Le saxophoniste autodidacte de
talent Raphaël Imbert dévoile - dans cet
entretien réalisé le 31 octobre
2015 lors de la croisière philosophique « A la recherche du temps »
Intermèdes – les avantages et inconvénients d’un parcours réalisé en
grande partie hors des sentiers académiques. Des révélations pleines
d’apprentissages.
De quoi rendre le moral aux
anticonformistes de toutes cordes !
Raphaël Imbert est Lauréat de la
Villa Médicis, chef d’orchestre, compositeur, auteur de Jazz Suprême.
Virginie :
Vous êtes autodidacte, quels sont les inconvénients, avantages de ce
parcours ?
Raphaël Imbert : Les inconvénients, d’abord, sont ceux du
rapport à l’Académie et au langage. Car l’Académie, donc l’institution, a un
langage particulier qu’il s’agit d’intégrer et cela réclame un apprentissage,
un travail à part entière. Bien sûr, travailler
avec des musiciens classiques comme Karol Beffa – ce dernier étant un grand
improvisateur, compense. Mais avec Johan Fargeot, avec le quatuor Manfred,
Geneviève Laurenceau ou l’ensemble Contraste, c’est plus délicat. Je me sens un
peu démuni au niveau de la lecture et de ce qui est de l’ordre de l’écrit. Naturellement,
maintenant, à 41 ans, j’ai acquis pas mal de pratique sur le tas. Et toute
cette expérience constitue un avantage. Etre autodidacte, en effet, peut rendre
plus attentif à certaines choses. On développe alors des sensibilités moins
conventionnelles, plus empiriques… L’expérience détermine une éducation, qui
détermine un cheminement, une évolution… Là c’est un avantage… On acquiert une souplesse
bénéfique…
Mais je connais aussi des
autodidactes dont l’autodidactisme a constitué un frein. Une fermeture. Ces
derniers ne sachant faire que ce qu’ils avaient appris tout seul. Ca constitue
une autre forme d’académisme d’une certaine manière. Un auto-académisme. Un académisme
individuel.
De fait, l’important est d’avoir
un vrai mélange, une vraie rencontre entre ces deux univers. Qui sont deux univers
– hélas – encore trop distincts. Je milite, vous l’aurez compris, pour une
vraie rencontre. Une vraie prise en compte dans les apprentissages académiques
du facteur oral, autodidacte, artistique aussi… Bref, toute cette part de
cheminement personnel. Et ajoutons, pour qu’il y ait une vraie prise en compte
des autodidactes, des gens aux parcours
atypiques… Mais encore (ajoute-t-il avec un léger regret dans la voix.) faut-il
savoir les accueillir au sein de l’académie… (Pause.)… Parce que tout le monde a besoin de l’autre… Vraiment.
"Le jazz un art de la transgression… c’est vraiment l’art de la jonction entre deux mondes."
Virginie : Pourquoi être resté
autodidacte, est-ce une volonté de votre part ?
Raphaël Imbert : Je suis resté autodidacte au Saxophone. Au
niveau du saxophone, je n’ai jamais pris de cours de ma vie. J’ai commencé cette pratique à 15 ans grâce à
une rencontre, un voisin qui s’était installé à côté de chez moi, dans le nord
d’Aix-en-Provence, dans la campagne et qui en jouait. J’ai essayé. J’ai eu un
coup de foudre vraiment immense. J’ai tanné mes parents pour qu’on en achète
un. Je l’ai eu. (Sourire)… J’ai fait des heures et des heures tout seul.
Par contre, j’ai intégré la
classe de jazz du conservatoire de Marseille.
