier
l’état du monde. », c’est d’abord comprendre les forces de domination en
jeu. Cela passe par l’Intersectionnalité : soit l’étude fine des
différents axes pouvant expliquer cet état d’infériorité sociale – voire d’infirmité,
peut-on même avancer. Encore s’agit-il de questionner toutes les responsabilités,
y compris – bien entendu – celle de l’exploitation des femmes par les femmes.
C’est également poser des mots sur des
actes. En effet, développe Estelle Ferrarese, penser le phénomène du
« Harcèlement sexuel », par exemple, c’est condamner la voix rapide
de l’infamie, barrer les autoroutes des abjections faciles. Lesquelles, trop
souvent, donnent droit de passage à l’acte répréhensible, accusent la victime -
embouteillée de honte - de provocation insidieuse, et accréditent sans vergogne
les raccourcis de type : « Bien fait pour elle, elle l’a bien mérité ».
Etre acteur de l’émancipation (L’émancipation,
rappelons-le, c’est le gain « d’une force de contrôle réflexif. Le
contrôle des forces qui affectent les vies. ») nécessite de « se
rendre maître des forces qui nous agissent ».
Par la lutte – par l’expérience collective
- le sujet peut acquérir une texture politique, se former, se transformer,
devenir le symbole de quelque chose de supérieur à lui.
Acquérir une
identité, enfin.
Merci à Estelle Ferrarese de son aimable accord ainsi que de celui de Madame Martine Benoit, directrice de la MESHS.
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Quelques traversées salutaires en terre d'évasion...
Qui se souvient d’Alice Guy ?
500 films...
Créatrice du film de fiction.
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France Culture : La compagnie des auteurs.
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Notes :
http://books.openedition.org/pupo/2903?lang=fr
[2] Estelle Ferrarese, conférence.
[3] Estelle Ferrarese, bell hooks et le politique. La lutte, la souffrance et l’amour, Cairn, 2012, n° 52 « sur une sympathie réciproque née de la souffrance partagée. »
https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2012-1-page-219.htm
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