Là, j’ai rencontré d’autres musiciens. J’ai commencé à improviser avec
eux, à concevoir des méthodes d’improvisations, à savoir ce qu’est un accord, une suite
d’accord. Enfin… ce genre de choses. Mais j’ai toujours tenu à garder une
certaine fraicheur... En fait, je suis un chercheur frustré… Avant de faire de
la musique je faisais de la zoologie, j’aime bien chercher la petite bête…
J’aime bien étudier les sujets qui me plaisent… Or en étudiant l’histoire de
cette musique, j’ai constaté qu’il y avait
toujours eu une ambivalence entre le monde académique et le monde du
savoir « naturel ». Je ne crois pas que le jazz soit un très bon exemple
pour des méthodes, des conceptions de pédagogie totalement libres ou ce genre
de choses... On a voulu souvent faire le rapprochement. Pourtant, ce n’est pas
le cas. Au reste, les jazzmans eux-mêmes s’en sont toujours défendus… Le propre
même des communautés, des communautés Afro-Américaines, est de Transmettre de
manière assez rigoureuse un art de l’oralité. Mais cela reste de l’oralité donc
il y a une certaine flexibilité, une certaine volatilité des savoirs… Cela
permet la transgression. C’est un art de la transgression… Finalement, on a
beau jeu d’imiter. Ou de récupérer un
savoir académique, ou de le transformer l’air de rien. C’est cela qui me plait,
c’est vraiment l’art de la jonction entre deux mondes.
J’ai visité le musée de l’art
brut à Lausanne. Un des plus beaux musées que j’ai jamais visité. Ce que j’ai
vu est absolument incroyable… C’est une collection d’artistes spontanés. Des
gens qui n’ont jamais été aux Beaux-Arts, qui ont éprouvé d’un coup la
nécessité brûlante de créer quelque chose picturalement. C’est absolument
remarquable. Et ça pose énormément de questions sur notre art de
l’improvisation et du jazz… Parce que paradoxalement, le jazz n’a pas été un
art spontané total. Je veux dire un art issu d’une nécessité brûlante
individuelle, comme traversé d’un commandement suprême de faire quelque chose
de totalement nouveau, de totalement
personnel… En fait, c’est un mélange, l’Art d’équilibrer deux aspects : l’Académie
d’un côté et cette nécessité brûlante intérieure qui peut dépasser ou se
soustraire de tout académisme.
"Dans la transmission du Jazz, on pourrait définir trois étapes :
... imiter, ... retranscrire, ... trouver sa voie."
Virginie : L’académisme ce serait plus un côté
imitation ? Un côté répétitif, comme le fait d’effectuer des gammes ?
Raphaël Imbert : Hélas
non. Les gammes c’est un aspect technique.
Le Jazz est l’art de la répétition, un art de de l’imitation. Ce que ne
fait pas l’académie. L’académie si vous êtes compositeur venant de l’académie,
parlez-en avec Karol, il vous le dira bien, on va au contraire vous demander
d’exprimer une voix personnelle, de faire presque table rase du passé tout en
le connaissant bien afin de pouvoir d’autant mieux le subvertir. Alors que le Jazz
n’est pas ça. Le Jazz a toujours été un art des gammes. D’ailleurs, dans la
transmission du Jazz, on pourrait définir trois étapes. Lesquelles sont
très liées aux phénomènes communautaires, religieux, église, la fonction de la
musique dans le giron familial ou le village noir ou communautaire. Les enfants
sont baignés dans un contexte musical. D’abord, on leur demande
d’imiter, puis on leur demande de retranscrire, de répondre en quelque sorte, à
travers cette initiation, puis on leur demande de trouver leur voie. J’ai
toujours eu cette phrase en tête quand j’étais à New-York. J’ai eu la chance de
côtoyer Duke Jordan qui est pianiste qui a joué plus de cinq ans avec Charlie
Parker, donc un des maîtres du Bebop …
Et je lui disais : « Quand même vous devez être émerveillé de
voir tous ces jeunes musiciens qui sortent des universités et qui jouent votre
musique, celle que vous avez créée et qui la jouent plus de soixante-dix ans
après, telle quelle. » Il me dit : «Tu sais Raphaël, de mon temps,
c’était très important d’imiter les maîtres mais si en concert on s’amusait à
imiter tels quels les gens qui étaient nos inspirateurs, on était très mal
vus. » Affirmer l’inverse, dire que le Jazz est une création totale est
aussi une erreur. Donc, c’est le mélange… Encore une fois, ce n’est pas un Art
du milieu - le Jazz -, c’est un Art du paradoxe. Il est toujours dans cette
façon de jouer, de se balancer, de Swinguer. Le Swingue, c’est le balancement… Il
s’agit de Swinguer entre des choses qui peuvent paraître totalement
antinomiques. Au reste, contre toute attente, les grands Jazzmans étaient
très souvent – surtout dans les premiers moments du Jazz - de grands musiciens classiques, le seul
problème c’est qu’en tant que noir, on leur interdisait de jouer de la musique
classique. Donc ils ont fait une autre musique. Ils ont fait leur musique
classique. Il n’empêche qu’ils étaient de grands interprètes de musique
classique et ça ne leur a jamais posé de problème. Donc finalement, l’Académie
ce n’est pas tant l’art de la répétition – de la répétition technique – mais
plutôt l’Art d’une transmission savante et élitiste. C’est le rapport à
l’élitisme qui, en Jazz, se traduit par un rapport à l’initiatique. Le problème
de la transmission de génération en génération orale, qui pendant longtemps
n’est jamais passée par l’écrit. Et j’ai été alpagué par un monsieur après
notre table ronde, qui m’a dit : «Vous n’avez parlé que de
l’improvisation. L’improvisation est une erreur. Si Chopin n’avait fait
qu’improviser, on ne connaitrait pas sa musique. » Et moi j’inverse, je
dis : « Non pas du tout, vous connaissez très mal cette musique.
Chopin était un immense improvisateur. La seule chose que l’on ait vraiment
c’est ce qu’il a écrit qui n’est qu’un savoir parcellaire de ce qu’a été son
art. » Le but - et c’est ce que le Jazz a atteint et après le
rock – et après la musique classique est en train de retrouver, ce sont les deux. C’est à la fois la
connaissance et le savoir d’un Art de l’improvisation et d’un Art de
l’inscription dans l’écriture et dans le temps. Si on n’avait pas
volontairement pour des raisons pédagogiques – justement – et Académiques
détruit cet Art de l’improvisation en musique occidentale, on saurait non
seulement ce que Chopin a écrit mais on saurait comment il improvisait, ce qui
parait être extrêmement important.
"les grands Jazzmans étaient très souvent – surtout dans les premiers moments du Jazz - de grands musiciens classiques, le seul problème c’est qu’en tant que noir, on leur interdisait de jouer de la musique classique. Donc ils ont fait une autre musique. Ils ont fait leur musique classique. Il n’empêche qu’ils étaient de grands interprètes de musique classique et ça ne leur a jamais posé de problème."
Virginie : Cette question de l’improvisation est extrêmement
importante. Est-elle une invention ou une reproduction aléatoire d’une
structure intégrée, complètement maîtrisée ?
Raphaël Imbert : (10.32) A ce niveau, je suis en total accord
avec Karol Beffa. Si ce n’est qu’on ne le dit pas avec les mêmes mots. C’est
que la différence entre composition et improvisation est une question de
temporalité. L’improvisation est une composition en temps réel. Yaron Herman a développé des formes de
« Réal Time Compositions » pour expliquer et donner une méthode de
ses façons d’improviser…
Sinon, il n’y a pas une grande
différence. On peut composer tout en étant enfermé dans un style et dans une
mémoire. On peut improviser en essayant d’être totalement nouveau et y
parvenir.
La différence entre Richter et Horowitz,
parmi les plus grands interprètes de
classique, ça touche à l’improvisation. Le niveau de personnalité qu’ils mettent
dans l’interprétation n’est finalement pas très éloigné en termes
d’investissement personnel… Donc
finalement, c’est une notion très malléable. Et justement parce que malléable,
polysémique - donc propice à interprétations – c’est très volatile... Par
exemple avec Karol, ça ne nous empêche pas d’improviser une fugue de Bach… Même
si ce n’est pas ma première musique, j’ai une passion, une vénération pour
Bach. J’aime improviser cette musique en compagnie de ceux qui la maîtrisent
parfaitement comme Karol ou André Rossi, un organiste improvisateur, avec qui
je travaille beaucoup. Les organistes, en effet, ont gardé l’art, la tradition
de l’improvisation, car à la messe, à l’église, il s’agit d’une nécessité.
Là cette question ne se pose
finalement pas de savoir où se place le curseur de la création, de la limitation
ou de la restitution. C’est tout cela, tout le temps, en même temps.
D’ailleurs le grand danger, c’est de croire que l’on puisse changer de
casquette en cours de concert. Il faut assumer ces trois aspects, tout le
temps. Naturellement, parfois, on va déplacer le curseur… Par exemple, j’aime
bien jouer sur le côté contrôle, perte de contrôle. Une improvisation
totalement contrôlée perd de sa saveur.
Une dame me disait : « Il
faut accepter de perdre quelque chose quand on improvise. » C’est
totalement vrai. On a un but et le fait d’improviser avec quelqu’un d’autre,
dévie le but vers une autre destination. C’est très juste. Il faut l’accepter.
Le gros problème des improvisateurs venant du monde académique, venant d’une
pédagogique extrêmement normée, c’est de vouloir tout contrôler et de ne pas
accepter de perdre quelque chose.
Mon travail, dans mes « master-class »,
c’est de dire qu’il y a aussi un art du « laisser-aller ». Faites
confiance à vos doigts, faites confiance au geste. La musique de jazz, c’est la musique du
geste. Faites confiance au digital, au bras, à l’arrêt de la respiration. Acceptez
de faire une phrase qui paraît trop longue vis-à-vis de la situation… De la
jouer d’une manière tragique pouvant être très belle. N’ayez pas peur du
décalage. Laissez courir les doigts à certains moments. Jouez ce jeu…
Je reprendrais la classification
de Karol entre Clocks – qui est très déterminé - et Clouds – les nuages qui est extrêmement
nébuleux – c’est une excellente image pour déterminer un équilibre, un curseur
qui va swinguer entre ces deux aspects.
Ca les académies, les pédagogies
normatives, ont beaucoup de mal à l’intégrer.
« Il faut accepter de perdre quelque chose quand on improvise. »
"Le jazz est aussi un art du « laisser-aller ». Faites confiance à vos doigts, faites confiance au geste. La musique de jazz, c’est la musique du geste."
"Le jazz est aussi un art du « laisser-aller ». Faites confiance à vos doigts, faites confiance au geste. La musique de jazz, c’est la musique du geste."
Virginie : N’est-ce pas une question de vocabulaire ?
Lorsqu’on parle d’improvisation – dans le langage courant - on a l’impression que l’on part de rien, qu’il
s’agit d’une table rase…
Raphaël Imbert : On peut le faire. C’est aussi une école
d’improvisation qui est extrêmement valable qui a donné d’excellents résultats
en matière d’improvisation générative… On va inventer des noms extrêmement
barbares pour nommer ces écoles d’improvisation.
Je n’ai pas le rapport que Karol a
vis-à-vis de la musique contemporaine, dans lequel il a engagé certaines luttes
contre un nouvel académisme, de l’atonalisme*, ou ce genre de choses…
D’un point de vue purement narratif,
une improvisation qui se voudrait totalement tabula rasa ou totalement dénuée de référence, c’est que rien ne
ressemble plus à quelque chose qui se veut sans référence qu’une autre chose se
voulant sans référence. Autrement dit, si on fait un bruitage, il y a de fortes
chances qu’un autre bruitage ressemble
énormément à cela.
Le jazz a démontré ça. Quand vous écoutez Louis Armstrong, ce qui
compte, c’est le mélange entre l’idiomatique
et le non-idiomatique qui crée la beauté
du geste improvisé.
"L’improvisation est un art de l’erreur. Un art de la gestion de l’erreur."
Virginie : Dans Philosophie Magazine d’avril 2015, vous dites
que vos étudiants ont une peur bleue de l’erreur. L’enseignement musical
français serait-il générateur de cette émotion négative ?
Raphaël Imbert : J’en suis persuadé. J’en parle souvent avec
des amis directeurs de conservatoire. C’est d’ailleurs marrant de voir la
différence de discours entre l’officieux et l’officiel… C’est normal, nous
défendons chacun notre pré carré… On a la chance d’être dans un pays où la
formation musicale – le solfège étant devenu un gros mot - est remarquable. Les
professeurs de formation musicale ont des méthodes passionnantes… Mais si vous interrogez
le public, les gens vont vous dire qu’ils ont été dégoûtés de la musique par le
solfège. Ce n’est pas un problème de méthode ou de pédagogie, c’est un problème d’ordre. En
France on est resté sur cette idée qui est liée aux sciences de l’éducation et de
la pédagogie, notamment de l’Education Nationale. C’est qu’il faut d’abord
apprendre l’alphabet et à lire avant de penser acquérir une narrativité. Or,
que fait un bébé lorsqu’il apprend le
langage ?
C’est de tenter de raconter une
histoire. D’ailleurs, il imite... Il imite, il restitue et il crée. Mon dernier
qui a 6 ans est un vrai jazzman… Maintenant il crée par lui-même. Il est en
train d’apprendre à écrire. Or au conservatoire, on va d’abord vous apprendre à
écrire et à lire avant de parler. C’est un vrai problème… Et ça génère des
quiproquos. D’ailleurs, dans les conférences, les débats, il y a des
interventions de professeurs qui vous disent sur un ton de reproche : « mais
vous nous dénoncez mais on a quand même
fait des progrès. » C’est vrai. Les méthodes – répétons-le - ne sont pas
en cause, ce qui pose problème, c’est l’ordre dans lequel on place les pratiques.
Au reste, l’apprentissage a
évolué au cours du temps.
Historiquement, nous avons
inversé les pratiques. La question commence à se poser au 18ème siècle.
Des changements se mettent en place au milieu du 19ème, particulièrement
à la fin du 19ème et c’est définitif dans l’après-guerre… Alors on
élimine les fanfares – c’est un très mauvais exemple pour la jeunesse (précise
Raphaël Imbert en souriant, et de poursuivre sur un air de connivence entendu) :
on boit des bières après la fanfare… On
élimine également les chorales... Le but de tout cela est de déterminer
l’apprentissage de la musique pour tous. Il ne s’agit pas de remettre en cause cet élan
démocratique remarquable. Mais de questionner la norme que ça génère.
Par exemple, comme les gens ayant
décidé ces choses-là viennent du monde de l’éducation, on va apprendre à lire
et à écrire la musique avant de la jouer. Tout le problème est là.
Autre exemple, la place de l’erreur.
Si vous faites une dictée musicale et que vous vous trompez, vous vous faites
taper sur les doigts. Dans l’improvisation, c’est différent, l’erreur n’existe
pas à partir du moment où on la gère. On peut faire des erreurs en
improvisation, bien sûr, même de graves erreurs… Mais l’improvisation est un art de l’erreur. Un art de la gestion
de l’erreur.
Donc, si simultanément à
l’apprentissage de la lecture et de la lecture, on apprenait aux enfants à
gérer l’erreur et à improviser, on aurait accès à un savoir et à un vrai
plaisir de l’apprentissage. (Raphaël
Imbert enfonce le clou en souriant) : On est la seule langue - je crois - au
monde où apprendre veut dire que l’on transmet et l’on reçoit, alors profitons-en,
faisons-le pleinement, militons en faveur d’un véritable échange.
Quand je dis ça, officieusement,
tout le monde est d’accord. Mais dès qu’il s’agit de s’exprimer officiellement,
alors là… On va me citer tel alinéas de tel décret du ministère de la culture…
ou de l’Education Nationale. Alors là,
je renonce.
Virginie : Ce serait demander aux élèves d’improviser, partir
de leurs erreurs pour ne plus les reproduire…
Raphaël Imbert : A les gérer… (Rectifie le musicien à juste
raison.) On fait toujours des erreurs. On est des humains, on n’est pas des
robots. J’interviens souvent dans les collèges. Car apprendre à improviser même
avec de faibles moyens est une bonne illustration sur la gestion de l’erreur
dans l’apprentissage ou même la vie courante… Ce sont des analogies qui
permettent d’avancer sur ces réflexions-là.
Aux Etats-Unis où le système
éducatif normatif est totalement détruit, si vous voulez avoir une bonne
éducation scolaire, alors il faut avoir de l’argent. Sinon, on n’y pense plus. Alors
que l’éducation musicale est totalement intégrée – avec une oralité très forte
- dans les différentes communautés. Et
alors là, on voit la différence d’enjeux et de résultat dans l’apprentissage de
la musique.
"Si simultanément à l’apprentissage de la lecture et de la lecture, on apprenait aux enfants à gérer l’erreur et à improviser, on aurait accès à un savoir et à un vrai plaisir de l’apprentissage."
Virginie : Quels sont les piliers de l’éducation
musicale ?
Raphaël Imbert : L’écoute. Ça parait extrêmement banal de dire cela. Dire
qu’on apprend d’abord à lire et écrire, sans faire fonctionner les organes des
sens. Je suis toujours frappé que ce ne soit pas l’oreille qu’on invite, qu’on titille en premier lieux.
Ça semble une banalité monstrueuse – de parler de l’oreille - mais en fait cela ne va de soi.
On en parle après. On estime que
le sujet principal c’est toujours la carotte de celui qui a bien travaillé.
En apprentissage des langues étrangères, c’est pareil. En apprentissage du
français, de la grammaire, idem. On donne satisfecit à celui qui a bien
travaillé en lui disant à la fin : le secret, c’est l’oreille. Combien de fois on entend en dernier
cycle de formation : « Là, il faut que tu écoutes maintenant !... Maintenant ! »
Alors qu’en termes de tradition
orale. Certaines qui nous sont proches... Et même françaises, les régions où
l’on a gardé la tradition des fanfares Le Sud-Ouest et le Nord. Les régions où
l’on a gardé les vraies traditions de musiques populaires… Le Cantal… Quelques
coins de ma Provence, que j’aime. On est frappé de voir la différence.
L’apprentissage passe par l’oreille. La façon d’écouter, de répéter une note. Ce
sont des musiques qui acceptent une note durant toute la durée de l’exécution …
Alors on va jouer la note. Il y a un côté répétitif. On demande de répéter une
note, deux notes. On apprend à l’enfant à gérer ce choix qu’il a entre deux
notes, trois notes, quatre notes dans le contexte. Et à éduquer son oreille.
Virginie : En Angleterre, en Irlande, on retrouve dans
certains pays de petits groupes musicaux.
Raphaël Imbert : C’est l’effet collectif. Ce qui se passe en
France est passionnant. Il faut bien sûr s’alarmer de la fermeture des écoles
de musique dans les villages par les baisses de subvention. Mais il convient aussi
de souligner les choses passionnantes qui se déroulent dans certaines écoles. Ensuite,
si on veut atteindre un certain niveau, la pratique collective n’est plus
suffisante. Et c’est là où le cours particulier devient intéressant.
Merci à Raphaël Imbert de ses
réponses claires et éclairantes.
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Sites et notes
Music is my home.
« Si la culture sudiste présente certains paradoxes du fait de son histoire lourde, elle peut être fière de son sens de l’accueil et de l’écoute. Music Is My Home - Act 1 est un hymne à cette hospitalité résistante et à cette créolisation des savoirs musicaux qui ont eu pour mérite de lutter contre l’exclusion, le racisme et la ségrégation dans une région gangrénée par les tenants de la haine. »
Raphaël Imbert
* Atonalisme : « l’atonalisme, qui égalise toutes les notes et se passe des toniques et des dominantes dans la gamme, atonalisme d’abord illustré par Schönberg, Webern ou Berg. Bref du fondement de la musique savante contemporaine. »
En gros, sur l’atonalisme, Ducros développe les arguments suivants (je simplifie) :
-L’atonalisme, qui n’engendre pas de logique de développement musical, ne peut pas susciter d’attente chez l’auditeur. Pas d’attente, donc pas de surprise. L’écoute d’un morceau atonal ne peut susciter qu’une acceptation passive, dans laquelle tout peut arriver, donc, en réalité, rien.
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Entretien vidéo :
Passionnant !
RépondreSupprimerMerci du partage.
Merci, Cher Nuage de votre soutien sans faille.
RépondreSupprimerDe même, merci à vous et à votre partage poétique - auquel, vous le savez - le Chêne est très sensible.
Culturellement vôtre, Virginie.